Allemagne : le doux mot de solidarité

Investissements virtuels ou prélèvement unique : des classes moyennes chamallow

Saskia Esken Foto: Anne Braun/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – La gauche allemande (SPD et die Linke) ont demandé l’instauration d’un prélèvement unique pour soulager les dettes dues au COVID-19, qui s’élèveront à 150 milliards d’euros. Enorme, certes. Mais comme on s’y attendait, la droite bourgeoise a répondu très vertement que l’économie allemande n’avait certes pas besoin de cela, en ces temps de récession prévue et déjà effective. Divisions entre nations, opposition entre couches sociales à l’intérieur des nations,… Le petit virus fait bien son travail diabolique.

L’Article 106 de ce qui tient lieu de Constitution en Allemagne le prévoit, et la mesure n’aurait à première vue rien de scandaleux : il s’agirait de demander aux plus grosses fortunes du pays une contribution unique dans ces temps de crise majeure et aigüe. Lundi dernier, Bernd Riexinger et Dietmar Bartsch, leaders de die Linke, ont proposé un prélèvement unique de 5% surla fortune des petits chanceux qui disposent d’au moins un million d’euros. Et la dirigeante de la SPD, Saskia Esken, lui a emboîté le pas, de façon cependant moins précise pour ce qui est des chiffres.

Saskia Esken a exposé cette proposition dans les lignes de la Stuttgarter Zeitung et des Stuttgarter Nachrichten. « Ceux qui ont des épaules puissantes doivent participer puissamment au rétablissement des finances de l’Etat », a-t-elle conclu. Ce qui a suscité une levée de boucliers presque immédiate. Halte là ! On ne touche pas aux intérêts (c’est-à-dire à la fortune) de la classe moyenne, entend-on tonner dans les cîmes… non pas des classes moyennes, mais de la haute bourgeoisie. Oui, on avait déjà constaté, depuis quelques dizaines d’années surtout, que l’usage de cette notion de « classe moyenne » s’avérait très chamallow, très extensible. Riexinger, d’accord, ce sont ces gauchistes folklo qui veulent tout détruire, mais le SPD, lui, attention danger : ils sont au pouvoir puisqu’ils font encore partie de notre coalition, avec nos partis CDU et CSU !

Les dettes de l’Etat fédéral allemand, prévoit-on, s’élèveront à 156 milliards d’euros à cause de la crise COVID-19. Mais ni CDU-CSU, ni le parti bourgeois-libéral FDP ne veulent entendre parler de ce prélèvement. Jan-Marco Luczak, député CDU : « Saskia Esken veut imposer de vieilles lunes idéologiques aux dépens des classes moyennes. Eh bien, c’est une très mauvais idée ! ». Markus Blume, secrétaire général de la CSU : « Une telle mesure, précisément, frapperait durement les entrepreneurs, eux qui luttent en engageant très fort leurs personnes dans la défense des emplois ». Mais c’est Michael Theurer, du FDP, qui s’est exprimé le plus clairement : « Madame Elsken réintroduit une polémique d’augmentation des impôts et de ressentiment, a-t-il déclaré. Ce serait un poison pour la conjoncture, qui est déjà en pleine catastrophe, et une manière d’aggraver la récession qui pourrait coûter beaucoup d’emplois et menacer les classes moyennes dans leur existence même ! ».

Bigre… Theurer, on s’en doute, préconise plutôt l’abaissement du montant des impôts pour favoriser l’investissement et permettre à nouveau la croissance. « L’Allemagne n’a vraiment pas besoin, conclut-il, de ces débats nuisibles, motivés par des considérations partisanes et le besoin chez cette malheureuse présidente du SPD de reconstruire le profil politique de sa formation. Madame Elsken aurait mieux fait de se taire.»

La violence de ces propos montre à quel point une certaine classe sociale craint de devoir payer pour la population de son pays, elle qui aime tant se perdre pourtant en considérations patriotiques. Surtout quand, notamment par le biais de la presse de droite, ces considérations sont dirigées contre d’autres pays ; contre l’Italie, par exemple. Et qu’elles expriment le refus de collaborer efficacement à la solidarité européenne, comme on le voit ces tout derniers jours par l’exemple des « coronabonds ».

Rappelons à toutes fins utiles qu’en Allemagne, l’impôt sur la fortune a été supprimé en 1995 – il y a donc 25 ans. Et aussi que la SOLI, l’impôt de solidarité mis en place en 1990 pour mettre à niveau les régions de l’Est avec celle de l’ex-RFA, ont rapporté 19 milliards d’euros en 2018, mais qu’en 2021, on en exemptera 90% des contribuables qui la payaient jusqu’à présent.

Quoi qu’il en soit, une question élémentaire s’impose : parmi les Allemands les plus fortunés, quels sont ceux qui investissent réellement une somme substantielle de leur fortune dans l’industrie et plus généralement, dans l’économie nationales ? Et à hauteur de quel montant ?

Prélèvement unique réel ? Investissements réels et/ou virtuels ? Comme l’a dit Saskia Esken en réponse à Luczak (CDU) : « Nous avons une conception différente de la solidarité ». A méditer.

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