Alain Howiller : après les attentats de Paris…

... les terroristes ont perdu quelques batailles, mais pas encore la guerre !

L'Alsace aura donné un exemple de solidarité avec les nouveaux héros de la société. Foto: Claude Truong-Ngoc / Eurojournalist(e) / CC-BY-SA 4.0

(Par Alain Howiller) – «Personne ne veut y croire et pourtant, 2015 sera une année à hauts risques !», c’est ce que j’écrivais, ici même, le 6 Janvier. Le lendemain de cette parution, les attentats donnaient à cet article, plus rapidement qu’attendu, un caractère prémonitoire dont, à tout prendre, je me serai bien passé !

Au delà du deuil que le monde entier a partagé avec les 4 millions de manifestants qui ont battu le pavé des villes françaises, au delà de l’horreur partagée, au delà du signe de ralliement du «Je suis Charlie», quelle victoire les terroristes islamistes ont-ils remporté ? Quelle bataille ont-ils gagné dans la guerre qu’ils avaient déclaré aux «croisés» et aux juifs ? Il n’est pas trop tôt pour engager une réflexion sur ce plan !!

Charlie Hebdo à qui perd, gagne ! – Les millions de manifestants, les 44 chefs d’Etat ou de gouvernement qui, en rangs serrés, ont manifesté contre le terrorisme, ont apporté une première réponse aux djihadistes. «On a tué Charlie», avaient-ils-lancé après l’assassinat des membres de la rédaction du magazine satirique. Le prix payé est incontestablement sans commune mesure avec le résultat, mais «Charlie Hebdo», magazine pauvre, au bord de la faillite avec 30.000 ventes, a enregistré en 48 heures 10.000 abonnés de plus ! Il peut compter sur une aide exceptionnelle des pouvoirs publics à hauteur de 1 million d’Euros.

Les confrères se sont mobilisés pour mettre à la disposition du journal les locaux et le matériel nécessaires à la renaissance du journal. Ce dernier a re-paru, quasi normalement, en imprimant 3 millions d’exemplaires. La bataille de la mort programmée, tout comme celle de la peur superbement ignorée par les manifestants, a été perdue par les assassins !

Les nouveaux héros entrés en guerre ! – Ils ont réussi à rapprocher des gouvernements qui ne se parlaient plus, à faire applaudir les forces de police qui n’avaient jamais connu cela. Ils ont réussi à mobiliser les Français qui jusqu’ici, classés premier peuple pour leur pessimisme, ont retrouvé, avec le sourire, les clés du vivre ensemble. Ils se sont donnés de nouveaux héros. Parmi eux Frank Brinsolaro, le policier abattu l’arme au poing dans les locaux de Charlie Hebdo dont il protégeait le rédacteur en Chef, Ahmet Merabet, victime musulmane abattue par les terroristes sur le trottoir devant le magazine, de Clarissa Jean Philippe, la jeune policière municipale abattue à Montrouge avant que son assassin ne tue les quatre victimes juives (dont l’une avait fait ses études à Strasbourg) dans les locaux de la supérette «Hyper Casher». Les policiers et victimes de la supérette, unies dans la mort, ont été fait chevalier de la Légion d’Honneur, à titre posthume.

Mais parmi les acteurs héroïques d’un fait divers terroriste dont ils se sont sortis vivants, il y a aussi Lassana Bathily, le jeune malien qui a pu cacher et sauver des clients de la supérette «Hyper Casher», avant de réussir à fuir et à remettre la clef du magasin aux forces de police : son acte lui vaudra, espérons-le, la citoyenneté française, réclamée depuis longtemps.

Il y a le patron de l’imprimerie de Dammartin-en-Goële qui, voyant arriver les tueurs, a poussé son employé à se cacher : ce qui a permis à ce dernier, dissimulé dans un petit meuble (!), d’envoyer des SMS pour renseigner les forces de l’ordre avant l’assaut !

Et comment les oublier, les membres des forces de l’ordre qui ont réussi, avec courage et professionnalisme, à «éliminer» le danger terroriste. Ils illustrent à leur tour, ces batailles perdues par les islamistes.

La mobilisation des communauté religieuses : un exemple alsacien ! – Ces derniers n’ont pas réussi non plus à gagner leur bataille suprême : la stigmatisation de «l’Islam normal», auquel même le Premier Ministre Israélien a rendu hommage à Paris. Des milliers de musulmans et de juifs ont défilé, au coude à coude. Et dans ces cortèges, la pancarte n’était pas rare qui affirmait : «Je suis musulman, je suis juif, je suis… policier !» La plupart des imams ont profité de la prière du Vendredi pour demander aux musulmans de participer aux manifestations contre le terrorisme islamiste. Dans les synagogues, on a appelé les fidèles à se joindre aux manifestations et à se rapprocher de la communauté musulmane.

Les communautés religieuses se sont soudées contre l’islamisme et à Strasbourg, exemple parmi tant d’autres, le «Comité inter-religieux auprès de la Région Alsace», réunissant les responsables des principaux cultes en Alsace (catholiques, protestants, juifs, musulmans et boudhistes) a publié un communiqué manifestant son «effroi devant l’ignoble attentat, condamnent «un acte qu’aucune cause ne saurait justifier». Les membres du comité disent leur solidarité avec toutes les personnes visées… et invitent les membres de leurs communautés religieuses à être d’une extrême vigilance pour contrer toute violence et pour promouvoir le civisme républicain, le respect absolu de toute personne et la fraternité ! Condamnant le risque d’amalgame entre «Islam» et «Islamisme», Philippe Richert, Président du Conseil Régional d’Alsace, a souligné au sortir d’une réunion du comité inter-religieux : «Rien ne viendra détruire la fraternité qui nous unit».

