Allemagne : et la Gauche ?

Déclin et déchéance annoncées ?

Bodo Ramelow pourra-t-il l'emporter en Thuringe ? Foto: Steffen Prôssdorff/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 4.0Int

(Marc Chaudeur) – Il y a peu, Die Linke (« la Gauche ») faisait des scores d’environ 20% dans les Länder de l’ Est. Ce n’est plus le cas : au moins dans les dernières élections régionales de dimanche dernier, die Linke n’ a remporté qu’une dizaine de points. Pourquoi une telle baisse de l’adhésion des électeurs ? Où sont-ils passés ?

Die Linke, mouvement à gauche du SPD, est le produit de deux séries causales en interaction : dans l’Est de l’Allemagne, la reconversion du parti communiste (SED), en lambeaux après la « chute du Mur », en 1989 ; à l’Ouest, la protestation contre ce qu’on a appelé Hartz IV, c’est-à-dire l’ensemble de mesures sociales très dures qu’ a initiée le… SPD et surtout Gerhard Schröder, son dirigeant, dans les années 1995. A l’Est, la fin du régime stalinien a accouché après quelques années de flottement du PDS, mené par des personnages tels que Gregor Gysi, fort en gueule et omniprésent, que beaucoup qualifient de charismatique. A l’Ouest, la protestation sociale a engendré une scission au sein du SPD social-démocrate, et a donné naissance à l’Alternative pour le Travail et la Justice sociale (WASG), autour de personnages comme Oskar Lafontaine.

A l’Est comme à l’Ouest, le but était le même : défendre et imposer la justice sociale dans une situation difficile, bien que pour des raisons parfois différentes selon les Länder. Cela avec des idées somme toute semblables – malgré la profusion (classique aux partis de gauche) de courants à l’intérieur de la WASG, et malgré une ostalgie un peu obscène parfois : ainsi, en 2011, le journal Junge Welt, émanation du PSD, titrait : DANKE !  (Merci!). Merci pour cet admirable Mur construit pour défendre la paix et la justice ! Mais en 2007, les deux partis ont fusionné, assez aisément.

Die Linke, recueillant l’héritage dramatique et aigre-doux de 45 ans de socialisme stalinien, mettait de la vaseline dans les cérémonies initiatiques qui accompagnaient le passage au capitalisme libéral mâtiné de social-démocratie. Tout comme il coulait du miel dans le schrödérien flot de fiel de Harz IV. Les résultats électoraux ont cependant toujours été meilleurs à l’Est qu’à l’Ouest.

Et voilà venu le développement que l’on sait : l’Est a décollé, oui, mais plus lentement que prévu, avec des problèmes sociaux bien prévisibles – et cependant pas toujours prévus. Les Länder de l’Est ont souvent eu l’impression, parfois justifiée, de n’être qu’une arrière-cour, une réserve et un refuge de sous-traitants et, parfois, de matières premières – comme l’Afrique noire au XIXe siècle pour la glorieuse République Française. Et les effets des crises sont immédiatement bien plus sensibles entre Elbe et frontières orientales qu’à l’Ouest : de ce fait, les décisions dures prennent l’apparence de l’arbitraire et de l’injustice, y compris lorsqu’elles proviennent de conseils partiellement gérés par la Gauche, ou lorsqu’elles sont entérinées bon gré mal gré par cette dernière.

C’est ainsi que l’AfD, parti démagogique et xénophobe dont il faut bien être conscient qu’il se situe aux franges du nazisme, a commencé à grimper – très rapidement. Aux dernières élections législatives régionales en Saxe et au Brandenbourg, la semaine dernière, l’AfD est devenue la seconde force politique et Die Linke, qui faisait des scores autour de 20% à l’Est, a diminué ses résultats de moitié. Reste la Thuringe, que dirige un ministre président issu de Die Linke, Bodo Ramelow. Les élections dans ce Land auront lieu le 27 octobre prochain.

Deux partis protestataires, l’AfD et Die Linke ? Mais la seconde a derrière elle la gestion de plusieurs Länder, au moins dans les rangs des conseils, et on peut en évaluer l’action et ses résultats.

Dans la presse allemande, Bodo Ramelow a essayé de cerner le problème de l’Est. Il a mis en garde les dirigeants contre sa marginalisation possible – ou déjà amorcée. Il a estimé que l’Est était traité comme une colonie, productrice de pièces détachées, par exemple pour Daimler. De plus, très justement, il a remarqué que rien ne servirait à ajouter à l’indignation que manifeste l’AfD l’indignation de Die Linke quant à l’AfD… C’est à sa possible utilité que la Gauche sera jugée.

D’autres dirigeants considèrent que le parti s’est éloigné de ses électeurs initiaux, et qu’il a ainsi laissé le champ libre à l’AfD. Ce qui est vrai : une moitié de l’électorat a fui vers l’AfD, surtout en Saxe ; dans le Brandebourg, une partie s’en est allée rejoindre les rangs des Verts et du SPD…

Une constatation s’impose donc, une fois de plus : ce sont les Verts qui, en Allemagne, sont porteurs d’avenir, face aux menaces fascistes et… à l’héritage parfois pesant ou encombrant de la Gauche. Les Grünen devront ainsi assumer du mieux possible une responsabilité nouvelle. Exaltante et angoissante à la fois.

 

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste