2020 : L’Allemagne engage son combat contre l’extrême-droite néo-nazie

Alain Howiller explique comment l'Allemagne entend venir à bout des mouvements néo-nazis, y compris au sein des administrations.

L'extrême-droite nazie monte en Allemagne - la résistance aussi. Foto: linksfraktion / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

(Par Alain Howiller) – Au delà des interrogations autour de l’avenir du gouvernement de coalition CDU/CSU/SPD, de la montée du parti d’extrême-droite « AfD », de l’arrivée des écologistes en deuxième position (derrière la CDU) du paysage politique et des interrogations sur l’évolution de l’économie, c’est le retour de l’extrême-droite néo-nazie qui aura marqué le plus la scène politique allemande en 2019. Ministre de l’Intérieur, le Bavarois Horst Seehofer l’a reconnu lors d’une conférence de presse tenue en présence des responsables des services de lutte contre la criminalité et de protection de la constitution : « La menace que représentent l’antisémitisme, l’extrémisme de droite et le terrorisme de droite est élevée en Allemagne », a-t-il souligné pour conclure sur cet avertissement : « A tout moment, on peut s’attendre à une attaque ! »

Persuadées que la tragique aventure du « Reich hitlérien » avait vacciné leurs compatriotes, mobilisées aussi par la lutte contre le terrorisme d’extrême-gauche qui vient encore de se manifester à Leipzig (attaque de policiers) et à Berlin (incendie de la voiture d’un journaliste critique de l’extrême-gauche), les autorités ont pendant longtemps minimisé, voire occulté, les manifestations, les crimes perpétrés par les extrémistes de droite. Le patron du groupe de médias « Axel Springer », éditeur de la « Bildzeitung », parlera, à ce propos, d’une culture de « l’euphéminisation » ! Pourtant, en Septembre 1980 déjà, à l’Oktoberfest de Munich, un néo-nazi avait perpétré un attentat qui avait fit 13 morts et 211 blessés dont 63 grièvement touchés !

A Munich : la perpétuité pour une néo-nazie. – Brutalement confrontée à l’attentat contre une synagogue à Halle (Saxe-Anhalt), qui a coûté la vie à une passante, et à l’assassinat du Préfet Walter Lübke à Kassel (Hesse), l’opinion comme les pouvoirs publics ont – enfin – réagi ! Même si nombre d’observateurs ont parlé, à ce propos, de « prise de conscience tardive ». Car, avant ces deux événements tragiques, il y avait eu des précédents dont la réalité la plus évidente avait été soulignée, récemment, par le spectaculaire procès engagé à Munich contre la cellule néo-nazie du N.S.U. (National-Sozialistischer Untergrund) qui, entre Septembre 2000 et Avril 2006, avait assassiné 10 personnes – 8 d’origine turque,1 d’origine grecque et une policière. 5 accusés avaient été jugés à Munich pour meurtres et 43 tentatives de meurtres, pour 2 attentats à l’explosif, 15 vols à main armée ! Après des mois de procès, le verdict tombera le 11 Juillet 2018 : la principale accusée -Beate Zschöppe- écopant de la perpétuité, la peine prononcée la plus lourde.

Depuis, le Ministère de l’Intérieur avait recensé près de 9.000 crimes et délits attribués à l’extrême-droite tout en soulignant qu’un tiers des habitants du pays pouvaient… être catalogués à l’extrême-droite. L’Office fédéral de protection de la Constitution avait souligné que selon lui, la mouvance extrémiste comptait 32.000 membres en 2019 contre 24.100 en 2018 : d’après le dernier rapport de l’Office, elle avait organisé 233 manifestations en 2018 (+ 15%) contre 202 en 2017. Elle agit de plus en plus en plus ouvertement, ses membres étant souvent en uniforme drapeaux déployés, de festivals « rock » en défilés, manifestations sportives (boxe, arts martiaux), concerts, commémorations(1), activisme sur les réseaux sociaux, retraites aux flambeaux… « Jamais depuis 70 ans qu’existe notre République, la démocratie n’a été autant menacée que ces jours-ci », a commenté Armin Laschet, le Président CDU du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie.

