Affaire Strache : par qui et pour qui ?

Une pince à linge, je vous prie

Ah... A quand le retour de l'Empereur, ma brave dame ? Foto: Ziko van Dijk/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 4.0Int

(Marc Chaudeur) – Certes, le plus hallucinant, l’obscénité politique et humaine extrême, c’est le contenu de cette vidéo (qui en réalité, dure 7 heures…) : mise à l‘ encan de l’Autriche par ces ultra-patriotards de la FPÖ (parmi eux, beaucoup de néo-nazis à peine reconvertis) à une puissance étrangère, mépris abject de la liberté d’opinion et de la profession de journaliste,… Cette vidéo a été dûment authentifiée par des experts. Vendredi, on a pu en voir un petit bonus : Heinz-Christian Strache y prétend être en possession de photos du Chancelier Kurz défoncé en train de partouzer dur et de son prédécesseur social-démocrate (SPÖ) Christian Kern au Cap, en compagnie de mineures… Stinky Strache, en un mot.

Mais se pose aussi la question : qui a commandé et installé la vidéo montrant le vice-chancelier à Ibiza ? Et cela, juste avant les élections européennes… On a émis un certain nombre d’hypothèses : les services secrets israéliens, les services secrets russes, des courants anti-Poutine à l’intérieur de la FPÖ ? Qu’en est-il, au juste ?

Le premier pas dans ce marécage politique, qui met si bien en évidence la corruption et la médiocrité insigne de l’extrême-droite, c’est Johann Gudenus, le co-dirigeant de la FPÖ et ami de Strache, qui l’effectue – c’est du moins  ce qui apparaît, puisque peu de choses sont sûres dans cette affaire. Gudenus cherche un acquéreur pour une forêt qui  appartiendrait à sa famille. Une agente immobilière lui fait connaître un avocat viennois, spécialisé dans le droit immobilier et qui a travaillé entre 2002 et 2004 pour un gigantesque cabinet d’avocats, le Cabinet Lansky, Ganzger & Partner, installé dans la Biberstraße et qui emploie 140 personnes. Ce Cabinet a des antennes, notamment, à Bakou (Azerbaïdjan)… et à Arsana/Noursoultan (Kazakhstan), qui cette année, a adopté le prénom de son génial et immortel Président, Noursoultan Nazarbaïev. Les capitales de deux républiques musulmanes ex-soviétiques…

L’avocat en question, d’origine iranienne, se nomme Ramin Mirfakhrai. Mirfakhrai indique à Gudenus une ressortissante lettone de sa connaissance, qui affirme vouloir s’installer en Autriche avec ses enfants et qui pour cela, cherche un terrain constructible. La femme dit s’appeler Aliona Makarova ; elle prétend être la nièce d’un magnat russe, Igor Makarov , et laisse une somme respectable (dont elle dit elle-même qu’une partie exigerait un nettoyage Persil) sur le compte de l’avocat. Etait présent lors de la rencontre : un détective qui dit se nommer Julian Thaler (en réalité : Julian Hessenthaler), qui a un bureau à Munich mais se déplace souvent à Berlin et à Vienne. Selon les dires de Gudenus, il a rencontré ce détective la première fois le 24 mars 2017 : 4 mois avant la rencontre d’Ibiza.

En passant, il n’existe pas d’Aliona Makarova ou du moins, le magnat Igor Makarov n’a pas de nièce… Malgré quelques « imperfections » (la saleté des ongles des pieds de ladite pseudo Aliona Makarova, par exemple !), l’installation des micros dans cette finca d’Ibiza porte la marque d’un professionnalisme barbouzoïde. Et un ancien patron viennois de Julian, un certain Sascha Wandl, qui prétend lui avoir appris son métier, affirme avec force que seul Julian Hessenthaler a pu mettre en œuvre cette opération en somme réussie. Et que Hessenthaler a été impliqué récemment dans une affaire d’espionnage industriel auprès de l’entreprise Plasser&Theurer.

Voici un an déjà, la vidéo (dont Julian Hessenthaler affirme que sa confection a coûté 600 000 euros) aurait été mise en vente pour plus d’un million d’euros, et au mois de mars dernier, on se serait adressé à Jan Böhmermann, un comique allemand très provocant et… auteur d’un fake clip qui montre Alexis Tsipras faisant un doigt d’honneur aux Allemands. Des rumeurs sur l’existence de la vidéo Strache zonzonnaient dans certains milieux journalistiques germanophones depuis au moins un an…

Mais pourquoi cette Opération Strache, et éventuellement, pour qui ? On ne peut exclure totalement, pour l’instant, les diverses hypothèses qui ont fleuri dans les médias la semaine dernière. Les services secrets israéliens ? Les Russes ? Des Russes ? Des anti-Poutine de l’intérieur de la FPÖ ?

Certes, le fait même de poser la question sous cet angle paraît d’emblée tendancieux : pourquoi centrer l’attention sur le pourquoi et le par qui ? Et pourquoi un complot étranger, ou en réaction à une puissance étrangère ? L’avocat en question, Ramin Mirfakhrai, n’a-t-il pas prétendu, samedi dernier, qu’il a monté ce coup avec Hessenthaler pour une association de la société civile, en vue de purifier et d’assainir le climat politique en Autriche ? (et dans l’ensemble de la sphère populiste européenne, ce dont on lui saurait gré infiniment). Mais cela paraît assez peu crédible : un tel personnage qui a pignon sur rue, un cabinet important dans la Singerstraße, en pleine City de Vienne, et un nom iranien prendrait-il de tels risques par simple idéalisme militant et désintéressé ? Hum… Sa discrétion absolue jusqu’à la fin de la semaine dernière, avant d’être mis en cause dans l’enquête, ne va pas dans ce sens.

Le Mossad ? Israël ? Certes, ce pays ne porte pas la FPÖ dans son cœur… Il suffit de voir certains clichés de Gudenus pris voici quelques années lors de concerts de rock 88, en treillis kaki et en compagnie de ses petits camarades « néo » nazis pour le comprendre… S’ajoutent quelques propos très ambigus de Strache sur les juifs (à Jörg Haider, son prédécesseur à la tête de la FPÖ, déjà : « Si les juifs nous acceptent, nous n’aurons plus de problèmes ») et l’antisémitisme beaucoup moins ambigu de très nombreux membres de la FPÖ.

Les services secrets russes ? Cette opération, à première vue, irait contre leur intérêts.Mais on connaît leur usage du chantage, à l’égard de leurs alliés même, afin de s’assurer de leur « fidélité ». Nous nous souvenons fort bien d’opérations très analogues, à l’époque du KGB, contre des Russes ou des agents allemands de la RDA ; on appelle cela Kompromat… Et il arrive que de telles vidéos échappent à leurs usagers destinés, et soient revendues très, très chères par des voleurs importuns…

Des membres anti-Poutine de la FPÖ ? Intéressant, et devra être examiné. En tout cas, il n‘existe pas d’Aliona Makarova, et Igor Makarov n’a pas de nièce, étant fils unique.

Il n’est pas sûr que nous sachions un jour le fin mot de l’histoire ; c’est le contraire qui est quasi-certain. Au moins, nous avons la satisfaction de voir glisser dans la géhenne les Kickl et les Strache, Frères Rapetou de la République autrichienne.

 

 

 

 

 

 

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