25 ans après, la CDU ultime victime en Thuringe de la… chute du Mur ?!

Malgré le fait que la CDU ait été le parti le plus fort lors des dernières élections régionales, une coalition Die Linke – SPD – verts dirigera le Land ces prochaines années.

Le chanteur Wolf Biermann compte parmi ceux qui n'apprécient guère la nouvelle coalition en Thuringe. Foto: Bundesarchiv Bild 183-1989-1201-046 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0de

(Par Alain Howiller) – D’une voix, d’une petite et si fragile voix de majorité, le Landtag de Thuringe, réuni à Erfurt, pourrait ouvrir la voie à l’élection à sa présidence du premier élu issu des rangs de «Die Linke». 4.000 personnes, appartenant pour l’essentiel à la CDU, se sont rassemblées dimanche, jour anniversaire de la chute du Mur de Berlin, dans la capitale du Land, pour protester contre la perspective de l’arrivée au pouvoir, lors du vote le 5 Décembre, d’une coalition rouge-rouge-Verte qui porterait Bodo Ramelow, responsable régional de «Die Linke», à la tête du gouvernement de Thuringe ! Une première d’autant plus remarquée (voir eurojournalist.eu du 21 Octobre) que la mise en place de ce nouveau pouvoir met un terme à la coalition SPD-CDU sortante alors même qu’à Berlin gouverne la Grande Coalition entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates !

Elle sera aussi remarquée parce que, en cette année du jubilé de la chute du Mur, l’arrivée au pouvoir d’un Ministre-Président issu de «Die Linke» marque un véritable tournant qui symbolise une sorte d’intégration de Die Linke dans la vie politique allemande où le parti peinait à se dégager d’une image globalement négative, liée à ses origines est-allemandes remontant à la DDR(1) et au «Parti du Socialisme Démocratique – PDS», né sur les ruines du parti est-allemand «Parti Socialiste Unifié d’Allemagne – SED».

Pour Merkel : Le retour de… Karl Marx ! – La polémique ayant entouré la probable arrivée au pouvoir de Bodo Ramelow est significative. Avant les dernières élections régionales du 14 Septembre, alors que les sondages laissaient présager la possibilité d’une coalition «rouge-rouge-verte», Angela Merkel, en tournée électorale en Thuringe, avait lancé un avertissement aux électeurs : «il se passe une chose curieuse en Thuringe où nous assistons au retour de… Karl Marx !» Leur rappelant l’ancienne collaboration militante qu’elle avait pratiqué avec eux au temps de la DDR, elle a lancé aux «Verts» une mise en garde devant un projet de collaboration à une coalition SPD-Die Linke-Les  Verts. Du coup, aux élections du 14 septembre, la CDU à 33,5% du nombre de voix améliorait de 2,3% le score obtenu aux élections régionales précédentes, mais le SPD perdait 6,1% de voix (à 12,6% des suffrages obtenus), les «Verts» régressaient de 0,5% de voix (5,7% des suffrages) et «Die Linke» augmentait de 0,8% le nombre (28,2) de ses électeurs. Tout en étant le parti le plus fort, la CDU, même si elle avait fait alliance avec le parti «Alternative pour l’Allemagne – AfD», ne pouvait réunir de majorité, surtout à partir du moment où le SPD n’entendait plus reconduire son alliance ancienne avec les chrétiens-démocrates.

Bien que lié, à Berlin, avec la CDU dans le cadre de la «Grande Coalition – GroKo», le SPD se décidera, dans ses instances régionales, pour une alliance du type «rouge-rouge-Verts» qui, pourtant, ne dispose que d’une voix de majorité au Landtag d’Erfurt ! Le SPD avait fait le choix d’une coalition à gauche car il considérait que c’est son alliance avec la CDU, comme la «GroKo» qui lui avait fait  perdre une partie de ses électeurs !

Vers la réhabilitation de Die Linke ! – Pour la CDU,qui de plus avait  décidé -Angela Merkel en tête- d’ignorer l’AfD considéré comme un parti proche de l’extrême droite hostile à l’Euro, à l l’Europe, à l’immigration, cette alliance à gauche signifiait la fin d’un  règne de 24 ans : finalement 25 après, elle deviendra, le 5 Décembre, l’ultime victime du Mur et de la réhabilitation de Die Linke ! Une réhabilitation symbolisée par ce dernier avatar : pour s’attirer l’alliance indispensable avec les Verts sans lesquels il n’avait pas de majorité, Bodo Ramelow a du signer une déclaration reconnaissant que «la DDR avait été un état de non-droit» («ein  Unrechtstaat»).