12.700 militants prêts à la violence. – Lorsque Horst Seehofer estime qu’il y a 12.700 militants prêts à des actes de violence, la police constate qu’il y a de plus en plus d’armes en circulation, alors que des listes avec des milliers de noms ont été trouvées comportant des menaces (deux dirigeants des « Verts » ont été menacés de mort !). Organisées d’abord dans l’Est, fief (y compris électoral) de l’extrême-droite, les manifestations n’épargnent plus les agglomérations de l’Ouest telles que Cologne, Duisburg, Hambourg, Dusseldorf, Essen, Berlin, Hannovre. Les autorités mettent en cause un certain nombre de groupuscules (dont le parti « NPD », mais aussi le parti « Alternative für Deutschland – AfD » dont deux composantes (les 7.000 membres du mouvement « Flügel » et les 1.000 militants de la « Junge Alternative ») sont particulièrement suivis par l’Office de protection de la Constitution au titre de la lutte contre le « néo-nazisme ».

Car la lutte s’est activée tant du côté de la population, qui ne rate plus une occasion de manifester publiquement contre l’extrémisme de droite, que du côté des autorités. Même la justice à laquelle on a parfois reproché une certaine timidité (notamment en matière de lutte contre l’anti-sémitisme) s’y est mise, dépassant, en quelque sorte, cet arrêt de la « Cour Constitutionnelle de Justice » de Karlsruhe qui, saisie par les membres de la deuxième chambre allemande (le Bundesrat) réclamant l’interdiction du parti néo-nazi « N.P.D. », n’avait pas voulu donner suite à la demande tout en constatant que ce parti ne respectait pas les valeurs constitutionnelles ce qui, pourtant, compte tenu de sa relative faible importance, demandait un suivi mais pas une dissolution !

Les néo-nazis privés de… bière ! – Si à chaque manifestation néo-nazie répond désormais une contre-manifestation, l’opposition à l’extrême-droite prend parfois des chemins originaux : tel celui emprunté, dans une localité d’ex-Allemagne de l’Est, par les habitants et la police qui se sont unis pour acheter ou confisquer les stocks de bière des supermarchés et des organisateurs afin de priver d’alcool ceux et celles qui étaient venus pour assister ou participer à une compétition. Faute de « carburant », les participants sont repartis !

A l’image d’autres collectivités, l’Etat-ville de Hambourg, qui doit renouveler son parlement, la « Bürgerschaft » le 23 février, a étendu son programme de lutte contre l’extrême-droite « Stadt mit Courage »(2), la justice empêtrée dans une législation peu adaptée a interdit son premier meeting d’extrême-droite, la population réagit et, surtout, l’Etat fédéral a marqué spectaculairement sa prise de conscience devant ce que le Ministre de l’Intérieur a appelé une « hässliche Blutspur » (« une empreinte sanglante et haineuse »). Le membre du gouvernement a annoncé la création de 600 postes affectés à la surveillance et à la contre-attaque contre les néo-nazis. Une nouvelle section de lutte va être créée. Horst Seehofer a annoncé une surveillance accrue des réseaux sociaux, confirmé l’activité du système « Radar Rechts » d’identification des extrémistes violents, souligné l’action contre les éventuels extrémistes identifiés dans les services publics, la police, l’armée, rappelé la création d’une ligne téléphonique pour alerter sur les agissements extrémistes. Il prépare aussi une liste d’organisations à interdire.

« Vous protéger de la haine, des attaques, de l’usage de la force, vous protéger contre le racisme et l’anti-sémitisme est un devoir appartenant à l’Etat, un devoir pour lequel le gouvernement se sent particulièrement investi », a souligné le Président de la République Frank Walter Steinmeier dans son allocution de Noël. 2020 sera, à cet égard, une année décisive même si elle ne comporte pas de rendez-vous électoraux décisifs, hormis l’élection de Hambourg et, au mois de Mars, des élections municipales en Bavière et, au mois de Septembre, en Rhénanie du Nord-Westphalie.

(1) Voir notamment l’Ami Hebdo du 8 Décembre 2019.

(2) « Stadt mit Courage », une première version de ce programme a été lancée dès l’automne 2013 et complétée en octobre 2019 sur le thème : « Hamburg bekennt Farbe für Demokratie, Toleranz und Vielfalt ».

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