Alfred Toepfer: être ou paraître ? (1/5)
La richissime « Fondation Alfred Toepfer F.V.S. » à Hambourg distribue depuis de longues années des prix culturels prétendument européens. Pourtant, celui que l’on célèbre par ce biais était tout sauf un grand européen comme voudraient le faire croire certains responsables.
(Kai Littmann) – La « Fondation Alfred Toepfer F.V.S. » est considérée comme la plus riche fondation privée en Allemagne. Son capital s’élèverait à environ 90 millions d’euros. Cet argent sert à l’organisation de nombreux prix et bourses à vocation européenne, mais il convient de regarder de près qui était le fondateur de cette structure dont les prix célèbrent à la fois l’Europe et ce fondateur. Car en examinant la personne de ce dernier, on constate qu’il était tout sauf un grand Européen tel que nous l’entendons. Au contraire.
Alfred Toepfer, né en 1894 à Hambourg-Altona , grandit dans un milieu modeste, mais montra très tôt de grandes ambitions soutenues par une étonnante capacité de réaliser des projets à hauteur de ces ambitions. A l’époque, une partie de la jeunesse allemande était habitée par un fort nationalisme, ce qui explique aussi qu’Alfred Toepfer se porte volontaire à l’enrôlement dans l’armée allemande en 1914. A la fin de la guerre, il reconduit sa section « en bon ordre » à Hambourg.
Habile homme d’affaires, Alfred Toepfer fait carrière et fortune dans le commerce de céréales. Proche des cercles nationalistes, il n’adhère à aucun parti politique, mais non pas parce qu’il ne se reconnaît pas dans ces partis, mais, comme il dit en 1930 lorsque l’on lui propose de rejoindre la DNVP (Deutschnationale Volkspartei, extrême-droite antisémite dont les députés décidèrent en 1933 de la dissolution du parti pour rejoindre le NSDAP), il attend l’arrivée d’une « future forme de gouvernement qui n’aurait rien en commun avec le système parlementaire ».
Les fondations. En 1931 Alfred Toepfer crée ses propres Fondations FVS (Freiherr vom Stein) à Hambourg et Johann Wolfgang Goethe-Stiftung au Liechtenstein. Il s’agit de la Fondation Johann Wolfgang Goethe – à ne pas confondre avec la Fondation Johann Wolfgang von Goethe de Bâle, créée en 1968. Les fondations de Alfred Toepfer commençaient rapidement à décerner des prix culturels à des artistes issus de minorités de souches germaniques à l’étranger. La mission de ces fondations était d’unir les 13 à 14 millions de personnes faisant partie de ces minorités germaniques dans d’autres pays européens. Situation favorable à l’éclosion d’une » cinquième » colonne ?
Si Alfred Toepfer fut arrêté en 1937 par la Gestapo, fait que relate volontiers la Fondation, ce n’était pas parce qu’il avait eu des activités subversives. La Gestapo lui reprochait simplement des activités frauduleuses dans la manipulation des devises, estimant que ses fondations à l’étranger n’étaient autres que des sociétés écran dont le but était de poursuivre ses activités commerciales à l’étranger en contournant les lois nazies. En effet, pour être libéré en 1938, Alfred Toepfer dut accepter de quitter la présidence de ses fondations. Ce qui ne changeait en rien ses excellentes relations avec les nazis.
Si la « Fondation Alfred Toepfer F.V.S. » écrit fièrement « Après 1933, il ne devint pas un fervent adhérent du national-socialisme », force est de constater qu’Alfred Toepfer n’avait pas seulement d’excellentes relations au plus haut niveau de la nomenclatura nazie. Ainsi en 1936, il propose à Rudolf Hess le haut patronage de l’ensemble de ses fondations puis, en 1940, ses rapports sur les minorités en France sont directement adressés au ministre de la propagande Joseph Goebbels. De plus, de nombreux chefs nazis passaient du temps au domaine Kalkhorst que possédait Toepfer dans le nord de l’Allemagne, mais c’est aussi en 1940 que ce dernier rejoint, selon ses propres dires sur invitation de Reinhard Heydrich, autre grand nom des nazis, le service de contre-espionnage (ALST) à Paris avec le rang de capitaine. Une belle carrière pour une « victime » des nazis.
Après la guerre, Toepfer réussissait à être « dénazifié » rapidement. Dès qu’il pouvait reprendre ses affaires, il accueillait plusieurs anciens représentants de la deuxième ligne des nazis et de la SS qui trouvaient abri dans le conglomérat des fondations et sociétés en la possession de Toepfer.
Depuis, la «Fondation Alfred Toepfer F.V.S.» (qui porte le nom de son fondateur depuis son décès), décerne différents prix culturels et européens. Il y a le Prix Kairos, le Prix Cultura, le Prix Max-Breuer et la fondation décerne également des bourses à de jeunes Européens. Les anciens prix, comme le « Hansischer Goethepreis“, le « Freiherr-vom-Stein-Preis », les prix « Shakespeare, Montaigne, Herder, Alexander-Puschkin » et d’autres ont été abolis au fil des années. Les prix et bourses sont à présent décernés au nom de la culture, de l’Europe et de l’entente entre les peuples.
Mais est-ce que les lauréats des prix connaissent le rôle d’Alfred Toepfer dans la machinerie des nazis et savent-ils qu’il accueillait des anciens nazis dans sa structure ? Ignorent-ils que celui qui est présenté aujourd’hui comme un « grand européen » rêvait certes d’une nouvelle Europe, mais d’une Europe totalement germanique ? Sans doute.
Est-ce que le but des activités de cette fondation à Hambourg est réellement la promotion de la culture européenne ou ne s’agirait-il pas plutôt d’une apologie massive d’un personnage historique fortement et volontairement impliqué dans le fonctionnement de l’Allemagne des années 30 du siècle dernier ?
Dans le cadre d’une mini-série, nous vous présenterons ces prochaines semaines, plusieurs dossiers sur la vie d’Alfred Toepfer – qui expliqueront partiellement le système qui, après la IIe Guerre Mondiale, a permis à de nombreux nazis de se fondre dans la masse des Allemands et qui ont ainsi pu échapper à la justice allemande d’après-guerre. A tout péché miséricorde, mais à la condition que le péché soit reconnu.
Les prochains articles de cette série concerneront « Alfred Toepfer et sa relation étrange avec l’Alsace », « Alfred Toepfer et sa vision de l’Europe » et « Alfred Toepfer et son empire d’après-guerre » et on terminera cette série par une interview avec le président de la fondation.
Apologie ou promotion culturelle européenne – après cette série, vous en jugerez vous-même.
Kommentar hinterlassen