30 ans après la réunification, l’Est traîne toujours

Alain Howiller sur les 30 ans de la réunification allemande le 3 octobre 1990. Est-ce que les paysages fleurissants promis par Helmut Kohl ont vu le jour ?

La Porte de Brandebourg - d'abord symbole de la séparation, ensuite celui de l'unité allemande. Foto: Berlin-Picture / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Par Alain Howiller) – On le sait, c’est le 3 octobre, il y a trente ans, que la réunification allemande est devenue réalité après la signature, puis la ratification du traité d’union signé par la République Fédérale (RFA) et la République Démocratique (RDA). L’accouchement du « nouveau-né » avait été précédée, prés de trois semaines plus tôt (le 12 Septembre), à Moscou, par la signature d’un texte valant traité de paix : il engagera les principaux belligérants de la IIe Guerre Mondiale : USA, Grande-Bretagne, France, URSS (elle existait encore), RFA et RDA.

Lorsque l’on évoque cette période, maintenant que le 3 Octobre est devenu « fête nationale » en Allemagne, on oublie généralement que, dans la foulée en quelque sorte, l’Allemagne réunifiée devait conclure (le 14 Novembre) un accord, également historique, avec la Pologne : la RFA reconnaissait officiellement la frontière germano-polonaise née du conflit mondial et renonçait à la Prusse orientale, à la Silésie et à la partie du Brandebourg située à l’Est de l’Oder et de son affluent la Neisse. Malgré le rapprochement évident des deux parties de l’Allemagne et trente ans après la réunification, le souvenir de la RDA continue de hanter les esprits, y compris chez les jeunes nés… après la chute du Mur de Berlin (le 9 Novembre 1989) et la disparition (à vrai dire une « ingestion » !) de la « République Démocratique Allemande ».

60% de citoyens de seconde zone ? – Dans une enquête publiée, il y a quelques mois, par la version allemande du site américain « Business Insider », Tobias Hambach relevait que même les jeunes entre 18 et 29 ans, qui donc n’ont pas connu la RDA, se sentaient « Allemands de l’Est », alors que 60% des citoyens de l’ex-RDA considèrent qu’on les traite toujours comme des citoyens de seconde zone et que trois habitants de l’Est sur quatre pensent qu’au moment de la réunification, ils n’ont pas été traités comme ils auraient du l’être ! Pas étonnant, dans ces conditions, que 84% (!) d’entre eux regrettent que « ce qui était bien dans l’ex-Allemagne de l’Est ait été perdu au moment de la réunification », l’Ouest ayant imposé son schéma de vie. Si en trente ans, beaucoup a été fait pour rapprocher les deux parties de l’Allemagne, il reste encore beaucoup à faire pour parachever la fusion !

C’est ce que le gouvernement fédéral reconnaît dans le rapport 2020 sur l’état de l’unité allemande : « La convergence (des deux parties d’Allemagne) et l’adaptation des conditions de vie ont considérablement progressé malgré les différences et les obstacles qui subsistent », lit-on dans le document qui poursuit : « Le revenu des ménages s’est même hissé dans certains des nouveaux Länder (comme le Brandebourg ou la Saxe) au niveau de Länder de l’Ouest (comme la Sarre) où il est le plus faible !.

Un chômage toujours plus fort ! – La comparaison n’a certainement pas fait bondir de joie les Sarrois, mais somme toute elle est… corrélée par l’état du chômage dont le taux est de 7,8% en Sarre lorsqu’il est en moyenne de 7,3% dans les Länder de l’Est (5,5% à l’Ouest). Kristina von Deuverden, membre du conseil du DIW (Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung) de Berlin, estime, quant à elle, que : « Le rapprochement est devenu manifeste, le chômage a diminué d’une manière sensible et le sentiment de « satisfaction de vie » (« Lebenszufriedenheit) est sensiblement le même à l’Est et à l’Ouest. « Si 68% des Allemands sont satisfaits de leur situation économique, ils sont 66% à l’être dans les régions de l’Est. »

