A Strasbourg, l’opération «Au gré des bières»…

… symbolise le renouveau de l’industrie brassicole en Alsace !

Petite sélection de bières alsaciennes - et il y en a beaucoup plus ! Foto: Niko67000 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Par Alain Howiller) – Comme dans le domaine des arts où on conclut une exposition par une cérémonie de clôture, on pourrait appeler cela un «finissage». Il est vrai qu’il s’agit là d’une «brassi-culture» qui, compte tenu d’un cadre exceptionnel, se veut être plus qu’une de ces classiques «fêtes de la bière» dont les Alsaciens et «leurs» touristes raffolent. Pour la dernière fois, la manifestation de promotion de la bière organisée, les 27 et 28 Mai par le Syndicat des Brasseurs d’Alsace(1), aura lieu à l’ombre de la Cathédrale, face aux musées du Rohan et de l’Œuvre Notre Dame, sur l’élégante (et un peu froide) Place du Château à Strasbourg.

Cet emplacement prestigieux servira pour la troisième (et dernière) fois de cadre à la manifestation «Au gré des Bières», organisée(2) par le Syndicat des Brasseurs d’Alsace. 17 brasseries d’Alsace y présenteront leur savoir-faire : elles proposeront 150 variétés de bière à déguster avec… modération, le tout sur fond de présentations, d’animations, de petite restauration, d’expositions et de démonstrations (www.europtimist.eu). C’est par une manifestation élégante, sans ces excès émaillant trop souvent les fêtes de la bière, que le Syndicat des Brasseurs veut, une fois encore, attirer l’attention sur une branche d’activité en plein renouveau.

Les conséquences d’une succession de fusions ! – Si l’historien a encore en tête cette période d’exubérance où l’Alsace comptait près de 300 brasseries dont 60 rien qu’à Strasbourg (en 1866), l’économiste ne peut ignorer la lente descente en enfer d’une industrie brassicole qui, dans une course folle aux capacités de production, ne dut sa survie qu’à un effort de concentration exceptionnel. La décennie 1960/1970 fut exemplaire à cet égard : elle a vu la création du groupe «ALBRA» («Alsacienne de Brasserie»), née de la fusion des brasseries «Perle», «Espérance» (toutes deux à Schiltigheim, dans la banlieue proche de Strasbourg), «Colmar» et «Mutzig». Le groupe appartient aujourd’hui au néerlandais «Heineken» (production et centre de recherche à Schiltitgheim), tout comme Kronenbourg (dont les activités de production et de recherche ont été concentrées à Obernai) appartient au groupe «Carlsberg» et la brasserie «La Licorne» à Saverne appartient au groupe Karlsberg (à ne pas confondre avec le propriétaire danois de Kronenbourg).

Seule brasserie parmi les «grands d’Alsace» précédemment cités, la brasserie Meteor poursuit son cheminement familial : à Hochfelden, Michel et Yolande Haag passent progressivement le pouvoir à leurs quatre enfants (huitième génération propriétaire d’une brasserie qui emploie quelques 200 personnes et produit 500.000 hectolitres par an). Vivra-t-on effectivement la renaissance, en 2017, de la brasserie Schutzenberger qui avait fermé en 2006 : Marie Lorraine Muller, fille et héritière de Rina Muller, dernière patronne de l’entreprise, après avoir du fermer la brasserie, a repris en sous-traitance une production de bière en 2013 et ambitionne de refaire, en 2017, un site de production dans ses anciens bâtiments de Schiltigheim ?

La Brasserie alsacienne aujourd’hui. – Mais aujourd’hui, la brasserie alsacienne, à l’image de l’impression que «Au gré des bières» veut donner, est entrée dans une phase de stabilisation, voire même de relance : un peu plus de quarante brasseries (dont 37 artisanales) fonctionnent en Alsace. A côté des «grands» (Heineken, Kronenbourg, Licorne, Metéor), un certain nombre de «micro-brasseries» ont été fondées, essentiellement dans le Bas Rhin. L’Alsace compte plus de 40 brasseries et le Syndicat des brasseurs relance une image non exempte de dynamisme. Le fait que, succédant à Michel Haag, le président du Syndicat des Brasseurs -Eric Trossat- soit le créateur (en 1999) d’une micro-brasserie («Bières d’Uberach») n’est pas neutre : il souligne l’importance prise par les «micro-brasseries» et la volonté affichée par les grands établissements de reconnaître la pertinence de ces «mini-concurrents» qui, avec imagination et créativité, ont réussi à prendre pied sur le marché !

