60 ans après le Traité de Rome…

… l’Union Européenne est-elle dans l’impasse ?

A l'occasion des 30 ans du Traité de Rome, l'Allemagne avait édité une pièce de 10 Marks - et pour le 60e ? Foto: Berlin-George / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – A l’approche des cérémonies qui doivent avoir lieu à Rome le 25 Mars pour célébrer le 60ème anniversaire du Traité de Rome créant le Marché Commun à « six » (Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas), les réflexions sur l’avenir de l’Union Européenne (28 pays en comptant encore la Grande Bretagne !) se multiplient de mini-sommets -à Versailles avec l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne- en maxi-rencontre avec les membres au complet, à Malte le 3 février, à Bruxelles les 9 et 10 Mars – d’études en livre blanc, dont celui très (trop ?) exhaustif de Jean-Claude Juncker, d’incantations en crises.

La dernière crise est née à l’occasion de la manière dont Recep Tayyip Erdogan entendait étendre la campagne référendaire turque aux pays de l’Union Européenne : quelques jours à peine après le sommet de Bruxelles qui vit le président français prôner la solidarité inter-européenne fondée sur des valeurs communes : en laissant le ministre turc des Affaires Etrangères tenir meeting à Metz, la France s’est, de fait, spectaculairement désolidarisée de l’Allemagne, des Pays-Bas et du Danemark qui ont refusé de permettre à des membres du gouvernement turc de présider des réunions électorales destinées à leurs compatriotes. Une vieille « blague » éculée prétend qu’il y a des compliments qui peuvent être pires que des insultes : j’ai vécu la triste réalité de cette « blague » dans les déclarations d’Erdogan félicitant (!) la France pour son attitude démocratique et traitant de « nazis et de fascistes » ceux qui lui ont, en quelque sorte, résisté !

Europe : as-tu oublié tes valeurs ?… – Pourtant, dans une interview accordée à 6 quotidiens européens (1), François Hollande avait affirmé : « L’Europe n’est pas un comptoir commercial, c’est un système de valeurs ». Les « européens », en acceptant certaines dérives polonaises ou hongroises semblaient avoir oublié qu’en adhérant au Traité de Lisbonne, ils acceptaient les principes définis dès le préambule du traité, à savoir le respect des valeurs telles que la liberté, la démocratie, les Droits de l’Homme, le respect de l’Etat de Droit, des libertés fondamentales, des droits sociaux fondamentaux.

Ce n’est évidemment pas un hasard si les quatre dirigeants européens avaient choisi Versailles, là-même où l’empire allemand avait été proclamé, et où fut signé le traité mettant un terme à la meurtrière première guerre mondiale symbole des affrontements inter-européens, pour affirmer une nécessaire relance de l’Europe : « Sans un nouvel esprit européen, l’Union Européenne sombrera ! », soulignait le Président de la République Française dans l’interview aux quotidiens européens. Et de lancer : « L’Europe à 27 ne peut plus être l’Europe uniforme à 27… ». Ainsi est relancée une vieille idée, défendue pour la première fois en 1994 (!) par Wolfgang Schäuble et son collègue député CDU Karl Lamers : celle d’une Europe à plusieurs vitesses qui réunirait autour d’un noyau central, le nombre de pays disposés à vivre une Europe intégrée.

Autour de ce noyau, graviteraient en plusieurs étages (ou cercles) des pays qui seraient liés entre eux et avec le noyau par des liens plus souples et moins contraignants : « Il y aurait ainsi une Union Européenne à différentes vitesses », avait déjà souligné, à Malte, Angela Merkel. Cette piste avait également été envisagée dans le Livre Blanc qui étudiait les différentes possibilités de relance du projet européen. Le concept était, le 10 Mars, au centre du sommet de Bruxelles : il devrait être précisé, à Rome, lors de la commémoration du 60ème anniversaire du Traité instituant le Marché Commun !

20 ans après : enfin ! – Il aura fallu plus de 20 ans pour que l’Europe à plusieurs vitesses risque de se concrétiser enfin : il faudra pour cela que les quatre mousquetaires de Versailles dépassent l’hostilité du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République Tchèque et Slovaquie) qui ne veulent pas d’une Europe plus intégrée : ils ne veulent donc pas de l’idée d’une Europe à plusieurs vitesses qui risque de les éloigner du noyau dur, de ses dirigeants en les rejetant dans une « Europe de seconde zone ! » Bref, pour en revenir à l’humour : ils voudraient continuer à avoir le « beurre (les subventions européennes), l’argent du beurre et -pourquoi pas- la crémière en plus », sans pour autant avoir à se soumettre à des majorités qui ne les arrangerait pas ! En réponse Angela Merkel comme François Hollande ont affirmé, à Versailles comme à Malte, leur soutien à une Europe différenciée pour que quelques pays puissent ensemble aller plus vite, plus loin ! De son côté, Paolo Gentiloni, le Président du Conseil Italien, a lui aussi souhaité une « Union plus intégrée qui permette différents niveaux d’intégration en fonction des ambitions différentes ».

Le sommet de Bruxelles, malgré les tensions entre « membres fondateurs » de l’Union et pays du groupe de Visegrad, on a évoqué à ce propos des « coopérations structurées permanentes », idée désormais chère au Président français qui l’avait évoqué lors de son interview : « Aucun pays ne doit en empêcher d’autres d’aller plus vite. Soyons francs : certains états-membres ne rejoindront jamais la zone euro. Prenons en acte. Et ne les attendons pas pour approfondir l’union économique et monétaire. D’où ma proposition d’un budget de la zone euro ».

L’Union Européenne place la défense en priorité ! – Le secteur qui pourrait être le premier à bénéficier d’un traitement différencié avec plus d’intégration pour faire face aux menaces extérieures mais aussi au terrorisme, est le secteur de la défense. L’arrivée au pouvoir de Donald Trump, sa menace de ne plus protéger autant que par le passé ses alliés à moins qu’ils ne fassent des efforts supplémentaires en matière de budgets consacrés à la défense, a provoqué une prise de conscience européenne. « L’Europe doit éviter toute dépendance qui la placerait dans la soumission, ce qui serait grave, ou dans l’abandon, ce qui serait pire. La conscience, elle est là », insiste François Hollande, « encore faut-il la traduire par une meilleure coordination de nos politiques de défense, l’intégration de nos forces, le renforcement de nos capacités d’armement et de nos outils de projection militaire ».

Cela suppose aussi (surtout!) des efforts budgétaires : la France (qui en est à 1,7% de son PIB) a décidé de porter, en 5 ans, le budget de la défense à 2% du PIB, conformément à ce que demande, depuis 2014, l’OTAN. Angela Merkel a décidé, malgré les réserves (2) de son allié SPD, de passer de 1,4% à 2% d’ici à 2024. Les deux pays illustrent, à leur manière, cette course aux armements qu’on rencontre désormais partout dans un monde où les tensions voire les risques d’affrontement augmentent chaque année.

Des armes pour un monde plus dangereux ! – L’Institut International de recherche sur la Paix de Stockholm a chiffré à 8,4% l’augmentation des dépenses d’armement dans le monde entre 2012 et 2016 !… Etats-Unis, Russie, Chine, France, Allemagne et Grande Bretagne sont, dans l’ordre, les plus gros exportateurs d’armements du monde alors que Donald Trump vient de demander une augmentation de 10% du budget américain de la défense. Dans ce contexte, la priorité d’une Europe de la Défense renforcée s’explique, même si on s’éloigne un peu plus de cette Europe des valeurs invoquée plus haut.

Quelle relance du projet européen sortira (ou ne sortira pas !) de la commémoration du 25 Mars à Rome ?… La faiblesse des idées de relance formulées à Versailles est liée à ceux qui les portent : que pourront obtenir un président français en fin de mandat, une chancelière allemande contestée en campagne électorale, un président du conseil italien menacée comme le premier ministre espagnol d’une crise politique qui peut éclater à tout moment !…

Que n’ont-ils utilisés la durée de leur mandat pour faire avancer leurs idées ? Nous saurons sans doute assez rapidement si, à l’horloge de l’Europe, le temps n’est pas dépassé !

(1) Les six quotidiens sont : Süddeutsche Zeitung, La Stampa, The Guardian, La Vanguardia, Gazetta Wyborcza et Le Monde.

(2) Voir eurojournalist.eu du 10 Mars.

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