Voici un an, l’attentat de Strasbourg…

Et aujourd’hui ? Le livre de Claire Audhuy

Claire Audhuy avec Baris (Paix !) Ayhan à la Librairie Totem Foto: marcchaudeur/Eurojournalist/

(Marc Chaudeur) – Voici presque un an, six personnes sont mortes ; quatre sous les balles de C., et C. lui-même sous les balles de la police. Certaines des blessures physiques sont refermées. Les blessures morales, psychiques, ne le sont pas. Il y faut des années, en espérant qu’elles le seront un jour – ce que sait qui a vécu une guerre et ce que ne semblent pas savoir les fauteurs de guerre. Et de violence. Mais la violence est multiple, diverse, et elle est partout. Hommage à l’Ami Bartek.

Le 11 décembre 2018 : des blessures inguérissables pour certaines et certains. Et la mort d’un être très beau, ouvert sur tout l’horizon, à 360 degrés ; un être « christique et bordélique » comme il en existait trois à Strasbourg avant sa mort, et un Ami. La profanation de mon royaume strasbourgeois, au Sud. Et toute cette violence, partout. Rien ne s’est arrangé depuis, bien sûr. Quelles blessures ont guéri, et qu’avons-nous appris depuis ce jour d’hiver de l’an dernier ?

La semaine dernière, Claire Audhuy, grande amie de Bartek Orent-Niedzielski son allié en quelques-uns de ses combats et victime du 11 décembre, a présenté en plusieurs endroits son dernier ouvrage : L’Hiver dure 90 jours. Claire est bien connue pour ses admirables travaux sur les migrantes, les Roms de la banlieue strasbourgeoise ou sur Hénin-Beaumont, la commune nordiste gérée par le RN (superbe ouvrage 120 Jours à Hénin-Beaumont !). En 2004, Claire a fondé l’association Rodéo d’Ame, qui s’intéresse à ce qu’avec d’autres, elle appelle le « théâtre de l’extrême ». Metteuse en scène, elle a aussi publié d’assez nombreux ouvrages liés à la mémoire et aux résistances.

Son livre reprend les notes qu’elle a griffonnées pendant les nuits et les jours du drame, jusqu’au mois de janvier 2019. Elle l’a lu en musique en divers lieux en compagnie des saz de Baris Ayham. Des mots pris sur le vif et une poésie spontanée qui n’en contiennent pas moins un peu de la profondeur de ce qui s’est passé pendant cette terrible nuit où la grippe du nihilisme occidental a tué 6 personnes. Le 12 décembre : « mon cher B. accroche toi reste encore avec nous pars pas ». Mort cérébrale, puis mort tout court, quelques jours plus tard.

Une violence liée au souvenir d’autres violences ; violence en toile d’araignée qui nous emprisonne et nous tue. Celle du Grand Contournement Ouest, par exemple : « Tu es venu dans mon rêve tu sais depuis on a perdu notre forêt ce sont nos chênes qui ont été abattus »  Et le désespoir de la destruction. Mêlé à l’espoir : « Tu es venu dans mon rêve ça veut dire que la forêt un jour repoussera sans que tu ne la voies ».

Violence globale, pénétrante, endémique, omniprésente. Trois jours avant la mort de Bartek, je me suis fait renverser sur un passage piéton, et tabasser ensuite parce que je protestais. Bartek m’a conseillé de ne pas porter plainte : il ne faut pas ajouter la violence à la violence, disait-il. En vérité, cela pose bien la question de la non-violence comme principe : le droit, la loi, ne sont-ils pas faits pour régler la violence au sein d’une société ? Mais, c’est vrai, les frottements incessants en-deçà et au-delà du droit engendrent eux-mêmes de la violence. Claire, B., Georges l’ami psychiatre, la mère de B. (que l’on retrouve tous dans le livre de Claire) ont raison, implicitement : la violence est un élément dans lequel on baigne – ou non. Mais… Comment s’en défait-on ?

Et comme eux, il ne faut pas hésiter à répéter que oui, C. le meurtrier est victime de sa propre violence, qui n’est qu’un surgeon de la violence générale – et sociale. Et la mère de B. a ainsi exprimé sa compassion à la mère de C., le meurtrier de son fils. « Le défi de reconnaître l’humanité du bourreau », dit Georges – et la mère de B. l’a relevé, le 22 décembre, jusqu’au bout.

Et à nouveau, et encore, on baigne dans le même climat. Les pneus crissent en ville, les os craquent sous les roues dans les parcs, les insultes sifflent dans les ruelles. Les soldats armés jusqu’aux dents côtoient le Christkindel, une jeune femme en robe blanche qui erre et flotte, désolée. Et les forêts ne repoussent pas. Elles pensent avoir le temps devant elles ; mais est-ce bien sûr ? Y aura-t-il encore un temps pour l’homme, pour les moissons et pour la Paix ?

Si nous y travaillons, peut-être.

Aujourd’hui, c’est l’Avent, et on nous suggère : « De leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles » (Jesaia). Et puis : « La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche » (Paul).

Le livre de Claire AUDHUY : L’Hiver dure 90 jours, Editions Médiapop.

Et aussi, entre autres : 120 Jours à Hénin-Beaumont, Rodéo d’Ame, 2018.

 

 

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