Festival AUGENBLICK : Phoenix et Transit

Passionnant Christian Petzold

Dans TRAFIC, de Christian Petzold : Paula Beer et Franz Rogowski Foto : Festival Augenblick

(Marc Chaudeur) – Hier jeudi, deux films de Christian Petzold ont fleuri sur nos écrans : Phoenix (2014) et Transit (2018). Négation de la personne, dissimulation, substitution : des thèmes touchant à la Seconde Guerre mondiale, à la Shoah et à leurs conséquences immédiates, et à ce qui, dans ces tragédies, est peut-être devenu permanent, hélas…

Mercredi,en admirant Les Invisibles, le film de Claus Räfle, nous nous disions que les traits essentiels de cette œuvre nous concerneraient peut-être bientôt au plus près, à partir du moment où de quelconques post-totalitarismes – du type RN ou AfD, par exemple – détruiraient complètement à nouveau nos pays et nos sociétés. Eh bien, les deux films très aboutis de Petzold qu’on a pu voir hier, surtout Transit (2018) vont pleinement dans ce sens. Dans le sens aussi de mouvements en directions contraires, entre dépersonnalisation et reconquête de son identité par les individus que frappent de plein front l’Histoire la plus stupide et la plus basse.

On remarque un trait commun troublant dans les scénarios de ces deux films : celui de la substitution. Dans Phoenix (2014), construit à partir d’un roman de Hubert Monteilhet (Le Retour des cendres), une femme juive allemande revient d’un camp nazi tout à fait défigurée (on a envie de dire : dé-visagée), et se fait reconstruire le visage au point qu’elle en devient méconnaissable. Et voilà que son ex-mari, qui peut-être l’a livrée à la Gestapo en 1944 et qui, à cause de son nouveau visage, ne la reconnaît plus, veut lui faire jouer son propre rôle (celui de son épouse) pour toucher son magot… Elle le joue donc, ce rôle ; par amour pour sa chère ex-moitié. Un peu comme dans le Vertigo de Hitchcock, donc. Une différence essentielle cependant : si c’est le désir amoureux qui pousse le mari de ce vénérable thriller du grand Alfred, dans Phoenix, c’est l’appât du gain… Et les dénouements sont donc tout différents, mais je ne raconterai pas celui-ci, na.

Le travail de Petzold à partir du Monteilhet est sans doute trop linéaire, trop respectueux d’un fil narratif assez ennuyeux, dépourvu de rythme et de climax. Ce qui n’est nullement le cas de Transit, tourné 4 années plus tard. Ici, la substitution est celle qu’effectue un Allemand qui fuit le nazisme et prend l’identité d’un écrivain mort. Avec cette possibilité de fuir vers le Mexique en bateau, à partir de Marseille. Chance inespérée, mais qui tournera – et tournera mal.

En revanche, l’élaboration de Petzold sur le chef d’œuvre d’Anna Seghers (Transit, publié en allemand en 1948 chez Aufbau, donc à Berlin Est) sans doute LE grand roman de l’Emigration allemande, est remarquable. De l’extrême foisonnement de cette œuvre de 400 pages, le réalisateur extrait en quelque sorte la crème, et la transpose dans l’actualité (police très années 2000, ambiance qui est à peu près celle de nos cités aujourd’hui et plus encore celle des années qui s’ouvrent devant nous). L’ambiance rejoint donc exactement les réflexions que nous nous faisions mardi après le visionnage des Invisibles : tout cela nous concerne ; cette nécessité de la clandestinité, ces substitutions, ces ruses face au régime autoritaire, ce seront peut-être les nôtres, et bientôt…

A cette différence près, notamment, que ni Mexique, ni Brésil, ni la plupart des pays du monde ne peuvent plus nous apparaître comme des îlots de paix et de tolérance…Dans Transit, nous nous retrouverons ainsi admirablement mis en situation. Nous y repenserons quand des statues de Marine Le Pen orneront nos places, dans quelques années.

Transit est vraiment un grand film : transposition audacieuse des événements tragiques des années 1940 dans un futur dictatorial et policier peut-être très proche ; mise en situation vertigineusement réaliste qui renouvelle la substance même du roman d’Anna Seghers ; et puis ces acteurs magnifiques : surtout la grande Paula Beer et le puissant Franz Rogowski qu’on a pu admirer déjà dans l’Augenblick de l’an dernier, avec son troublant défaut de prononciation. Un grand moment de cinéma, réellement.

Phoenix sera encore visible le vendredi 15 à Altkirch (Palace Lumière), le mardi 19 à Mulhouse (Bel Air), et le mercredi 20 à Colmar (CGR). Et Transit le mardi 19 à Cernay (EPIC) et le jeudi 21 à Mulhouse.

Pour le programme du Festival (bis repetita placent) : https://festival-augenblick.fr

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