30 ans après…

Alain Howiller se pose la question si les habitants de « l'Est » sont encore des « citoyens de seconde zone »...

30 ans plus tard, l'unification allemande est loin d'être consommée... Foto: Aad van der Drift / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

(Par Alain Howiller) – La commémoration, cette année, des trente ans de la réunification allemande risque fort de générer un climat quelque peu morose face à un bilan qui tarde à être vraiment positif, sur un fond politique préoccupant. Les nuages noirs qui accompagnent la montée de l’extrême-droite dans les ex-länder de l’Est interpelle le monde politique, et les sondages sur les intentions de vote lors des élections au Landtag de Thuringe (le 27 Octobre) ne sont pas faits pour provoquer de l’enthousiasme !

On a beau se dire qu’un sondage n’est pas une élection et espérer une heureuse surprise, les chiffres sont là pour dresser un cruel constat : en l’état actuel des prévisions, « Die Linke » recueillerait 27,3% des voix devant « l’AfD » (23,6% des votes), la CDU (23,3%), les « Verts » (8,8%), le SPD (8,8%). La coalition sortante (Die Linke, le SPD et les Verts) ne retrouverait plus sa majorité à l’issue des élections ! La logique voudrait dans ces conditions – personne n’ose croire qu’une future coalition intègrerait l’AfD – que se noue une alliance Die Linke/CDU : ce serait une première et rien ne dit que cette perspective pourra se concrétiser… aisément !

Dans le rapport 2019 (124 pages…) sur la réunification rédigé par les services gouvernementaux, on ne manquera pas, à ce propos, de relever ces quelques lignes : « Dans la partie Est de l’Allemagne, l’attachement aux valeurs de la démocratie ne cesse d’être préoccupant. Prés de la moitié des habitants de l’Est (« knapp die Hälfte der Menschen ») sont plutôt insatisfaits de leur façon de fonctionner (« mit ihrer Funktionsweise »). Ce constat trouve aussi son expression dans les différences significatives apparues ces dernières années dans les résultats électoraux entre l’Ouest et l’Est. » Ce propos vise évidemment la montée de l’AfD qui sans être citée dans le rapport, apparaît assez clairement dans le paragraphe qui souligne : « Le racisme, la discrimination induite par le racisme, les stéréotypes et la violence, menacent le vivre ensemble et la paix en Allemagne… »

Politique et économie en opposition ? – « Ces tendances », commente le « Handelsblatt », « pourraient entraver la remontée économique et pourraient la freiner. (… compte tenu de l’état du marché du travail…). L’Allemagne de l’Est est particulièrement dépendante de l’arrivée de migrants. Depuis la réunification, 1,2 million de personnes ont quitté les länder de l’Est : ces départs ont surtout porté sur des tranches d’âge jeunes et de salariés qualifiés. Ces départs ont certes contribué à peser sur les chiffres du chômage, mais ils ont également entravé la croissance et la voie vers l’adaptation à la puissance économique (« Wirtschaftskraft ») de l’ensemble Est/Ouest. »

Et le rapport du gouvernent de souligner notamment que « Malgré le rapprochement des réalités économiques, les citoyens et citoyennes ne manifestent pas la même satisfaction (dans les deux parties de l’Allemagne) : le mécontentement est nettement perceptible dans les nouveaux Länder, notamment sur un plan politique. » Un sondage joint au texte montre que 57% des habitants de l’Est de l’Allemagne se considèrent comme des citoyens de seconde zone, seuls 38% (20% chez les moins de 40 ans) des sondés considèrent que la réunification a été une réussite !… 30 ans après !

Des points positifs. – Pourtant la réunification a apporté des points positifs loin d’être négligeables. Le potentiel économique des Länder de l’Est est passé de 43% de celui de l’Ouest en 1990 à 75% et le PIB a progressé, en 2018 de 1,6% (contre 1,4% à l’ouest du territoire). Les revenus distribués ont atteint 85% de ceux de l’Ouest tandis que le taux de chômage qui était de 18,7% en 2005 a régressé à 6,5% (contre 4,8% à l’ouest). Cette évolution pose d’ailleurs, ici comme ailleurs, le problème d’un manque de main d’œuvre alors que l’accueil d’immigrés souhaitable pour faire face au déficit du marché du travail, suscite une grande hostilité.

Les résultats positifs enregistrés à l’Est sont intervenus : « alors que d’un point de vue économique, la République Démocratique Allemande était au bout du rouleau en 1989 », a rappelé Christian Hirte, secrétaire d’Etat (CDU) chargé par le Bundestag des nouveaux Länder. Rappelant que par ailleurs, un nombre croissant d’institutions fédérales établissent un siège à l’Est, il estime que les différences entre l’Est et l’Ouest ne cessent de diminuer : pourtant elles persistent et le secrétaire d’Etat – dont la devise est « agir, ne pas se contenter de parler »(!)- a encore du travail devant lui, pour que l’équilibre entre anciens et nouveaux Länder s’installe !

Ce rapport, c’est du… pipeau ! – Alors que le gouvernement s’interroge sur l’avenir du « Soli », l’impôt perçu au profit des Länder de l’Est, lors d’une entrevue avec Angela Merkel(1), les ministres-présidents des Länder de l’Est ont réclamé le maintien de cet impôt tout en demandant qu’on définisse un véritable plan de développement pour leurs régions. La chancelière n’a pas dit « non », mais le débat s’est installé à ce propos au sein du gouvernement. Pour Dietmar Bartsch, président de « Die Linke », l’affirmation du rapport sur l’unité allemande sur les progrès du rapprochement des conditions de vie entre l’Est et l’Ouest relèvent d’une…. « Lobhudelei » (c’est du…« pipeau » dirait-on en France !). « Il n’est pas admissible que 30 ans après la réunification, les habitants de l’Est doivent encore travailler plus pour gagner moins », lance-t-il.

Et la députée Katrin Göring-Eckardt, co-présidente des « Verts » d’ajouter : « La désaffection vis à vis de la démocratie est inquiétante à l’Est… Les gens des régions abandonnées (« abgehängten Regionen ») ne font plus confiance à un état qui semble, en plus, les avoir oubliés ! »

L’intégration des Länder de l’Est continue de représenter un grand défi pour le gouvernement fédéral, d’autant que le « ressenti » (pour utiliser ce mot forgé par les météorologues) des citoyens pèse lourdement sur l’évolution politique de l’Allemagne unie. Au lendemain du « jour de l’unité allemande » en passant par la commémoration – le 9 Novembre – de la chute du Mur de Berlin et jusqu’à la fin – le 3 Octobre 2020 – des commémorations des 30 ans de réunification, l’Allemagne se doit de penser à l’avenir sans être tentée de vérifier… l’exactitude des assertions du « Financial Times allemand » qui ne voyait pas un alignement des revenus entre l’Est et l’Ouest avant… 320 ans ! Paraphrasons, à notre tour, le Président Jacques Chirac : « La maison brûle, ne regardons pas ailleurs ! »

(1) Voir eurojournalist.eu du 9 Mai 2019

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