Allemagne : protéger mieux les lanceurs d’alerte

La démocratie passe aussi par l’entreprise

Siffler dans ses doigts si on n'a pas de porte-voix Foto: Jomegat / Wikimédia Commons / CC-BY-SA / 3.0Unp

(Marc Chaudeur) – A quoi peut bien servir le Parlement européen, se demandent certains, au sein de l’Internationale des exiteurs. Eh bien, les travaux tout récents des députés européens pour garantir la protection des lanceurs d’alerte le montrent on ne peut plus clairement. La « nation » – et avec elle, ses relations ambivalentes avec les grandes entreprises, internationales ou multinationales – est chose trop sérieuse pour être confiée aux seuls gouvernements nationaux. Cela vaut pour n’importe quel Etat, mais cela augmente en intensité avec l’importance économique de l’État en question.

La protection des lanceurs d’alerte est au goût du jour depuis 2 ans environ, après que certains d’entre eux ont été victimes de mesures indignes, le licenciement principalement. L’exemple de Luxleaks est très éloquent à cet égard, et si on se rappelle qui dirige la Commission européenne, cela explique sans doute en partie le zèle de la Commission européenne dans l’établissement des mesures de protection…

En effet, depuis le printemps 2018, ladite Commission a adressé une proposition à ses membres pour une meilleure protection des souffleurs de sifflet. Cinq membres de l’UE ont refusé ces propositions, n’en retenant qu’une ligne directrice sans déterminations particulières. En Allemagne, depuis 10 ans, ces mesures européennes ont été précédées, à notre connaissance, de 6 initiatives juridiques qui ont toutes échoué. Actuellement encore, il n’ y a pas même l’ombre d’un désaccord entre les 2 membres de la Grande Coalition, à savoir le CDU/CSU conservateur et le SPD « social-démocrate » (les occurrences, hélas, se multiplient dans toute l’Europe qui contraignent à ranger soigneusement ce terme entre des parenthèses pudiques).

La ministre de la Justice, Katarina Barley, malgré son charme ineffable, a donc rejeté les modalités précises de la proposition ? Oui. Beaucoup d’observateurs supposent que 2 ministres-clé de droite, à savoir Peter Altmaier (CDU) et Horst Seehofer (CSU) ont joué le rôle de refroidisseur dans le moteur de la démocratie sociale allemande…

Ce sont principalement les modalités de l’alerte qui posent problème à ces distingués personnages. L’Allemagne, et avec elle les 4 autres Etats membres nommés, défendent un triple étagement de l’alerte : le siffleur doit en premier lieu user de canaux internes à son entreprise ; ensuite, si ses critiques sont sans aucun effet, il doit pouvoir se tourner vers un procureur. Enfin, si et seulement si cette seconde démarche reste lettre morte, il doit être autorisé à s’adresser au public.

Le Parlement européen, lui, veut garantir l’entière liberté au lanceur d’alerte d’informer comme il l’entend le public d’un dysfonctionnement frauduleux. Ce que les gouvernements français et allemand refusent, au nom de la protection juridique des dirigeants des entreprises. Précisons que le projet du Parlement concerne seulement les entreprises qui comptent au moins 50 employés et un bénéfice annuel de plus de 10 millions d’euros, et les municipalités de communes de plus de 10 000 habitants.

Virginie Rozière, députée française du groupe européen Socialistes et démocrates, s’est battue (et elle continuera de le faire, espérons le) avec un acharnement de lionne pour défendre les droits des lanceurs d’alerte. En Allemagne, depuis 2006, il existe un Whistleblower Network. Sa directrice, Annegret Falter, partage l’avis de Sven Giegold, le député Vert au PE : pour eux, il est bien évident que le lanceur d’alerte, s’il est contraint de passer par des canaux internes, court des risques : risques de harcèlement moral ou de licenciement, par exemple ! En ce sens, l’effet visé par la contre-proposition du gouvernement allemand n’est-il pas l’intimidation ?

Un point important reste quelque peu das le flou : faut-il ne considérer que les alertes qui concernent des atteintes à la législation européenne, ou faut-il intégrer les législations nationales ? La réponse semble évidente, mais elle ne l’est précisément pas pour les gouvernants des Etats membres cités…

D’une manière plus générale, les milieux politico-économico-financiers disent vouloir une réglementation qui protège les lanceurs d’alerte et qui, en même temps, donnent aux entreprises des garanties sûres au plan juridique. Ce qui signifie qu’on veut par dessus tout éviter des campagnes intéressées de diffamation. On pourrait rétorquer que si personne n’a rien à se reprocher, il est facile de le montrer, de le prouver.

Mais bien évidemment, c’est objectivement insuffisant : « La charge de la preuve incombe à l’accusateur », dit-on en droit. Ce qui règle le problème de manière symétrique : car l’accusateur doit évidemment pouvoir être à même de prouver son accusation. Considérons cependant aussi le caractère hystérique des activités de la Bourse qui construit ou détruit l’existence de millions de personnes humaines à partir d’une rumeur dont bien souvent, on ignore la provenance… C’est cette raison globale qui fait que la commission européenne s’oppose pour le moment au Parlement européen, puisqu’elle défend le triple étagement de la procédure d’alerte.

Au contraire, ses détracteurs avancent, études chiffrées à l’appui, que 80 à 95 % des lanceurs d’alerte s’expriment de fait sur des canaux internes à leur entreprise… Restent 20 % au grand maximum : dans ce cas, il s’agirait de dénonciations d‘agissements hautement criminels : ceux-ci doivent de toute façon être livrés le plus vite possible à la sphère publique !

Ce cas de la protection des lanceurs d’alerte est extrêmement significatif de la manière dont fonctionnent ensemble institutions européennes et gouvernements nationaux : le Parlement européen y apparaît comme le fer de lance de la démocratie, de l’accroissement qualitatif de la démocratie. La Commission, elle, très proche des autorités qui occupent le pouvoir dans les Etats membres, soumis bien davantage que le Parlement, disons, à de puissantes influences, freine le mouvement et bien souvent, immobilise le véhicule, qui finit parfois par ressembler à une Traction avant des années 1950.

Il convient donc de poursuivre la lutte, afin que soit réellement, concrètement assurée la protection des lanceurs d’alerte. Et plus largement, de renforcer le rôle du Parlement européen pour rendre le fonctionnement des institutions européennes plus mobile et plus efficace.

 

 

 

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