L’alliance SPD-Die Linke-Les Verts conclue, elle a donné lieu à un tir croisé dont la manifestation d’Erfurt n’était que l’une des expressions publiques ! D’abord parce que cette coopération s’inscrit dans un contexte historique directement issu de l’ex-DDR(1). Ensuite parce que ils ne sont pas rares, y compris dans une frange du SPD, ceux qui considèrent que s’allier avec «Die Linke» correspond  à un choix contre nature. Or, ce n’est un secret pour personne que l’essai qui sera tenté le 5 Décembre à Erfurt, s’inscrit dans le cadre d’une sorte de test-grandeur nature visant à créer, pour 2017, une alternance crédible à la traditionnelle coalition SPD-CDU(2). Une  telle alternance qui menacerait  Angela Merkel et son parti, sera-t-elle  possible, au niveau fédéral, entre  Verts, Die Linke et le SPD ?

D’après le baromètre politique de la chaîne de télévision «ZDF», 56% des Allemands sondés (dont 42% proches du SPD et 38% relevant des Verts) sont contre une alliance à gauche, au niveau fédéral ! Au SPD, cette possibilité suscite encore une certaine prudence qu’on retrouve dans ces propos de Yasmin  Fahimi : «Une alliance rouge-rouge-Verts», dit-elle, «n’est pas un modèle pour le niveau fédéral. Elle correspond  à l’expression d’une situation locale qui n’a strictement rien à voir avec celle rencontrée au niveau national où nous prenons en compte d’autres considérations !» Voire !…

Quand le Président Gauck monte au créneau ! – Pour Angela Merkel, l’alliance conclue à gauche, est «une mauvaise nouvelle pour la Thuringe qui contribuera à marginaliser le SPD au niveau national. Qui sait où cette dérive conduira le parti. Il en ira de même le avec les Verts qui ont adopté une position tactique peu crédible alors qu’ils comptent dans leurs rangs beaucoup de militants des droits de l’Homme de l’ex-DDR !» La perspective de voir arriver à la tête d’un Land un dirigeant appartenant à «Die Linke» a fait bondir l’ex-ressortissant de la DDR, le Président de la République Joachim Gauck.

Celui-ci s’est exprimé à plusieurs reprises pour condamner la coalition thuringeoise. «Certes, il faut respecter le choix des électeurs. Mais», a-t-il confié à la chaîne ARD, «est-il certain que le parti qui va fournir le président du Land est déjà si éloigné des conceptions défendues jadis par le SED ? Conceptions qui entrainaient l’oppression du peuple ? S’est-il éloigné de ces conceptions au point que nous puissions lui faire totalement confiance ?… Ceux qui comme moi ont connu la DDR et qui ont mon âge, doivent vraiment faire un effort gigantesque sur eux-mêmes pour accepter l’idée de cette alliance !» Encouragé par une décision de la Cour Constitutionnelle qui, à propos de déclarations contre les électeurs du NPD, le parti d’extrême-droite, qui lui reconnaissait le droit -voire le devoir- de s’exprimer, le Président Gauck a multiplié les mises en garde. Son interview dans le choeur d’une église du quartier berlinois de Prenzlau, sur fond d’autel prenait des allures d’excommunication qui a fait bondir le candidat Ramelow, connu pour sa profonde foi chrétienne.

Répondant à Joachim Gauck, ancien pasteur-militant des Droits de l’Homme en DDR : «En tant que chrétien pratiquant, je ne peux qu’être irrité par les propos, sur fond d’autel et de bougies allumées, du pasteur et chargé d’âmes de l’église évangélique. Visiblement, il veut non seulement ignorer mais même nier cette qualité, d’être un coreligionnaire chrétien !» Un échange qui prend du sel lorsqu’on se souvient que la ministre-présidente CDU qui dirigeait jusqu’ici la Thuringe était -comme Gauck- pasteur et que Agela Merkel est fille de pasteur ! Les interventions de Gauck ont trouvé un soutien à droite, mais aussi auprès du responsable national  des Verts Cem Osdemir : ils ont soutenu le droit d’expression de Gauck dont les interventions ont été condamnées à gauche par le SPD et bien sûr, par «Die Linke».

Le débat autour de la probable arrivée au pouvoir d’un président appartenant à Die Linke souligne, une fois de plus, même 25 ans après la Chute du Mur, les clivages nées avec la réunification et qui n’ont pas disparus. Une preuve supplémentaire s’est retrouvé au Bundestag où a éclaté une violente  diatribe gauche-droite : «Die Linke», Gregor Gysie, a réagi face aux autres partis lorsque le chanteur  Wolf Biermann, en tant que «témoin» de l’ex-DDR a traité Die Linke de «sang du dragon». La suite le 5 Décembre, à Erfurt ?

(1) En résumé, «Die Linke» est née, en 2007, de la fusion entre le PDS («Parti du Socialisme Démocratique»), né du «SED» (parti «communiste» officiel de la DDR et le parti (lié à une tradition syndicaliste de type extrême-gauche) «WASG – Alternative Electorale Travail et Justice Sociale»).
(2) Plusieurs coalitions entre SPD et Die Linke ont déjà eu lieu : la coalition sortante SPD/Die Linke vient d’être reconduite dans le Brandebourg, mais jamais, jusqu’ici, il n’y a eu de Ministre-Président de Land appartenant à «Die Linke». La situation en Thuringe sera une première !

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