Allemagne : quand la lutte contre l’extrême-droite violente se relance

Alain Howiller sur les mesures que prennent les autorités allemandes pour combattre la montée d’une extrême-droite violente.

L'attentat sur la synagogue de Halle (en arrière-fond) l'année dernière, aura marqué les esprits en Allemagne. Foto: Datesa / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Par Alain Howiller) – C’est une première, après des décennies de quasi-silence. Alors que le temps n’est pas lointain où l’Allemagne, persuadée que les années noires du national-socialisme l’avait vaccinée contre une résurgence de l’extrême-droite, avait regardé ailleurs que vers les violences dont les militants d’extrême-droite se rendaient coupables. Les autorités se sont prioritairement consacrées, à partir des années 70, à la lutte contre le terrorisme d’extrême-gauche actionnée par la « Fraction Armée Rouge – RAF », puis au terrorisme qu’on n’appelait pas encore « islamiste » après les attentats (été 1972) de l’organisation « Septembre Noir » contre les Jeux Olympiques de Munich et l’attaque (septembre 1980) contre l’Oktoberfest munichoise (13 morts, 211 blessés !).

Mais la multiplication des attaques contre les communautés juives et musulmanes a placé l’extrémisme de droite sous les feux de l’actualité, provoquant cette première : un rapport de « l’Office fédéral pour la protection de la Constitution – BfV » sur l’extrémisme de droite dans les services chargés de la sécurité des citoyens et des institutions, notamment des instances de police. Le rapport (98 pages !) signale que depuis 2017, il y a eu, dans la police, 24 cas d’actes relevant d’extrémistes de droite et 20 cas d’antisémitisme. Il souligne que dans l’ensemble des services concourant à la sécurité publique, on a pu relever 380 cas d’extrémisme de droite, en quatre ans.

A Hambourg, Berlin et Francfort. – A Hambourg, Berlin et Francfort, 170 enquêtes ont été ouvertes, en cinq ans, sur des policiers accusés de liens avec l’extrême-droite. Avec la parution du rapport, le parti des « Verts » et le SPD ont réclamé une enquête fine sur l’extrémisme de droite dans la police : ils veulent connaître le « pourquoi » et pas seulement le « comment » d’un mouvement qui a notamment été marqué par la suspension, dans le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, d’une trentaine de policiers qui échangeaient sur les réseaux sociaux des contenus racistes et néo-nazis. Ministre de l’Intérieur du Land, Herbert Reul (CDU), s’associe à la demande d’enquête dans un souci de tirer au clair et de ré-crédibiliser l’action de ses 50.000 policiers et fonctionnaires « qui sont, à juste titre, furieux, tristes et sous le choc. »

« Il ne faut pas créer des amalgames », répond Horst Seehofer, le Ministre de l’Intérieur qui poursuit, rappelant que les services de police emploient 400.000 salariés : « Nous avons à faire à une faible série de cas qui ne révèlent pas de problèmes structurels. Nous les affrontons avec zéro tolérance. 99% des collaborateurs des services de sécurité ont un comportement qui s’inscrit dans le respect de notre constitution. » Prenant la défense de ses collaborateurs, le Ministre met en garde contre une approche excessive catastrophiste : il n’est pas favorable à une enquête sur la police qui stigmatiserait l’ensemble du personnel, par contre, il ne s’opposerait pas à une enquête globale sur l’extrémisme de droite en Allemagne. Le Président du « BfV » Thomas Haldenwang estime, lui aussi, « selon toute apparence, il n’y a pas de généralisation à relever au travers des actes relevant de l’extrême-droite : nous avons à faire à des dérives individuelles. »

Appeler un chat, un chat ! – Il n’empêche qu’après des décennies « d’euphéminisation », pour reprendre ce terme créé par la patron du groupe de médias d’Axel Springer (Bild Zeitung)(1), les autorités allemandes, conscientes que le terrorisme d’extrême-droite a été à l’origine de 150 morts (!) depuis la réunification, ont décidé « d’appeler un chat, un chat » et de dénoncer et d’agir contre la menace de l’extrême-droite. On attend ce mois-ci, le rapport qui doit être publié sur les résultats de l’enquête menée après la dissolution partielle, au printemps, d’éléments stationnés à Calw (Bade-Wurtemberg) et appartenant aux forces spéciales baptisées « K.S.K. » (Kommando Spezial Kräfte avec 1.400 soldats) de la Bundeswehr. Une vingtaine de militaires y avaient été soupçonnés de dérives d’extrême-droite (cérémonie avec saluts hitlériens, jets de têtes de cochon pour stigmatiser l’Islam) qui pourraient conduire à la dissolution des unités. La décision marquera la volonté d’agir des autorités.

« La menace que représentent l’antisémitisme, l’extrême-droite et le terrorisme de droite est élevée en Allemagne », avait déclaré Horst Seehofer. Un an après l’attaque par un néo-nazi d’une synagogue à Halle (Saxe-Anhalt), qui fit deux morts, Angela Merkel a souligné : « Chacun dans cette société doit se le dire : chaque acte de ce genre est une honte ! ». Wolfgang Schäuble, Président (CDU) du Bundestag, a réclamé d’avantage de mesures de protection pour les synagogues et les institutions juives et Heiko Maas, le Ministre fédéral (SPD) des Affaires étrangères, de rappeler, lors de la cérémonie-souvenir de l’attentat de Halle : « Il ne suffit plus de dire ‘plus jamais ça’. Nous sommes appelés, chacun d’entre nous, d’apporter notre contribution pour que, dans notre pays, chacun se sente en sécurité peu importe ce à quoi il croit, peu importe son apparence, son nom ou qui il aime. » Boris Pistorius, le Ministre (SPD) de l’Intérieur de Basse-Saxe, vient, quant à lui, de décider le lancement d’une grande enquête sur les rapports de la police du land avec l’extrémisme de droite.

Quand le racisme progresse. – « Pendant les deux dernières années, les actions et violences contre des Juifs et des institutions juives ont augmenté », souligne le Président du BfV qui relève la montée du racisme en général. Une situation dénoncée dans le rapport sur les services de sécurité qui souffre d’un handicap : il ne recense que les cas signalés, notamment par les autorités des Länder. Certaines de ces autorités n’ont pas toujours fait preuve de rigueur voire de coopération. Et certains observateurs de relever que dans le Land de Hesse, aucun cas de terrorisme n’avait été signalé en 2019, l’année où Walter Lübcke, le préfet du district de Kassel, avait été assassiné à son domicile par un néo-nazi. « Nous n’avons pas encore atteints tous nos objectifs », commente Thomas Haldenwang.

Tout porte à croire que l’extrémisme de droite, violente ou pas, sera l’un des thèmes de la campagne pour le renouvellement du Bundestag à l’automne 2021. Avec un souci : quel sort les électeurs réserveront-ils au parti d’extrême droite « AfD » ? Celui-ci compte aujourd’hui 89 députés. « Le problème aujourd’hui n’est pas seulement celui des groupes d’extrême-droite classiques. Il vient aussi du fait qu’il y a désormais un parti comme l’AfD qui contribue à entretenir un climat dont profitent ces petits groupes extrémistes », une conclusion qu’on doit à Holger Kelch, maire CDU de Cottbus (Land de Brandebourg).

(1) Voir eurojournalist.eu des 20.12.2019 et du 06.01.2020.

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