2020 : L’Allemagne subit un été chaotique

Alain Howiller regarde derrière les coulisses du pays qui nous a été présenté longtemps comme l'exemple à suivre. Mais est-ce que cette image d'une Allemagne disciplinée est encore d'actualité ?

Voilà la situation actuelle en Allemagne. Politique, économie, société - la crise est omniprésente. Foto: Hans-Joachim Fitting / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 2.5

(Par Alain Howiller) – Ce qu’on appelle les « complotistes », alliés à l’extrême-droite et à l’extrême-gauche, continuent, malgré les mises en garde du gouvernement fédéral, à jeter des milliers de personnes dans les rues, notamment à Berlin : les manifestants protestent contre les mesures prises, pourtant limitées (port de masques, restrictions lors de manifestations ou de réunions) pour lutter contre la reprise du Covid-19. Oppositions entre « Länder » sur les dispositions restrictives à prendre contre la crise sanitaire, notamment pour la rentrée scolaire. Mises en cause de l’extrême-droite et des menaces qu’elle fait peser sur la démocratie à travers des infiltrations dans la police et l’armée. Irruption de la crise économique (baptisée par certains de « récession du siècle » !), progression (lente grâce aux mesures prises) du chômage. Le plan européen de sauvetage de l’économie a été difficilement adopté alors que l’Allemagne préside l’Union Européenne. Donald Trump ne cesse de menacer le gouvernement d’Angela Merkel qu’il déteste : n’entend-t-il pas retirer une partie des militaires américains stationnés dans une Allemagne… plus assez soumise ?

De plus, le Parlement – comme du reste la chancelière – est en vacances… Outre-Rhin s’est installé un été chaud, trop chaud dans tous les sens du terme : Angela Merkel s’en serait sans doute bien passé, elle qui vit son avant-dernier été de chancelière avant de quitter le pouvoir et, dit-elle, la politique à l’automne 2021, après les élections au Bundestag…

Un nouvel orage sur la « GROKO » – Et voilà que, mauvaise cerise sur un gâteau déjà bien amer, son Vice-Chancelier et ministre des Finances, Olaf Scholz, vient d’annoncer qu’il conduirait la liste du SPD aux élections fédérales de l’automne 2021 ! De plus, il soulignait qu’en cas de victoire, il ne serait pas question pour lui de reconduire une grande coalition avec les chrétiens-démocrates. Il y a quelques mois déjà, il avait rendu un hommage appuyé à Angela Merkel, tout en soulignant que « plus jamais il ne participerait à une coalition avec la CDU/CSU ». En attendant les prochaines élections, le candidat social-démocrate a tenu à souligner : « Nous ne quittons pas, pour autant, l’action dans le cadre de la Groko, car elle a encore beaucoup de travail à faire… N’oublions pas que la campagne électorale commence aujourd’hui !… » Voilà une déclaration digne de la formule du « en même temps » du président de la République française : « La Groko continue, mais en même temps, il faut qu’elle s’arrête ! » Comme disaient les (très) anciens : « Le roi est mort, vive le roi ! » Mener un travail gouvernemental dans ces conditions – et pendant encore un peu plus d’ un an ! – ne va pas être facile. Bonjour l’ambiance !

D’autant qu’Olaf Scholz ne cache pas ses ambitions. Il veut mener, sorti des élections, une politique plus à gauche en s’alliant notamment avec « Die Linke » et avec les « Verts ». Si « Die Linke » s’est déclarée ouverte à une telle formule, les Verts restent prudents. Forts de leur participation au gouvernement d’une dizaine de régions, les Verts veulent enfin prouver qu’ils peuvent participer au gouvernement du pays : cela explique la réaction du co-président Robert Habeck qui estime que la déclaration de candidature de Scholz vient trop tôt, qu’elle a un effet « dévastateur » et que, en tout état de cause, les coalitions se négocient au vu du résultat des élections. Une coalition avec les chrétiens-démocrates n’est pas à exclure : une telle alliance a du reste failli être conclue en 2017 avant que le SPD ne se résolve finalement à entrer dans une « grande coalition ».

Olaf Scholz, malgré le… « non » du SPD – Olaf Scholz dont les « camarades » du parti n’ont pas voulu comme président en novembre dernier – se retrouve aujourd’hui candidat… d’opposition ! Avec ce programme tout simple (il y a chez lui du Martin Schulz, ancien président du Parlement Européen, candidat SPD en 2017) : gagner les élections, changer de politique sociale et atteindre 20 % des voix, le socle qui, pense-t-il, pourra lui permettre de revendiquer le poste de chancelier à la tête de la future coalition d’après Merkel ! Il aura du travail si on songe que d’après les derniers sondages, le SPD bénéficierait, si les élections avaient lieu maintenant, de 15% à 18% d’intentions de vote. En 2017, le SPD avait recueilli un peu plus de 20% de voix.

Depuis ces élections, le parti social-démocrate ne cesse de s’éroder, alors que les Verts bénéficieraient de 18% d’intentions de vote (ils avaient obtenu un peu moins de 9% de voix en 2017), « Die Linke » en aurait 10%, le parti libéral « FDP » 6% et le parti d’extrême-droite AfD 10%. L’atout de Scholz est qu’il est le politicien le plus aimé derrière… Angela Merkel ! La CDU, qui avait obtenu près de 33% des voix, bénéficierait aujourd’hui de 36% d’intentions de vote : elle pourrait rester incontournable en 2021, à condition de trouver le (ou la) candidat(e) susceptible d’incarner l’après Merkel !

Quand les Verts revendiquent – Si la CDU ne peut plus jouer sur le slogan « Merkel ou le chaos », il se pourrait bien que l’homme qui monte vers la succession de la chancelière soit Markus Söder, le Président… CSU de la Bavière dont la popularité a bénéficié d’une image positive confortée par son action anti Covid-19 menée dans son fief bavarois. En lui rendant visite officiellement, il y a peu, en Bavière, Angela Merkel a-t elle voulu l’adouber comme candidat à sa succession ? Alors que la bataille fait rage entre candidats pour prendre, en décembre, la tête de la CDU dans l’espoir de pouvoir conduire, à nouveau, le parti démocrate-chrétien vers la chancellerie ! La candidature d’Olaf Scholz a lancé la bataille électorale. Etait-ce opportun alors  que l’Allemagne traverse une situation difficile qui exige une grande cohésion gouvernementale ? Toujours est-il que la course au pouvoir est lancée. Malgré ses réserves, Robert Habeck n’a pas pu s’empêcher de lancer : « Nous revendiquons la direction de ce pays ! »

Aux « Berlinades » de la politique, on a commencé à écrire le scénario d’un nouveau film de série « B ». Son titre ? Devinez ! C’est bien « Merkel ou le chaos ! » Faute de moyens, il sera tourné, comme dans l’immédiate après guerre, en… « noir et blanc » !

2 Kommentare zu 2020 : L’Allemagne subit un été chaotique

  1. Très bonne description de la situation actuelle en Allemagne. Je ne suis tout simplement pas d’accord de décrire une telle situation comme ‘chaotique’.

  2. howiller alain // 19. August 2020 um 12:27 // Antworten

    Merci pour le commentaire sur la notion “d’été chaotique”.Dans la définition de chaos on trouve:”confusion,désordre grave”.Et en géologie désordre chaotique est défini comme:”confusion générale des éléments de la matière avant la formation du monde.”Joli clin d’oeil (non?)à la situation (qui pourrait être franco-allemande!) avant la …formation du..monde politique en re-devenir!A.H.

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