15e Anniversaire de l’élargissement de l’UE aux pays «de l’Est»

Encore un gros effort !

Le pont sur l'Oder à Slubice, qui relie l'Allemagne et la Pologne (2005) Foto: Jorges /Wikimedia Commons/ CC-BY-SA 3.0Unp

(Marc Chaudeur) – Voici 15 ans, dans la nuit du 1er au 2 Mai 2004, des centaines de personnes traversaient le pont sur l’Oder qui relie la ville allemande de Frankfurt/Oder à la ville polonaise de Słubice. Dans les deux sens, cette fois, ce qui est extraordinaire dans l’histoire des relations entre ces 2 pays… Ce n’était pas encore la ruée vers la vodka ou vers les nains de jardin, mais la fin du partage de l’Europe. En principe, du moins.

Le 1er mai 2004, le ministre polonais des Affaires étrangères Włodzimierz Cimoszewicz et son équivalent allemand, Joschka Fischer, représentant en baskets, ouvraient le Pont sur l’Oder qui séparait, et qui maintenant relie, les villes de Francfort et de Slubice. Un très grand jour que cette ouverture ; il reste… malgré tout gravé dans la mémoire des habitants de cette région alors si marginale.

Ce jour là, l’UE est devenue grande de 25 membres. Car 8 Etats ont alors rejoint l’Union le même jour : les pays baltes, la République tchèque, la Hongrie, la Slovaquie, la Slovénie ; et aussi Chypre et Malte. 75 millions de personnes venaient ainsi grossir les rangs des citoyens de l’Union, dont 39 millions de Polonais.

Les réactions à l’idée d’un élargissement «oriental» de l’UE étaient très mitigées avant sa réalisation, surtout en Allemagne : les sondages donnaient 28 % seulement d’ Allemands favorables à et élargissement, contre une moyenne européenne de 39 %… Pour l’essentiel, les Allemands craignaient une invasion du pays par d’ innombrables hordes de Sarmates frénétiques et gloutons.

Dans leur grande cautèle, les Etats membres se sont donc entendus pour établir une transition de 7 années, histoire de se donner le temps de décider s’ils voulaient ou non ouvrir le marché du travail à cette immense main d’oeuvre étrangère. Intéressant : seuls 3 Etats ont ouvert la porte d’or de la migration dès l’année 2004 (la Grande-Bretagne, l’Irlande et la Suède.)

Quel bilan peut-on tirer ? D’abord, une progression économique très impressionnante, cela n’aura échappé à personne. Par exemple, la République tchèque a atteint dès 2017 89% du produit intérieur brut de la moyenne européenne ; la Pologne, elle, 70% du PIB. Autre exemple, la Lituanie : son PIB atteint 78% de la moyenne européenne globale. Certes, les pays qui sont entrés dans l’UE trois ans plus tard, en 2007, à savoir la Bulgarie et la Roumanie, n’ont atteint, eux, que 49% et 63% respectivement.

Les «nouveaux» pays de l’UE sont des terres d’ émigration très importante, et les chiffres sont très impressionnants : par exemple, 15% des Roumains, et 10% des Lituaniens, des Lettons et des Croates de 15 à 65 ans, ont vécu à l’étranger pendant plus de 10 ans ! Mais ce mouvement très puissant tend à vider les pays concernés : par exemple, en 2017, presque 1/5e de la population roumaine de 20 à 65 % vivait à l’étranger. Pour la Lituanie, la Lettonie, la Croatie et la Bulgarie, ce taux s’abaisse très légèrement et va de 15 % à 12, 5 %. Il est un peu moindre actuellement, sauf en Hongrie où l’émigration commence à poser un problème considérable. Il y est à l’évidence aggravé par la politique anti-sociale et brutale du Fidesz de Viktor Orbán…

Sur les 10 pays qui ont intégré l’UE en 2004, sept ont rejoint la zone euro ; il n’y manque que la Pologne, la Hongrie et la République tchèque. Pourquoi ? Parce qu’ils sont censés ne pas remplir les critères de convergence, à savoir une inflation réduite et un endettement annuel inférieur à 3 % du PIB. Mais dans le cas de ces 3 Etats membres, les obstacles sont surtout politiques ! Le national-populisme du PiS en Pologne, et encore davantage, celui du Fidesz en Hongrie ne cessent de s’attaquer à la liberté de presse et de pensée, et à la séparation des pouvoirs – des principes absolument consubstantiels à l’UE – et contraires à l’euroscepticisme de ces partis.

Le problème, donc, est sans doute plus politique qu’économique. Certains de ces Etats membres, Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie – sans compter les pays qui ont atterri dans l’UE plus récemment encore – s’éprouvent de fait comme des membres de seconde zone, auxquels on refuse de reconnaître un rôle de décision véritable. Cercle vicieux très difficile à dénouer : certaines positions particulières des partis au pouvoir, notamment à l’égard de l’immigration extra européenne, les vouent aux gémonies des pays de l’Ouest, et les maintiennent dans un écart fâcheux dont il faudrait les extirper si on voulait construire une Europe digne de ce nom. C’est affaire de compromis, au fond ; mais la culture polonaise, notamment, n’incline pas au compromis : quand un Polonais dit «aller au compromis» (pójść na kompromis), c’est un peu comme s’il disait : je vais me résigner à aller chez le dentiste, ou bien : la Vierge m’a intimé l’ordre d’aller à Rome avec des lentilles crues dans les chaussures…

Et ainsi, seules les élections peuvent y changer quelque chose. Pour qu’une Europe véritable se construise enfin, il faudrait que les électeurs du Groupe de Visegrád boutent les partis populistes hors de leurs palais dorés et se rapprochent des critères de la démocratie aux principes plutôt clairs et assez bien établis.

Comme le disent des centaines de députés dans Eurojournalist(e), «c’est pour cette raison qu’il faut aller voter», et c’est ô combien vrai pour les électeurs des nouveaux membres de l’Union Européenne !

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