Allemagne : collectiviser BMW ? (bis)

Un exemple historique oublié

EMW : la variante est-allemande communiste de BMW, où le rouge remplace les couleurs bavaroises Foto: Ulrich Wanner-Laufer/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 3.0Germany

(Marc Chaudeur) – Kevin Kühnert, dirigeant des Jeunes socialistes, ne croit pas si bien dire lorsqu’il préconise la « collectivisation » du fabricant automobile BMW. Dans sa version RDA d’Eisenach, la firme a été nationalisée après 1945 sous le sigle EMW, puis AMW. Avant de sombrer comme toute l’économie du pays dans les années 1980. Intéressant : pourquoi personne, ni à gauche ni à droite, dans le débat foisonnant que Kühnert a soulevé, n’a-t-il mentionné cet exemple historique si précieux ? Par ignorance ? Par précipitation anxieuse de s’exhiber devant tous les médias allemands avant même de poser le problème ?

En effet , la firme BMW avait une filiale importante à Eisenach, en Thuringe, En 1945, les Soviétiques installés dans la future RDA s’en emparent. Pour dommages de guerre, ils remettent l’usine en marche et se paient de 3000 exemplaires de véhicules BMW. L’entreprise est intégrée ensuite dans la marque soviétique Avtovelo. En 1951, BMW de Munich obtient devant un tribunal que la partie BMW d’Eisenach se nomme EMW, afin de bien distinguer les deux, et sans doute de montrer à quel point le capitalisme est plus vertueux, et surtout point entaché d’histoires de cosaques.

Et voilà que la EMW devient VEB (VolksEigener Betrieb, c’est-à-dire entreprise nationalisée), puisque les Soviétiques ont refilé la marque à la direction de la RDA nouvellement fondée. Puis, à partir de 1955, elle se nommera AMW (pour Automobilwerk), puis Wartburg dans les années 1960. Voilà donc que nous sommes exactement dans la situation paradisiaque que réclame le jeune Tintin Kühnert : BMW collectivisée.

Suit, on s’en doute, une production orientée par les standards « socialistes » – ceux du socialisme stalinien totalement planifié, avec une rigidité outrancière. C’est d’abord la EMW 309 et la période optimiste qui s’éploie. Un véhicule EMW participera même au Championnat du Monde de formule 1 en 1953, avec au volant le sémillant Edgar Barth. Sans résultats mirobolants : Edgar Barth et sa EMW ne figurent pas au palmarès des 18 meilleurs. Et pour comble, le Fangio de la nouvelle Sparte passera à l’Ouest en 1957 avec larmes et verbiage !

Puis, après quelques étapes intermédiaires, naîtront les Wartburg 311, 312 et 313 et, en 1966, la Wartburg 353 avec son moteur à 2 temps… Un véhicule qui échoue à se vendre à l’étranger : moteur trop faible, polluant, design un peu suranné… Au milieu des années 1980, le moteur paraît franchement dépassé : l’entreprise d’Etat achète alors la licence d’un moteur Volkswagen déjà vieux d’une dizaine d’années, celui de la Polo. Enfin, en 1988, la VEB fabrique la Wartburg 1.3, plutôt chère pour les citoyens de la République socialiste.

De la BMW d’Eisenach à la dernière Wartburg rétro-vintage de 1989, voilà donc l’histoire étrange d’une métamorphose involutive, d’un papillon qui devient chenille… En termes de performances techniques, utilitaires et… sociales, il serait difficile d’avancer que l’entreprise étatisée/collectivisée ait représenté un quelconque progrès. Certes, il serait absurde de comparer point par point, candidement, les résultats obtenus par la BMW de Munich et la EMW d’Eisenach. Mais la qualité à peine passable de ces véhicules, globalement plus polluants que ceux de l’Ouest, le prix élevé (surtout dans les années 1970 et 1980) de ces véhicules (environ 25 à 30 mois de salaire moyen pour la Wartburg) et l’attente de plusieurs années pour accéder à leur achat ne constituent pas un argument en faveur de la nationalisation des grandes firmes. A moins d‘avoir suffisamment d’ingéniosité pour inventer de nouveaux standards… Au boulot, Kéké Kühnert !

L’exemple de BMW, dûment avancé par le Jeune Socialiste, ne peut être que singulier, bien que très significatif du capitalisme moderne et de la démesure des profits engendrés. Son caractère partiellement convaincant n’ôte rien à la nécessité d’une réforme importante de l’économie de marché. C’est ce qu’avance notamment le directeur du DIW, (l’Institut Allemand de Recherches Economiques), Marcel Fratzscher. Les points essentiels de sa critique portent sur la mauvaise régulation de l’économie de marché par l’État depuis 1945, et liée à cette lacune, la confiance beaucoup trop grande accordée aux banques… L’économiste appelle donc à une meilleure régulation, un meilleur contrôle et des règles plus strictes à appliquer pour les banques. Il remarque aussi le nombre beaucoup trop important de salaires trop bas et le risque effectif d’une augmentation de la pauvreté – et cela, de façon contradictoire, dans une époque de boom économique en Allemagne.

Réformisme social-démocrate contre socialisme autoritaire d’État, le débat n’est franchement pas nouveau ! Reste le mérite du jeune Kühnert d’avoir soulevé le nuage de moustiques en marchant dans la mare un peu croupie des grands partis installés.

 

 

 

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