À la rencontre de la soprano Sarah Aristidou

Esther Heboyan présente une soprano hors du commun qui interprète la musique comme une œuvre complète qui fait appel à tous les sens. A commencer par la soprano elle-même.

Sarah Aristidou, vue par la photographe Weronika Izdebska. Foto: © Weronika Izdebska

(Esther Heboyan) – Pour la soprano Sarah Aristidou, nommée aux Victoires de la musique classique 2022 dans la catégorie « Révélations artiste lyrique », la voix est sa liberté, la musique une expression magnifique qui lui procure discipline et force mentale. « La musique m’a appris à écouter mon corps, à m’écouter de l’intérieur, à aller au-delà de mes limites », dit-elle lors d’un entretien accordé en visio depuis son bungalow au Danemark. Pendant le concert des Révélations à la Maison de la Radio le 14 janvier, sa performance fut à son image : émotion, hardiesse, maîtrise, pureté. Accompagnée par le guitariste Christian Rivet, l’artiste interpréta Bacchianas Brasileiras no 5 d’Heitor Villa Lobos et Le Chant du Rossignol d’Igor Stravinsky.

Après des années de formation et de perfectionnement, d’inspiration et de création tant en France qu’en Allemagne (Maîtrise de Radio-France, DEM au Conservatoire rue de Madrid, Licence de musicologie à Paris Sorbonne, Université des Beaux-Arts à Berlin, Theaterakademie August Everding à Munich), Sarah Aristidou fut admise au prestigieux Opéra-Studio International du Staatsoper Unter den Linden à Berlin où elle travailla avec des chefs d’orchestre renommés entre 2017 et 2019. Cela lui permit d’accéder à des rôles variés d’une grande intensité tels que la soliste dans Neither de Morton Feldman, Maïma dans Barkouf de Jacques Offenbach ou Zerbinetta dans Ariane à Naxos de Richard Strauss.

Outre sa nomination dans la catégorie « Révélation artiste lyrique » en France, des articles élogieux dans la presse spécialisée et ses performances à venir sur les scènes d’Europe, le parcours de Sarah Aristidou s’est récemment enrichi de productions d’un éclectisme réfléchi, inspiré et poétique – un album de 13 pistes et un EP sous forme digitale. L’album Æther (Alpha, 2021), dont le titre et la couverture disent sa fascination pour l’Islande, la soprano colorature chante Varese, Poulenc, Debussy, Stravinsky, Haendel, Léo Delibes, et d’autres plus contemporains ainsi qu’un chant folklorique suédois. Daniel Barenboim au piano, Emmanuel Pahut à la flûte, Christian Rivet à la guitare, l’orchestre Orchester des Wandels dirigé par Thomas Guggeis et le chœur Chor der Klangverwartung sont de l’aventure. Ainsi, les frontières sont abolies entre les époques, les musiques, les styles, les langues, les contrées et les individus.

« La musique, c’est pour être touché. On peut passer les barrières. Chaque genre peut profiter de l’autre », insiste la chanteuse franco-chypriote. « Parfois, comme dans la danse classique, la recherche de la perfection nous enferme dans un genre. On oublie pourquoi on fait ça, pourquoi on chante. » L’artiste puise son énergie dans les éléments naturels comme le vent ou l’éther, autant que dans les musiques sophistiquées. La découverte de l’Islande a changé sa vie, lui a procuré une énergie spéciale. « La Nature là-bas fait ressortir tout ce qui est en soi », s’enthousiasme Sarah Aristidou. À son retour d’Islande, elle ne pouvait plus vivre à Berlin. Mais déménager en Islande aurait compliqué ses déplacements professionnels. Le Danemark, entre mer et forêt, lui parut idéal.

L’artiste lyrique est prête à explorer de nouvelles couleurs, à transgresser les codes, à trouver d’autres langages. Elle est fascinée par la cantatrice Cathy Berberian dont l’impressionnante tessiture, l’extrême curiosité et l’humour scénique la menèrent de la musique classique aux expérimentations de John Cage et aux Beatles. Et tout naturellement donc, l’EP digital S’Agapo (Feral Note, 2021), en collaboration avec le compositeur et DJ Kaan Bulak, entièrement en langue grecque, associe deux chants folkloriques chypriotes à la musique électro berlinoise. S’Agapo (Je t’aime) est un vieux chant d’amour au lyrisme débordant : « J’aime le monde tout entier parce que tu habites dedans ». Agia Maria est un chant d’amour qu’adresse la mère à son enfant.

Ainsi les deux chants interprétés a-capella sont remixés pour subir des modulations. Les deux premières pistes conservent l’amplitude, la grâce, les vertus de la voix qui, par intermittences, devient écho d’elle-même comme au milieu des montagnes, ou bien se déploie en réverbérations continues chargées d’incantations. Sur les deux dernières pistes de l’EP, des remix audacieux par Ale Hop et Ricardo Villalobos, la puissance et la poésie de la voix se confrontent à des motifs dissonants, des redondances stridentes, des lignes percussives. Ce mélange savant de folklore ancien et de sons du XXIème siècle fait émerger la voix humaine comme un lointain souvenir parmi les sursauts d’un voyage apocalyptique.

Enregistrer en grec était un projet que Sarah Aristidou portait depuis longtemps en elle. Les soirs d’été à Chypre, la famille se réunissait pour improviser des chants. Une grand-tante par alliance inspira beaucoup l’artiste. Pour ses autres influences, et notamment dans le domaine lyrique, l’artiste cite Maria Callas qu’elle découvrit à l’âge de cinq ans, ainsi que la Roumaine Ileano Cotrubas et l’Autrichienne d’origine slovaque Lucia Popp qu’elle découvrit plus tard. Dans un autre registre, sa mère lui fit écouter l’Égyptienne Oum Kalthoum, son père la Grecque Haris Alexiou. Sarah Aristidou ajoute qu’elle adore les musiques tribales et les sonorités orientales.

Lorsqu’on lui demande dans quelles langues elle aime chanter, la soprano multilingue fait des distinctions à partir des voyelles. « Les voyelles portent le flux du chant, » affirme-t-elle. « L’italien et le grec, en raison des voyelles, sont des langues faites pour la musique. Le russe est très agréable dans l’air de la voix. L’anglais est difficile à cause des voyelles. Quant au français, je dois oublier mon français pour pouvoir chanter. »

« La musique peut abolir les limites, ça va directement dans le cœur, dans l’âme », dit Sarah Aristidou. Dans un élan qu’elle qualifie de « peut-être naïf », elle espère que la musique peut créer « un espace d’empathie » et que les gens pourront s’écouter les uns les autres, en dépit des antagonismes et des divisions. En écoutant l’album Æther et l’EP S’Agapo, on se dit que Sarah Aristidou nous offrira encore de subtiles et pénétrantes aventures musicales.

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste