Agriculture, « Bio » et politique : des convergences franco-allemandes

Alain Howiller regarde le « bio » de plus près – sous un angle français et sous un angle allemand.

Le label "AB" est une désignation européenne pour le "bio". Foto: ec.europa.eu / Wikimedia Commons / PD

(Par Alain Howiller) – Hasard, volonté de ne pas prendre le risque d’interférer sur les élections européennes, c’est après ces dernières que « l’Agence Française pour le Développement et la Promotion de l’Agriculture biologique » (dite « Agence Bio », connue pour son sigle « AB » apposée sur les produits bio) a publié son dernier rapport sur l’état de la filière bio en France. 2018 a été pour l’agriculture bio une année-record avec une hausse de 12% du nombre de fermes ayant passé aux techniques, cultures et élevage correspondant aux exigences écologiques (méthodes de culture ou d’élevage, entretien des terres). Une ferme sur dix est désormais « bio » ; mais si l’évolution est positive, elle est encore loin de correspondre aux objectifs qui prévoient que chaque année, 7.000 fermes (elles étaient 5.000 à s’être « converties » l’an dernier) devraient passer au bio chaque année, le total des exploitations agricoles étant de l’ordre de 430.000 dont près de 42.000 fermes « bio ».

Les enjeux sont déterminants à l’heure où 60% des terres de la planète tendent à devenir « incultivables » ; et il n’est pas surprenant dans ces conditions que les vagues vertes se soient mises à submerger les océans de la politique… Les succès obtenus par les « Verts » aux dernières élections européennes en portent témoignage : une nouvelle génération d’hommes politiques s’est inscrite dans le sillage de Robert Habeck, né en 1969, agriculteur et écrivain, en Allemagne ou de Yannick Jadot, né en 1967, connu pour ses engagements dans les ONG, en France.

Les « Verts » à gauche ou à droite ? – Ce qui, outre leur adhésion sans équivoque à une Europe forte et intégrée (1), les unit – et c’est relativement nouveau pour la mouvance qu’ils représentent : ils veulent gouverner ! Le premier ne refuserait pas de participer à une coalition de droite (au cas où la « Groko » exploserait) à défaut de pouvoir arriver au pouvoir par la gauche. Le second ambitionne d’arriver au pouvoir en fédérant la gauche jusqu’ici désunie !

L’évolution politique s’inscrit dans un contexte économique éloquent : 8 Français sur dix (80%) ont, d’après le rapport 2018 de « AB », consommé des produits bio, et seul 1 Français sur 5 dit refuser de consommer bio. Dans le « Grand Est », les consommateurs de « bio » sont prés de 67% (2). En Allemagne, selon « l’Association des Producteurs Bio Allemands – BÖLW », 3 Allemands sur 4 et 7 jeunes de moins de 30 ans achètent des produits bio, tandis que 1 consommateur sur 5 (21%) affirme toujours ou souvent privilégier ce type de produits.

Le poids de l’économie « bio ». – Cette situation est freinée par le fait que le bio est souvent trop cher ; elle est en revanche soutenue par le fait qu’on le trouve maintenant dans la plupart des circuits de distribution : 84% des Allemands l’achètent au supermarché et 63% d’entre eux chez les « discounters ». En France, prés de 50% des ventes de produits bio se font en grandes surfaces (le chiffre d’affaires a progressé de 22,6% l’année dernière) et 11% des Français achètent ce type de produits en magasins de proximité. La progression des ventes en grandes surfaces et en supérettes de proximité explique la difficulté de survivre pour les petites enseignes spécialisées. Elle explique aussi que la production peine à suivre une demande en évolution fortement positive nourrissant un secteur économique qui prend de l’importance au moment où l’agriculture (et les… électeurs qui en sont issus !) s’interroge sur son avenir et où la conjoncture ne laisse de préoccuper.

En Allemagne, 6,4% des surfaces cultivées le sont sous forme bio, en France le pourcentage est de 7,5 %, l’objectif allemand étant d’atteindre 20% en 2030 contre 15% d’ici à 2022 en France (légèrement en avance pour la surface cultivée). Au delà de cette donnée, l’agriculture « bio » représente un poids économique dont on relève rarement l’importance:en France : le secteur représente plus de 10.000 emplois directs et un peu plus de 60.000 (avec plus de 14.000 entreprises) si on y ajoute les transformateurs, les distributeurs, les importateurs/exportateurs. En Allemagne, le seul secteur « agriculture bio » représente près de 8.000 emplois. Un constat s’impose d’entrée : le « produit bio » peine à répondre à la demande des consommateurs.

Les risques : industrialisation et hausse des prix ! – La distorsion entre la demande et l’offre pose, du reste, un certain nombre de problèmes. Le premier relève de la manière dont le « bio » risque de peser sur la pouvoir d’achat et, donc, sur l’inflation en raison du prix des produits. Mais pour faire face au problème du coût, la tentation sera grande pour les exploitants en bio de changer de dimension et d’évoluer, revenant aux dérives du passé, vers une industrialisation des exploitations avec les risques inhérents du type « fermes à mille vaches » !

Pourtant, pour répondre aux objectifs fixés par les gouvernements, le nombre de fermes vivant du bio devrait pratiquement doubler de part et d’autre du Rhin dans les années qui viennent, alors que le nombre d’exploitants agricoles revenant à une agriculture conventionnelle ou qui cessent leur exploitation est de 600 par an en Allemagne et que 1.600 Français ont suivi le même chemin en 2018 ! La retraite pour les uns, la complexité des contrôles, la nécessité de respecter un cahier des charges rigoureux, les contraintes financières expliquent le renoncement des autres.

Si les feux sont au « vert » en politique avec le soutien de l’opinion, l’évolution vers le « bio » qui est une composante essentielle du mouvement en cours, n’est pas exempte de risques : mais une évolution sans risques maîtrisés ne serait pas une… évolution !

(1) « Je suis un fédéraliste européen » a lancé Yannick Jadot lors de la récente campagne des élections européennes que Robert Habeck a marqué par cette phrase : « Die beste Idee, die Europa hatte, heisst Europa ! »

(2) Dans le Grand Est, les « Orientations stratégiques 2015/2020 », définies dans un accord « représentants des exploitants agricoles / Préfet » prévoient que 10% des terres soient consacrées aux cultures « bio » et que dans les restaurants des écoles ou des administrations, 20% des produits soient biologiques.

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