Ah, ces bons chrétiens ! (2/2) – La charnière 2010-2020

Au décours des récentes midterms étasuniennes et des élections présidentielles brésiliennes, se révèle une fois de plus l’influence croissante et douteuse de certains « bons chrétiens », sur le destin de grandes nations.

« Quand je donne à manger aux pauvres, ils m'appellent un saint. Quand je demande pourquoi ils sont pauvres, ils me traitent de communiste. » Dom Hélder Pessoa Câmara (1931-1999) Foto: AlmostBrazilian / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Jean-Marc Claus) – Alors que la Théologie de la Libération, accusée d’entrisme communiste par ses détracteurs, faisait tâche d’huile en Amérique Latine jusqu’à la fin des années 1980, il fallait absolument mettre bon ordre à tout cela. C’est un certain Josef Aloisius Ratzinger, futur Benedictus XVI, qui s’en chargea sur ordre de Carol Wojtyla alias Ioannes Paulus II. En fait, à l’Est de Rome, Ronald Reagan aida Carol Wojtyla à faire tomber le Rideau de Fer, et à l’Ouest de Rome, Carol Wojtyla aida Ronald Reagan à débarrasser l’Amérique Latine de la Théologie de la Libération. C’est là que le Saint Siège se tira une balle dans le pied, car une fois ces foyers de résistance à l’emprise du capitalisme quasiment étouffés, il ne resta que l’église compromise avec le pouvoir. Le peuple se détourna alors du catholicisme, et pour partie, s’orienta vers des options politiques de gauche, donnant ainsi une toute autre couleur à la carte de l’Amérique Latine.

Les évangéliques de tous poils, avec leurs megachurches, leurs prédicateurs fougueux, leur inlassable activité dans les domaines sanitaires et sociaux, déferlèrent alors sur l’Amérique Latine. Débarrassés de la Théologie de la Libération et ayant en même temps affaibli l’autorité morale de l’Église Catholique, les capitalistes étasuniens mirent progressivement sous perfusion de versets bibliques, le peuple latino-américain qui, perdant ainsi tout sens de l’Histoire, en arriva à élire à la charnière des années 2010-2020, des « monstres très chrétiens » tels que Jair Bolsonaro et Donald Trump.

En fait, les USA réalisent depuis de nombreuses années, notamment grâce aux mouvements évangéliques, une OPA inamicale sur les potentiels de spiritualité des peuples d’Amérique Latine, afin d’y mieux installer le capitalisme sauvage et dévastateur, dont la Théologie de la Prospérité n’est qu’un des multiples avatars. Si la sincérité des missionnaires et autres Hussards de l’Évangile n’est pas à mettre en doute, il n’en demeure pas moins vrai que leur cécité géopolitique a quelque chose de particulièrement hallucinant.

Ce qui, du reste, n’est guère étonnant, car ayant pour seules références les cartes joliment coloriées figurant à l’arrière des bibles dont ils citent inlassablement des versets-clefs, ces « bons chrétiens » ne voient le monde qu’à travers un seul et unique prisme, qui plus est très manichéiste. Si lire la Bible contribue à accroître la culture générale, ne lire que la Bible favorise l’abrutissement général au point que ces très vertueux chrétiens aux familles nombreuses et bénéficiant de lois sociales édictées par ou sous influence de la gauche, votent très souvent à droite et même à l’extrême-droite.

Pourquoi une telle incohérence, alors que les pouvoirs de droite rabotent année après année les droits sociaux ? Parce qu’entre autres tours de passe-passe, la droite et maintenant par substitution progressive l’extrême-droite, instrumentalisent des sujets de société très clivants en faisant la promotion des valeurs familiales, soutenant les mouvements pro-life, se positionnant pour les valeurs chrétiennes, dénonçant la théorie du gender. La ficelle est un peu grosse, mais pour obtenir le soutien et les voix de grands naïfs tels que nombre de protestants évangéliques, elle demeure redoutablement efficace.

Autant ces « bons chrétiens » sont-ils prompts à dénoncer avec raison l’islamisme politique, autant serait-ils prêts à gouverner dans un régime chrétien fondamentaliste, oubliant volontairement ou par ignorance la terreur instaurée à Genève au XVIe siècle par Jean Calvin et son club d’intolérants n’hésitant pas à recourir à la pendaison, la décapitation et même au bûcher, pour liquider des opposants tels que le médecin et théologien Michel Servet. Or, aux USA et au Brésil, nombre de protestants évangéliques occupent maintenant, notamment grâce à Donald Trump et Jair Bolsonaro, des postes importants dans les structures démocratiques de ces états.

Ne nous leurrons pas, car l’essor des thérapies de réorientation sexuelle au Brésil et la suppression du droit fédéral à l’avortement actée aux USA, ne sont que les avants-goûts du monde parfait, que serait un régime théocratique instauré par ces « bons chrétiens » ne résistant pas plus à la Tentation de Genève que leurs ancêtres du XVIe siècle. Très probablement en mode soft, donc sans exécutions des opposants, mais le soft power n’étant pas le flower power, l’impérialisme culturel a aussi ses victimes et dommages collatéraux.

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