Allemagne : Brunes, oui brunes sont mes bottes

Des jeunes votent AfD en Saxe et dans le Brandebourg

Quel avenir pour "HoyWoy" (Hoyerswerda) ? Foto: SeptemberWoman/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 3.0Unp

(Marc Chaudeur) – Une proportion non négligeable des électeurs de 18 à 35 ans a voté pour l’extrême-droite dimanche dernier lors des élections régionales. Pourquoi et comment ? Pour le comprendre, il convient d’aller plus loin que les clichés répandus sur cet électorat particulier.

Une donnée essentielle, d’abord : l’AfD semble avoir réussi à présenter une apparence de normalité, et il n’est ainsi plus considéré comme un parti extrémiste. Selon l’excellent média allemand Bento, en Saxe, 20% des jeunes de 18 à 24 ans ont choisi l’AfD ; les Verts aussi ont récolté 20% de leurs voix. Chez les 25 à 34 ans, l’AfD réalise un score encore plus élevé : 26%, contre 15% pour les Grünen. Dans le Brandebourg, les 18 à 24 ans ont donné pour 18% de leurs voix au parti d’extrême-droite ; il est dépassé par les Verts, qui récoltent 27% de leur voix ! Pour les 25 à 34 ans, 30% d’entre eux ont voté AfD : le double de leurs voix pour les Verts.

Comment expliquer que tant de jeunes aient voté pour le parti brun ? Cela va à l’encontre de l’un des clichés faux qu’on produit spontanément sur l’AfD : un parti de vieux aigris de la classe moyenne. Eh bien non, hélas… Les jeunes partagent-ils pour autant ses « valeurs » ? Pour la plupart, non, sans doute : l’aspect « protestataire » du parti (du moins pour l’instant…) les séduit sans doute bien davantage que son programme écrit. Les jeunes ont voté contre les vieux partis conservateur et social-démocrate.

Ce qui montre que l’AfD a réussi à se banaliser : si le fait qu’il représente une force neuve contre SPD et CDU importe plus que son contenu idéologique et que les effusions intimes et plus ou moins discrètes de ses dirigeants (Kalbitz dans le Brandebourg, Urban en Saxe ou Höcke en Thuringe, notamment) avec des identitaires ultra-violents et des nazis, cela constitue pour l’AfD une réussite très préoccupante de son appareil de propagande. Mais ses jeunes électeurs et sympathisants pratiquent la dénégation et parfois, s’exaltent de leurs postures rebelles anti-establishment. L’AfD s’y entend aussi à cacher la forêt fasciste derrière les préoccupations sociales stricto sensu : par exemple, le laïus völkisch et l’exaltation heimateuse derrière le souci de la formation professionnelle. Ce déplacement, on le connaît dans toutes les formations autoritaires ou totalitaires.

Pourquoi les jeunes votent-ils si souvent pour un parti dont 35% des sympathisants appartiennent aux 20% les plus riches de la population ? Pour le sociologue Mathias Quent (dans son ouvrage Deutschland rechts außen, 304 p., Piper 2019), le ressentiment des parents déteint sur leurs enfants, insuffisamment formés politiquement et civiquement, et les imprègne fortement. La propagande de l’AfD a ainsi ciblé ces familles qui ont souffert de la réunification ; elle va jusqu’à parler parfois d’une seconde Révolution de 1989…

Il semble bien que les votes des jeunes pour les Grünen et ceux pour l’AfD ont de puissants points communs. Leur aspect protestataire. Mais aussi le fait qu’ils génèrent un sentiment d’appartenance commune, une communauté d’intuition – ce dont les grands partis moribonds sont devenus radicalement incapables. Et le sentiment de pouvoir construire un avenir… Sentiment ou illusion ? Avancée semblable à celle de l’Ange de Paul Klee, qui vole en regardant derrière lui ? Dans le cas de l’AfD, oui : certaines mesures que propose le Programme du parti réaliseraient un retour à une certaine RDA ou aux années 1950 occidentales.

Et, fondamental, il y a le sentiment du mépris, voire de l’abandon dans certaines régions par les gouvernements successifs. Les contradictions nodales. Par exemple, il est absolument ahurissant de voir qu’en 2020 encore, on prévoit de démantibuler des villages entiers de la Lusace (Lausitz) – comme en 1955 – pour étendre les carrières d’exploitation de lignite ! Les dirigeants allemands ont considérablement tardé dans la reconversion « propre » de ce Far South East. Restent les Verts qui défendent l’environnement et s’opposent à ces destructions, et les Bruns qui défendent l’emploi. Un antagonisme qu’on connaît ailleurs, mais qui prend là-bas un tour vraiment dramatique, puisque l’enjeu en est aujourd’hui un changement de société.

En somme, ce qu’on peut espérer de mieux pour l’instant, c’est un renforcement des Verts, contre les forces destructrices de la démocratie et de la liberté. De la Liberté.

A consulter : https://www.bento.de/politik/

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