Allemagne : Que va-t-on faire, maintenant ?

La sortie du charbon, ses conséquences immédiates et plus lointaines

Forêt, Allemagne Foto: Dietmar Rabich/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – La sortie du charbon, décidée officiellement ces derniers jours en Allemagne, pose un problème général : faut-il absolument ménager la chèvre et le chou ? Faut-il choisir l’évitement de tout conflit social éventuel en payant très cher, cher au point de remettre en question la rentabilité réelle des changements d’orientation énergétique, notamment en indemnisations ? Ou bien mettre en place une vraie politique alternative, et placer plutôt tous ces milliards d’euros dans cette tâche… sans doute indispensable ? To be or not to be, pour les politiciens et responsables politiques.

On a publié des chiffres ces derniers jours dans la meilleure presse allemande : presque 4,5 milliards d’euros de dédommagements pour les entrepreneurs des mines de lignite, quelques milliards encore pour la cessation de leurs activités, et presque dix fois plus encore pour accompagner les changements dans les Länder les plus directement concernés. Cela fait cher, très cher. Cela traduit, certes, une conception en principe légitime des changements de la politique énergétique allemande (et largement, européenne) : éviter les conflits sociaux, même minimes ; éviter de ne pas se faire réélire… Beaucoup défendent d’ailleurs cet argument très pertinent selon lequel procéder trop vite fait le lit de l’AfD, de l’extrême-droite. Et des populistes en général, qui se situent aussi dans une certaine extrême-gauche, d’ailleurs.

Mais on peut aussi défendre et propager une conception… révolutionnaire, réalistement révolutionnaire, (mais nullement utopiste) de ces changements : dans le sens où, brisant d’insupportables tabous de la rhétorique actuelle, on pourrait enfin dire tout haut que si on veut que la planète survive, eh bien… il faut changer nos modes de vie. Y apporter des changements vraiment conséquents. Mais cela fait peur. La réalité fait peur à des millions de personnes habituées à un confort absurde. Elle fait surtout peur aux politiciens qui ont peur que leurs électeurs aient peur.

Bref, en attendant, qu’en est-il actuellement, en Allemagne ? Aujourd’hui, les centrales qui fonctionnent au charbon sont en fonction jusqu’en 2038 « au plus tard », disent les documents officiels. En revanche, on ne sait pas au juste d’où on tirera la totalité de l’énergie carbo-neutre « nécessaire » (on comprendra pourquoi nous mettons ce mot entre guillemets…). Alors, à cette date, prolongation du fonctionnement des centrales anciennes ? Découverte d’une source d’énergie miracle ? (on craint le pire) ; ou bien changements réels, enfin conséquents !, du mode de vie des habitants : pour ce qui est de l’habitat, du mode de chauffage, de l’industrie, etc ?

Pour cela, il faudra de très importants investissements ; mais quels investissements et où ?

La BDI (Union fédérale de l’Industrie Allemande) a interrogé à ce sujet des dirigeants d’entreprise et Prognos, un institut de recherche prospective. Ensemble, ils ont chiffré le coût d’une accession effective à une économie carbo-neutre à environ 2 billions d’euros d’ici 2050. Une somme qui semble ultra-sidérale, mais qui ne représente en réalité que 1,2 à 1,8 % du PIB allemand chaque année. Le Spiegel, cette semaine, reproduit le tracé de cette étude.

Ce n’est pas un scoop : l’essentiel, c’est l’investissement dans les nouvelles technologies, notamment dans les énergies renouvelables, les bâtiments « propres » et les véhicules électriques. Selon ces dirigeants d’entreprises et ces chercheurs, les gains financiers seront importants : les investissements dans les technologies vertes engendreront des créations de valeurs et d’emplois, des conversions vertueuses pour les entreprises, et des impôts pour l’État.

Dans le domaine géopolitique, cela peut être tout bénéf’ aussi, selon les même sources décidément optimistes : car les liens et les rapports de dépendance entre les Etats en seront transformés – par exemple, l’Allemagne dépendra moins de la Libye ou de la Russie – et de l’exportation d’énergie et de technologies vertes naîtront de nouvelles relations commerciales.

En bref, cette étude indique que jusqu’ à 770 millions d’euros environ devraient être investis dans le domaine de la circulation ; dans celui des ménages et du bâtiment, jusqu’à 680 milliards ; dans le secteur de l’énergie, jusqu’à 620 milliards : dans les énergies renouvelables, dans leur transmission, dans la numérisation des réseaux qui assureront la continuité de la distribution, et quelques autres. Enfin, le secteur industriel nécessiterait jusqu’à 230 milliards d’investissement ; notammen dans cette nouvelle technologie don on parle beaucoup aujourd’hui, le CCS : partage et le stockage du carbone (sous terre), afin de rendre possible la neutralité climatique.

Les effets sur l’économie nationale de ces investissements, certes très importants, seraient très positifs, estime Prognos et l’étude de la BDI : ils permettraient au PIB d’augmenter de 0,5 % environ en l’an de grâce 2050. Par la création de nouveaux emplois, l’augmentation des bénéfices privés et la croissance de la consommation.

Certes, tous ces changements supposent une application dans le domaine public et… politique ; en un premier temps, ils peuvent être mal perçus par certaines catégories, etc. Mais sans doute faudra-t-il les réaliser, impérativement. Au prix d’une meilleure communication politique, mais surtout, enfin, d’un vrai débat politique et public : car on voit aujourd’hui combien coûte, par exemple, la cessation des vieilles mines de charbon et les indemnisations que l’Etat se sent contraint de verser… Or, l’État ne peut procéder ainsi à chaque changement structurel, même minime : on imagine la somme astronomique que cela coûterait !

Il faudra convaincre les citoyens du bien-fondé des mesures prises, et du bénéfice que chacun et tous peuvent en retirer. Un débat public honnête et bien mené devrait aussi réintroduire ce qui manque aujourd’hui – et d’ailleurs bien davantage encore en France qu’en Allemagne…

A savoir le sentiment d’appartenir à un ensemble humain, à une collectivité effective de biens et d’intérêts.

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste