Alexandre Adler à la Librairie Kléber

La vie en rose dans un monde de brutes

Alexandre Adler, grand conteur de la politique internationale à la Librairie Kléber, le 4 janvier Foto: MC / Eurojournalist(e) / CC-BY-SA 4.0int

(MC) – Le célèbre Alexandre Adler est venu vendredi dernier à la Librairie Kléber nous gratifier d’une présentation de son dernier ouvrage, Le Temps des apocalypses (Grasset). Des apocalypses plurielles, simultanées et successives, vraiment ? Comment cela ?

Dans sa présentation, François Miclo a remarqué malicieusement que Jean, l’auteur présumé ou prétendu de l’Apocalypse, était bien présent là, puisque le symbole de l’apôtre, c’est l’Aigle. Et qu’Aigle, en allemand, se dit… Adler ! Et pourtant, on a surtout entendu un discours classique et brillant sur les linéaments de l’actualité mondiale. Sans plus ?

Les évocations d’Alexandre Adler dans son dernier livre passionnent quand l’auteur décline les grands problèmes qui se posent à nous en matière d’urbanisation, d’écologie, de démographie, et dans le domaine numérique. Matières dont n’a  guère traité qu’incidemment vendredi soir.

Un peu au gré de sa fantaisie de conteur, Adler a préféré parcourir quelques-unes des lignes fortement tracées de l’actualité mondiale, sans nécessairement lacer de nœuds ou tracer des carrefours entre ces lignes électriques, d’ailleurs : en substance, Etats-Unis et Trump, Russie poutinienne, la Chine et l’Europe, l’ islam dans le monde.

La situation des Etats-Unis de Trump effraie tout le monde. Mais les Etats-Unis connaissent de nombreux éléments stabilisateurs. Des éléments stabilisateurs ? Bien sûr : l’armée, un certain nombre d’institutions, le Sénat même… Les Etats-Unis s’en prenaient récemment à l’Union Européenne avec une arrogance qui s’explique par le fait qu’on avait dit (on, c’est-à-dire quelques personnages et députés européens d’extrême-droite, Philippot notamment qui porte donc une lourde responsabilité) que l’euro allait perdre 20 % de sa valeur. Eh bien non ! Grâce à l’activité vigoureuse et pertinente de Mario Draghi, le président de la Banque Centrale Européenne, l’euro n’a rien perdu de sa valeur. Actuellement, il redescend ; mais, n’est-ce pas, les circonstances et l’intérêt même des Européens est conforme à cette glissade modérée. Tout est donc pas mal dans le moins pire des mondes. Et les apocalypses continuent à être une théodicée molle, grâce à Monsieur Adler. Le reste de ses évocations le montre fort bien. Le monde d’Alexandre Adler est très tonique. On ’imagine bien Adler se balancer sur une chanson de James Brown, It’s a Man’s man’s world, par exemple.

Faut-il craindre Poutine ? L’économie russe est en mauvaise posture et Poutine plastronne, ce n’est un secret pour personne. Et Poutine (comme Trump!) souffre de difficultés psychologiques indéniables. Mais il y a ce puissant volontarisme du Tsar Vladimir, qui pour Adler, l’apparente à Emmanuel Macron… Et puis, ces relations surprenantes de Poutine avec Israël, en particulier avec Benjamin Netanyahu avec lequel il forme une sorte de « duumvirat ». Et Adler « explique »  cela en parlant d’origines juives de Poutine, qui aurait été adopté par des Russes orthodoxes à la fin de la guerre, extirpé d’un orphelinat à 8 ans après le cauchemardesque siège de Stalingrad… D’où proviennent ces données ? Je l’ignore. En parlant ainsi du Grand Vladimir pagayeur et chasseur d’ours, Adler me rappelle beaucoup mon Tonton sépharade qui voyait des juifs partout, à peine s’il n’avait pas repéré des racines juives à Madame De Gaulle ou à Pompidou (c’est peut-être le cas, d’ailleurs, allez savoir).

En tout cas, ce volontarisme pourrait-il être couronné de succès ? Le problème se pose de manière tout à fait parallèle, selon Adler, pour Macron. Tandis que Poutine se précipite au Moyen-Orient pour faire oublier aux Russes (et aux Européens) les difficultés économiques et l’existence malencontreuse d’un pays qui se nomme « Ukraine », Macron, lui, ne sachant pas trop comment s’adresser aux Français, ce fichu peuple hérissé des épines enflammées du ressentiment social et de l’égalitarisme, reprend ou va reprendre son opération de com’ pour jouer un rôle souverain à la tête de l’Union Européenne. Le moment serait propice, certes, n’eussent été la période actuelle des basses eaux de la popularité macronienne…

Et la Chine ? Oh, bien sûr, estime Adler l’optimiste, nous n’avons pas à craindre les Chinois ! Les jeux de pouvoir font, en somme, que la stratégie actuelle n’est plus de tension, mais bien plutôt de pression, et le résultat, nous l’espérons, une solution politique tierce, intermédiaire entre la position des durs et celle des mous. La Chine, alliée de l’Europe, et face aux Etats-Unis ? Pour Adler, ce n’est pas impossible. A cela, beaucoup d’obstacles, mais pour cela, beaucoup d’atouts aussi. Notamment le rapprochement de la République du Milieu avec le Japon, lui-même allié de l’Europe depuis 1945, et qui bénéficie depuis cette date de la présence d’une élite pacifiste – un peu éteinte actuellement par certaines tendances nationalistes, il est vrai. Et les partisans haut placés d’une alliance sino-japonaise ne manquent pas , ni au PC chinois, ni moins encore au Japon.

Et il y a aussi la situation de ces très nombreux étudiants qui viennent se former en Occident, et qui finissent par revenir en Chine. Un fait ambivalent, mais dont le versant positif est l’influence occidentale croissante de ces milieux dans leur pays d’origine.

Oui, et l’islam ? Ici encore, l’optimisme adlérien ! L’auteur mise sur l’influence des « libéraux » dans les différents pays musulmans – car l’opposition « libéraux »-fondamentalistes est beaucoup plus essentielle pour lui que celle entre chiites et sunnites, qu’on rabâche à longueur d’infos télévisées. Alexandre Adler porte des lunettes roses même pour observer l’Arabie saoudite, où il semble bénéficier d’amitiés précieuses et solides dans le « camp du Bien ». Et il avance quelques affirmations à la limite de la cocasserie : notamment que « les Arabes saoudiens ont du mal à se tuer entre eux », et cela quelques semaines après l’affaire Khashoggi !

Dans ses ouvrages et dans ses interventions, Adler n’évite pas certaines coquetteries de langage : par exemple, l’usage même qu’il fait, dans son dernier livre, du terme d’ « apocalypses » : il s’agit ici, en réalité, de ré-vélations partielles, dont on n’aperçoit pas même toujours les interférences, et dont l’aboutissement lui-même, bien sûr, n’est pas visible… Et, mieux encore, sa référence au ” quantique “, de celles qui font beaucoup rire les physiciens ; ce dont il traite ne relève nullement du « quantique », mais très banalement, de cet aléatoire historique que Pascal apercevait déjà dans le nez de Cléopatre, et puis Paul Valéry, et Alain, et aussi Marc Bloch… Le quantique, c’est tout autre chose. Mais cela demanderait un développement à soi tout seul.

En tout cas, un exposé très stimulant à la librairie Kléber, qui a bien montré comment précisément l’Histoire n’est pas soumise entièrement à des démons pervers et à la fatalité, mais qu’elle est aussi le résultat de l’action consciente et volontaire des hommes.

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