Allemagne : Mercredi des Cendres de la CSU

Un relooking cool et sympa, les gars

Aux lumières du houblon Foto: JoergWoelk /Wikimédia Commons/ CC-BY-SA 4.0Int

(Marc Chaudeur) – A Strasbourg, le Mercredi des Cendres de l’année 1913, alors que l’Alsace-Moselle appartenait au Reich depuis plus de 40 ans, on a bien ri ; beaucoup ont d’ailleurs ri jaune. Ce jour là, on a vu se dérouler un événement extraordinaire, incroyable : le sergent-chef August Wolter a réussi à faire croire au Gouvernement militaire que Sa Majesté le Kaiser Guillaume II en personne allait passer en revue la garnison au terrain d’aviation du Polygone ! Alors même que le Kaiser était en voyage vers Königsberg… Wolter a passé ensuite le plus clair de son temps à jouer au poker menteur en hôpital psychiatrique.

Le Mercredi des Cendres de l’an de grâce 2019 est moins psychédélique, mais guère moins intéressant si on porte son regard sur ce qui s’est déroulé à Passau, belle ville bavaroise au bord du Danube. En Allemagne, une tradition politique existe depuis bien longtemps : celle des rassemblement des grands partis en ce jour du Aschenmittwoch. Pour le FDP, c’est à Straubing ; pour die Linken, je ne sais point. Les Grünen à Landshut, le SPD à Vilshofen, et la CDU/CSU, bis repetita, à Passau.

Cette année, surprise. La CSU, parti conservateur « chrétien-social » qui est en somme la houblonnière bavaroise de la CDU, est en plein relookage (ou relookement). Elections européennes obligent, puisque le candidat PPE à la présidence de la Commission Européenne est l’une des figures de proue du parti. Il faisait tandem hier avec Markus Söder, le ministre-président de la Bavière et président de la CSU depuis janvier 2019, depuis un peu plus d’un mois.

Le look de Markus Söder a changé par la même occasion. Ça alors, mais c’est… C’est… Beaucoup de badauds l’ont pris, entre les tentes à bière installées à Passau, pour Robert Habeck, le dirigeant des Verts allemands ! Même barbe de 3 jours, même col ouvert, négligence étudiée… Mince, si j’m’attendais ! Söder avait l’air cool ; on lui aurait donné du Grüss Gott sans confession. Et pourtant, c’était du sérieux : le ministre du Land qui ouvrait la journée, Andreas Scheuer, avait prévenu : on traitera vraiment de thèmes politiques, et ce ne sera pas une simple prolongation XXL du Mardi Gras.

Tout cela signifie des changements assez considérables, ne serait-ce que symboliquement. La journée de Passau ne servira plus, cette année, à décocher des flèches à la bière empoisonnée aux adversaires, ceux du parti ou ceux des autres partis. Il ne servira plus à bûcheronner l’ennemi : c’est précisément pour cette raison que Söder a troqué son apparence de Wilhelm Tell portant une cognée (qui lui sied mieux que l’arbalète) contre des airs de cadre relax, presque français. J’ai mûri, a-t-il expliqué. Le poste de ministre-président m’a mûri. Söder a mûri. Mûri. Il l’a répété un certain nombre de fois.

Les changements que la CSU s’impose ne sont pas sans importance. Il s’agit d’un recentrage. Weber s’en est pris à l’AfD, le parti d’extrême-droite qui semble avoir cessé de monter dans les sondages – ce qui explique que la CSU ait renoncé à droitiser son discours pour chanceler plutôt vers le centre. Il affirme, justement, que la politique doit être décidée au centre, et non par des tarés (je n’invente rien : « Dumpfbacken »!). Et il a exhorté les électeurs de l’AfD à « revenir » et à laisser les nazis cuver leur doppelkorn tout seuls, comme des grands (cette fois, il a dit cela avec d’autres mots). Söder, lui, a produit une critique soft des Verts : oui oui, a-t-il reconnu, je ressemble à Habeck ; mais chez moi, cela pousse bien davantage (sous-entendu : nous, au moins, ne sommes pas des braquemards mous!). Le fait même que Söder use de sous-entendus indique un bouleversement tellurique dans la CSU : c’est l’information principale qu’il faut en retenir.

Une attaque balancée des extrêmes, donc : contre les paranazis de l’AfD d’un côté, contre ces rêvasseurs mous de Verts de l’autre. Mais pour quel message consistant ? Le candidat à la présidence de la Commission Européenne n’a en définitive pas exprimé grand-chose, malgré ce que certains médias français de droite veulent lui faire dire. Mais on fait bien parler des quintuples mandataires moribonds, parfois…

Sur l’exclusion possible de Viktor Orbán, quelques mots assez vagues : Orbán doit cesser ses provocations eurosceptiques s’il désire rester dans les rangs du groupe européen PPE (voir notre article d’hier sur Eurojournalist(e). La position de la CDU/CSU est pourtant parmi les plus hésitantes face aux méfaits réels que l’attitude du Fidesz a produits au sein du Parlement Européen.

Manfred Weber s’est prononcé par ailleurs en faveur de la cessation des négociations avec la Turquie pour son entrée dans l’Union européenne ; ce qu’il fera s’il devient président de la CE, a-t-il précisé. C’est cette déclaration qui a déclenché une fracassante ovation des spectateurs, qui ont dû lâcher précipitamment leur chope de bière de 5 litres pour applaudir, ce qui a entraîné de regrettables dégâts dans la tente et quelques noyades.

Enfin, le dirigeant du PPE a déclaré que c’était son parti qui se trouvait le plus à même de soutenir le projet européen d’Emmanuel Macron, auquel il exprime son soutien. Tactique et de principe, surtout ? Sans doute. Comment un homme qui se positionne comme futur président, optimiste et l’index pointé en avant comme sur une vieille fresque réaliste, pourrait-il refuser le prêche du président français ?

Une journée vachement intéressante et tout, en somme.

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