L’Allemagne à la rescousse ! – Propos fermes et forts, qui rejoignent, outre-Rhin, ceux tenus lors de la vigile de Noël, par le cardinal Rainer Maria Woelki, archevêque de Cologne, s’adressant aux manifestants de «Pegida», le soit-disant mouvement «Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes» (Patriotes Européens contre l’Islamisation de l’Occident) qui fait défiler, à Dresde particulièrement, des milliers de partisans s’élevant contre «l’islamisation» de la société allemande. «Jésus était un réfugié, un migrant, je me dois de le rappeler en ces temps que nous vivons», proclamait le cardinal avant de poursuivre : «notre devoir est, avec les gens de bonne volonté, de tout faire pour que la volonté de Dieu et des hommes se concrétise au mieux». Et tout particulièrement, avait-il conclu «en ces jours où certaines organisations s’imaginent qu’ils doivent protéger l’Occident contre des gens qui souvent n’ont -littéralement- que leur seule vie à sauver lorsqu’ils viennent se réfugier en Allemagne».

C’était une quinzaine de jours avant les attentats:et ces propos portant sur l’attitude vis à vis des immigrés, illustrent, pour le moins, l’approche convergente qui s’impose face aux musulmans sur les deux rives du Rhin. Une approche aussi symbolique que ce geste d’Angela Merkel vis à vis de François Hollande qui l’accueillait sur le perron de l’Elysée.

Hollande, Merkel et… Sarkozy : même combat ! – Le Dimanche de la grande manifestation à Paris, entourée de son vice-chancelier et des ministres allemand et français des Affaires Etrangères, la Chancelière a, une fraction de seconde, posé familièrement sa tête sur l’épaule du président français qui l’étreignait. Une signe de solidarité, prolongée un peu plus tard par la bise claquée à l’ancien président Nicolas Sarkozy. Les deux dirigeants français s’étaient retrouvés, pour la première fois depuis 2012, au Palais de l’Elysée, symbolisant ainsi l’Union Nationale voulue par la gauche (hormis l’extrême gauche) et la droite (hormis l’extrême droite), pour gérer l’après attentats !

Visant les manifestants de «Pegida», la Chancelière allemande avait déclaré : «Ne pas céder à ces gens, ils prétendent être le peuple, mais en fait, ils disent vous ne faites pas partie de ce peuple, à cause de la couleur de votre peau ou de votre religion… L’immigration est pourtant, en réalité, un gain pour tout le monde !» François Hollande n’a pas dit autre chose, lorsqu’il avait inauguré le musée de l’immigration à Paris : il ne se doutait pas, alors, que quelques semaines plus tard, après l’intolérable attentat, il aurait le devoir préciser sa pensée face aux menaces que le «djihadisme» fait peser sur la liberté d’expression et sur ceux qui l’incarnent. Ces propos convergents ont été repris ces jours derniers, de part et d’autre du Rhin, avec ce leitmotiv : pas d’amalgame entre Islam et Islamisme, entre musulmans et islamisme. Les musulmans ont peur, tant en France qu’en Allemagne, d’être victimes de ces approches délétères.

Le report du «sommet» franco-allemand de Strasbourg. – La convergence franco-allemande, manifestée le jour-même où une rencontre (reportée) devait avoir lieu à Strasbourg entre Merkel-Hollande et Martin Schulz, pour relancer l’Europe, est d’une certaine façon une autre bataille perdue par les terroristes. Tout comme la rencontre Europe-USA des Ministres de l’Intérieur qui ont décidé de renforcer leur coopération contre le djihadisme.

Le Premier Ministre français, se souvenant qu’il a été ministre de l’Intérieur, a annoncé un nouveau renforcement de l’arsenal juridique contre le terrorisme. Mais renforcer, mieux adapter Schengen, ne doivent pas faire oublier que cela ne suffit pas. Certains refus de manifester, d’observer dans un certain nombre d’écoles la minute de silence en l’honneur des victimes du terrorisme, les procès pour «apologie du terrorisme» ne doivent pas faire oublier qu’en dépit de l’Union Nationale et les manifestations, le combat terroriste n’est pas perdu encore. Les opposants au terrorisme ont gagné des batailles : ils n’ont pas encore gagné la guerre.

La «judiciarisation» du terrorisme est, certes, une manière d’agir, mais pour les manifestants «d’en bas» -pour reprendre l’expression d’un ancien Premier Ministre- il y avait sans doute davantage : la volonté d’une relance du vouloir vivre ensemble, la restauration d’un authentique débat démocratique, la régénération du monde politique, le refus de l’amalgame «Islam / Islamisme», une analyse -à froid- de ce que nous venons de vivre et de ce qui a amené cette situation.

Le peuple des manifestants exige. – Cela suppose une grande lucidité et beaucoup de courage. «Si la France n’en a pas terminé avec les menaces», pour reprendre le propos du Président de la République, il faut anticiper l’éventuel (et peut-être probable) prochain coup. Tout en sachant que les autorités musulmanes sont elles-mêmes désemparées devant les actions terroristes déclenchées par des coreligionnaires activistes, il faudra agir et, au delà de l’action pénale, faire de la prévention.

Après la «marche républicaine», qui a mené plus de 4 millions de citoyens (dont 45.000 à Strasbourg, 25.000 à Mulhouse, 10.000 à Colmar) dans les rues du pays, tout commence maintenant. L’encre de la page d’Histoire écrite ce Dimanche 11 Janvier n’est pas sèche encore : la page «conclusion» reste ouverte… Il faudra bien la remplir et… la remplir bien. Ceux qui ont battu le pavé auraient pu reprendre le slogan des anciens protestataires de l’ex-DDR : «Nous sommes le peuple»… Le peuple attend ! Et pas seulement côté français du Rhin !…

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