Le fait que Kronenbourg ait installé une micro-brasserie dans l’emprise de ses installations à Obernai est un signe de plus de cette démarche positive. Du reste sur les 6 membres du syndicat, il y a déjà deux représentants de micro-brasseries, ce qui est un nouveau signe d’une évolution qui risque de se poursuivre. Et le directeur-marketing de la brasserie artisanale Saint Pierre -Arnaud Caspar- membre du syndicat, de lancer un appel pour qu’un maximum de représentants des micro-brasseries rejoignent l’organisation professionnelle afin de concrétiser le fait que la bière d’Alsace se bat pour rester au premier rang français.

1,4 milliard d’euros de C.A. et 2.500 salariés ! – Avec près de 11 millions (contre 10 millions en 1982) de hectolitres produites chaque année en Alsace, la production régionale représente 60% (42% en 1972) du volume de bières produites en France, un niveau de production qui reste constant (depuis 1982 !), bien que la consommation en France ait baissé de près de 30% et que les structures brassicoles françaises se soient allégées au fil des fusions-rapprochements qui ont eu lieu. Les effectifs de la brasserie alsacienne sont restés stables avec 2.500 salariés en emplois directs ou indirects, deux groupes (Heineken et Kronenbourg) occupant chacun un peu plus de 500 personnes. Avec plus de 1,4 milliard € de chiffres d’affaires, la brasserie alsacienne occupe une place importante dans le secteur de l’agro-alimentaire de la région (le secteur réalise environ 5,6 milliards de chiffre d’affaires, avec 250 entreprises et 16.000 salariés).

Cette place a été gagnée grâce à des efforts de productivité et de recherche tournés vers la conquête de nouveaux consommateurs (jeunes et femmes) chez qui l’effort d’imagination a été payant. Les brasseries régionales n’ont-t-elles pas mises sur le marché, outre la bière sans alcool, la bière aromatisée à la Tequila, à la Vodka, aux agrumes, au citron, au miel, à la cerise, bières blanches ou rosées etc… Le tout accompagné, comme pour l’opération «Au Gré des Bières» (qui pourrait avoir lieu Place Kléber, l’année prochaine) d’actions de sensibilisation. En accompagnement, on assiste à des avancées dans la valorisation du produit : près d’une vingtaine de brasseries sont ouvertes au public, une «route de la bière» -parallèle à la fameuse «Route du Vin»- est en préparation depuis près d’un an, le «musée de la bière» s’ouvre chez Meteor et, au Restaurant-Brasserie des «Haras», la «Confrérie des Bières d’Alsace» vient d’approuver ses statuts. La «Confrérie» fédère ses membres qui «s’engagent à préserver et à faire rayonner le savoir-faire régional que représente l’activité brassicole alsacienne en France, en Europe, et dans le monde». Rien que cela !

Pas de querelles entre «Anciens» et «Modernes» ! – Et dans ce mouvement d’affirmation de la bière d’Alsace on trouve des supporters de tous âges : des anciens comme des jeunes amateurs. On y trouve par exemple Michel Debus, ancien PdG de la brasserie Fischer-Pêcheur (Heineken depuis 1996) qui, avec la complicité de sa petite fille Jade, est devenu coactionnaire de la micro-brasserie «Storig» (Schiltigheim) et a ouvert, à côté du centre de production, un «Restaurant-Bierstub» ! On y trouve aussi Christian Artzner, arrière-arrière-petit fils de Pierre Hoeffel qui fonda la brasserie «Perle» en 1882, à Schiltigheim. La brasserie, après avoir intégré le groupe «Albra» arrête de produire en 1971 : la marque renaît grâce à Christian Artzner qui commence à fabriquer sa «Perle» en Allemagne avant d’installer, en 2015, à Strasbourg, une nouvelle micro-brasserie ambitieuse.

Les Alsaciens consomment 60 litres de bière par tête et par an : deux fois plus que la consommation moyenne française, alors que la consommation allemande est de l’ordre de 105 litres. De quoi conforter ce propos d’Ernest Hemingway, écrivant : «C’était aussi naturel que de manger pour moi, tout aussi nécessaire et je n’aurais jamais pensé savourer un repas sans l’accompagner d’une bière». La «saga des bières d’Alsace» continue, mais tout de même avec… modération !

(1) comprend actuellement 6 membres : Kronenbourg, Heineken, Meteor, Licorne, Saint Pierre et Uberach

(2) Avec le soutien de la région Alsace/Grand Est, des Chambres de Commerce et d’Industrie alsaciennes, des Conseils Généraux du Bas- et du Haut-Rhin, de la Ville de Strasbourg

(3) «Les bons mots des buveurs de bière» par Jean Hansmaennel – Editions Fortuna, 2016.

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