Allemagne : Kevin et les sociaux-démocrates

Le vide a horreur du jeune

Kevin Kühnert descend dans les caves du SPD en compagnie du fantôme de Helmut Schmidt Foto: Ferran Cornellà/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 3.0Unp

(Marc Chaudeur) – La semaine dernière, les grands pontes du SPD ont entrepris leur désormais annuelle Spargelfahrt sur le Wannsee en bateau. Il s’agissait, non pas de comparer la taille respective de leurs asperges, mais de s’entretenir de l’avenir du SPD, qui semble bien menacé. Et le thème qui revenait de façon lancinante, c’était : Keke ceci, Kühnert cela, oui non si ah ! Kevin Messie, Keke pas lui…

La discussion sur l ‘avenir du SPD passe donc apparemment par celle sur l’avenir du dirigeant des Jeunes Socialistes, qui fait beaucoup parler de lui surtout depuis son interview du 1er Mai à Die Zeit.(https://www.zeit.de/). Une interview fracassante où le jeune homme âgé de bientôt 30 ans a suscité une discussion très drôle et très inquiétante à la fois : il y appelait en effet à la collectivisation immédiate des grandes firmes allemandes, BMW notamment (https://eurojournalist.eu/allemagne-collectiviser-bmw-bis/). Qu’une discussion sur un thème pareil puisse faire florès au sein du SPD est très significatif : faut-il donc reprendre sur un ton aussi sommaire et schématique, pour réveiller Barbarossa SPD en sa montagne endormi, les vieilles antiennes du socialisme dix-neuviémiste ? En tout cas, cette chamaillerie a eu pour mérite de révéler à ceux qui l’ignoraient l’état, plutôt délabré, de la doctrine politique du parti.

Kevin Kühnert, 30 ans, a-t-il des chances de devenir le prochain Président du SPD ? Oui, sans doute, malgré son air nunuche de Peer Gynt coincé en banlieue. Oui pour plusieurs raisons liées entre elles. A cause de la déréliction du parti, d’abord – mais rappelons d’abord que c’est tout un système politique qui est en crise, tout comme en France ; les grands partis ne font plus recette parce qu’ils ont perdu leur substance ; qu’ils n’ont pas de remèdes efficaces à proposer, du moins le croit-on. Et parce que leurs programmes se projettent à moyen terme, et que cela impatiente le citoyen moyen : c’est là d’ailleurs l’ une des raisons des bons scores des Grünen, qui proposent des mesures immédiates contre le dérèglement climatique.

Remarquons d’abord que Kühnert est très présent dans les grandes décisions, serait-ce en creux : par exemple, c’est parce qu’il a mis une sourdine à son opposition initiale à l’idée d’une Grande Coalition qu’elle a été réalisée… Tintin Kühnert ne débarque pas soudain de son Ile Mystérieuse.

Par ailleurs, le tout jeune homme avec une drôle de mèche sur la tête, par la provocation sommaire qu’il exerce dans son interview de Die Zeit, ramène à sa manière le SPD à ses anciens parapets : être de gauche, lutter pour la justice sociale, et prendre des mesures concrètes pour la réaliser. Beaucoup de vieux caciques chenus se sont sentis interpellés : oui, il faut regagner de la substance osseuse après les grandes ponctions de Hartz IV et apparentées, tout au long des années 1990 et 2000. Kühnert bénéficie de nombreux soutiens, pour la plupart assez discrets parce qu’ils ne veulent pas prématurer la candidature de Keke. Et sa jeunesse est à la fois un inconvénient et plus encore, un atout : on a bien vu comment les élections ont réussi aux dirigeants mûrs et expérimentés… Et les gens jeunes comprennent mieux les problèmes surgis récemment ! Même remarque pour l’ « amateurisme » de Kühnert, souvent mis en avant : de quelle utilité a été le « professionnalisme » des vieux pontes ?

Un SPD renouvelé, cela s’appelle : rapprochement des thèses de Die Linke… Et certaines personnalités, Daniel Cohn-Bendit par exemple, ont exposé récemment une éventualité qui vient nécessairement à l’esprit : pourquoi pas un seul grand parti allemand de gauche ? Oui… Pour cesser d’y croire, il faut cesser de fumer du waldmeister. Il y a trop de contentieux personnels entre les deux formations, et trop de thèses irréconciliables, par exemple celle essentielle concernant l’ OTAN : celui qui croit à Washington, celui qui n’y croit pas… Une telle fusion semble impossible pour les dix années à venir, et Kühnert ne sera pas le dirigeant de la Gauche unie allemande.

Le Comité directeur du SPD se réunira le 24 juin pour décider de premières indications concernant le futur dirigeant. Ce dernier doit être choisi vers le mois de novembre. D’ici là, il faudra que l’on voie émerger des brumes un semblant de programme, qui convaincrait les électeurs de gauche que le vieux parti a regagné consistance et pugnacité. Il faudra aussi que soit décidé le mode d’élection du nouveau Président : vote de tous les adhérents ? Décision finale de délégués après une série d’ assemblées régionales, comme on le fait à la CDU ?

Si donc Kühnert voulait être élu, il conviendrait qu’il donne à son discours un contenu positif, qui rendrait crédible un renouvellement réel de la social démocratie allemande – et donc européenne.

Au travail, camarades ! Sursum corda !

 

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