Franc CFA : réforme en trompe l’oeil ?

Ou bien réelle inflexion dans la politique africaine de la France ?

Un billet CFA de 1961 Foto: République du Cameroun, BC/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/PD

(Thibaut Ritter) – « La Françafrique appartient au passé ! ». Nombreux ont été les dirigeants français à avoir entonné ce refrain depuis bientôt deux décennies. Emmanuel Macron n’y a pas dérogé, lui qui dès la campagne présidentielle de 2017 parlait de la colonisation comme d’un crime contre l’humanité et répétait à l’envi qu’il appartenait à une génération n’ayant pas connu cette période trouble de l’histoire européenne. Avec la réforme du franc CFA, annoncée en décembre dernier, c’est un pas important en faveur d’une redéfinition des relations franco-africaines qui semble avoir été franchi.

Vue de France, l’actualité africaine est dominée par la lutte contre les groupes djihadistes au Sahel. Le lourd bilan des récentes attaques contre des bases des armées malienne et nigérienne ainsi que l’organisation du sommet de Pau entre la France et les pays membres du G5 Sahel (suite à la mort des 13 soldats français au Niger dans le cadre de l’opération Barkhane) ont occulté une réforme majeure pour l’Afrique francophone : l’enterrement en grande pompe du franc CFA.

Cette décision s’inscrit dans la continuité du discours de Ouagadougou (Burkina Faso), prononcé par le Président français à l’occasion de son premier déplacement sur le continent en novembre 2017 et qui constitue la feuille de route du renouveau de la politique française en Afrique, version Macron. Des premiers gages avaient été apportés dans la foulée : déclassification des archives sur l’assassinat de Thomas Sankara et de la guerre d’indépendance au Cameroun, restauration des biens culturels, etc. Mais ces annonces avaient été jugées trop timides, trop « symboliques », pas de nature à changer la vie des populations, et n’avaient évidemment pas emporté l’enthousiasme.

La réforme du franc CFA, préparée dans le plus grand secret et dévoilée le 21 décembre dernier à Abidjan par Emmanuel Macron et son homologue ivoirien Alassane Ouattara, constitue un bouleversement bien plus profond. Plus qu’une réforme, elle signe en réalité le début de la fin de cet arrangement monétaire hérité de la colonisation et devenu au fil du temps un anachronisme de plus en plus lourd à assumer pour la France.

Un rapide rappel historique s’impose. Au tournant des années 1960, alors que la plupart des pays africains accédaient à l’indépendance, la France, soucieuse de préserver ses intérêts dans ses anciennes colonies, cherche par tous les moyens à conserver la main sur les principaux leviers politiques et économiques. Avec la signature des « accords de coopération monétaire », elle parvient à imposer à la plupart d’entre elles le franc CFA, l’ancienne monnaie coloniale créée en 1945 par le Général de Gaulle. Deux zones distinctes sont créées. En Afrique de l’Ouest, le franc des colonies françaises d’Afrique devient le franc de la communauté financière africaine et en Afrique centrale il est rebaptisé franc de la coopération financière en Afrique centrale. Leur fonctionnement est néanmoins strictement identique : parité fixe avec le franc français, obligation de placer l’intégralité des réserves de change en France, présence de représentants français au sein des instances de gouvernance, etc. A grand renforts de novlangue administrative, la France était parvenue à réaliser ce tour de force assez remarquable de priver des États nouvellement indépendants d’un des attributs de leur souveraineté : le pouvoir de battre monnaie.

Suite à plusieurs réformes engagées à partir des années 1970 (« africanisation » du personnel et de la direction des banques centrales, passage à une parité fixe avec l’euro suite à l’adoption de la monnaie unique européenne), le poids de la France dans la gouvernance de la zone franc s’était progressivement réduit par rapport aux termes de l’arrangement initial. La voix de la France n’était plus que très minoritaire et uniquement consultative au sein des instances des deux banques centrales, l’obligation de placer les réserves de change auprès du Trésor français avait été ramené à 50 %, etc. Il ne restait plus qu’à asséner le coup de grâce, ce qu’aucun dirigeant français – ni africain d’ailleurs – n’avait osé faire jusqu’à ce 21 décembre dernier. Dès cette année, le franc CFA d’Afrique de l’Ouest changera donc de nom pour devenir l’ECO, les représentants français ne siègeront plus à la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et celle-ci sera libre de placer ses réserves où bon lui semble.

Pour autant, l’accueil de cette nouvelle par les opinions publiques du continent a été très mitigé, alternant entre envie d’y croire, peur d’une nouvelle déception, voire soupçons d’un agenda caché. Ces réactions dénotent l’exacerbation d’un sentiment anti-français alimenté par des décennies de relations incestueuses entre le pouvoir français et la plupart des autocrates africains. Certains observateurs sceptiques n’ont d’ailleurs pas manqué de prétendre que le cordon ne serait pas totalement coupé, car la parité fixe avec l’euro sera conservée. Il ne s’agit pourtant ni plus ni moins d’un choix de politique monétaire souverain – puisque la France n’est plus représentée au sein de la BCEAO – dont les avantages (stabilité des prix) et les inconvénients (alignement de la politique monétaire sur celle de la BCE) restent toujours discutés parmi les économistes. Preuve de la réelle avancée que procure cette réforme, le Ghana, par la voix de son Président Nana Akufo-Addo, chantre du panafricanisme, s’est dit intéressé de rejoindre l’ECO tout en ouvrant le débat sur la mise en place d’un régime de change flexible au sein de cette nouvelle union monétaire.

Une réforme similaire est désormais attendue en Afrique centrale. L’équation y sera plus difficile à résoudre, car les pays pétroliers de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC), empêtrés dans une profonde crise économique depuis la chute brutale du prix du baril de 2014, sont actuellement davantage préoccupés par la prolongation des programmes qu’ils ont engagés avec le FMI depuis 2017.

Mais cette séquence démontre, si besoin était, tout l’intérêt de rompre au plus vite avec les recettes du passé et de laisser, enfin, l’initiative aux pays africains.

D’abord parce qu’ils sont les mieux placés pour imaginer leur avenir et s’approprier les moyens pour le mettre en œuvre. Et ensuite pour faire taire les critiques adressées à la France, souvent justifiées, parfois déformées et amplifiées, qui représentent pour l’instant une aubaine pour les puissances rivales, Chine et Russie en tête, qui ne manquent pas de surfer sur leur absence de passé colonial.

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