Pourtant, lorsqu’on analyse de plus près les chiffres, il y a des constats qui interpellent. Le produit intérieur brut (PIB) par habitant est de 73% à l’Est comparé à l’Ouest : si on intègre Berlin, le pourcentage atteint 79,1%. Le revenu moyen est à 80% de celui de l’Ouest. Même si, par exemple, il avait progressé d’un tiers entre 2004 et 2014, le niveau de productivité des entreprises est-allemandes (où on compte beaucoup de petites entreprises, davantage implantées en secteur rural) est resté à 20% en dessous de celui de l’Ouest. L’approvisionnement en biens de consommation est comparable à 90% (!) à celui relevé dans les Länder de la partie occidentale de la République Fédérale. Le vieillissement, renforcé par le fait qu’en trente ans, l’Est a perdu 2,2 millions d’habitants (surtout des jeunes) alors que l’Ouest en gagnait 5,5 millions (!), une baisse des naissances constituent des facteurs portant d’autant plus à réflexion qu’ils pèsent sur les disponibilités en main d’œuvre. Il est avéré que le marché du travail bénéficie à l’Ouest (pas à l’Est) de l’apport de l’immigration.

Malgré d’énormes efforts d’intégration. – Malgré d’énormes efforts dans la restauration des villes et villages, dans l’aménagement des infrastructures (réseaux routiers, modes de transports, téléphonie…), dans le système éducatif (dont les universités), le système de santé l’adaptation des retraites (toujours pas au niveau de l’Ouest), la difficile reconversion (souvent au prix d’un chômage massif) et l’implantation d’entreprises (venues de l’Ouest), des différences importantes subsistent à l’Est où les salaires ne sont toujours pas au niveau du reste de la République Fédérale. La situation continue de générer des sentiments de frustration qui pèsent sur la psychologie, mais aussi sur le ressenti de la situation politique. Pour ce qui est de la première approche, la référence à une identité de l’Est reste vive dans la partie orientale alors que, paradoxalement, à l’Ouest, le sentiment d’une différence « Est/Ouest » s’est considérablement estompé, l’utilisation des termes « Ossis/Wessis » est devenue rare, y compris dans les médias auxquels les anciens citoyens de la RDA reprochent souvent une partialité qui sous-estime, ignore voire méprise leur réalité.

C’est notamment le cas de la réalité politique liée aux jugements portés sur le fait que l’extrémisme de droite avec ses 20% de voix obtenus lors des dernières élections a jeté, à l’Ouest, du discrédit sur l’approche des nouveaux Länder. S’il est vrai que l’extrême-droite -l’AfD- n’est créditée que de 10% d’intentions de vote sur l’ensemble du territoire après avoir réussi à envoyer 94 députés aux Bundestag en 2017 avec 12,7% de bulletins, une étude de la Fondation Bertelsmann a souligné que 78% des sondés (83% chez les moins de 40 ans) étaient favorables à la démocratie à l’Est contre 91% à l’Ouest.

Le populisme que refusent les jeunes. – C’est ce qui explique, selon plusieurs études, que l’AfD recueille le plus de voix dans la tranche d’âge des 35/55 ans. La même étude souligne également que 20,9% de sondés de l’Est ont reconnu une « orientation populiste » (« populistisch eingestellt »), ils étaient 32,8% en 2018. Alors, l’Est patrie du populisme ? Le jugement mérite d’être d’autant plus nuancé que, toujours selon l’analyse de la fondation, le populisme régresse lorsque les gouvernements en place intègrent davantage de… populisme ! Un populisme reposant sur trois piliers : le souverainisme, l’opposition au multilatéralisme et le refus de l’establishment.

Alors, comme le disait la Ministre (SPD) de la Famille Franziska Giffrey, elle-même née à Francfort sur Oder et ancienne maire d’un arrondissement de Berlin-Est, « les Allemands de l’Est ont toutes les raisons pour être fiers des objectifs qu’ils ont réussi à atteindre et pour le développement positif qu’ils ont connu. » Mais l’alignement Est/Ouest est loin d’être achevé et il faut, sans doute, faire preuve d’un fort optimisme pour se demander, comme l’a fait Frank Pergande dans la « Frankfurter Allgemeine » : « A quoi sert encore un secrétaire d’Etat chargé (au ministère de l’Intérieur) de l’Est ? »

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