Allemagne : se déguiser en Lombric géant

Comment bien utiliser les spécificités régionales

La région où habite le Lombric géant badois Foto: ANKAWÜ/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – L’Autriche et la Suisse ont leur Tazelwurm, la Slovénie porte sur ses armoiries son protée (qui vit aussi en Croatie), l’Alsace a son Gilbert Meyer, le Mexique a ses axolotl et… le pays de Bade, plus précisément la Haute Forêt-Noire, a son Lombric géant, que les scientifiques appellent doctement Lumbricus badensis. Voilà qui trouble profondément certaines personnes qui demeurent à proximité immédiate des repaires de cet animal charmant et trop discret.Et qui a son importance dans cette période de Carnaval rhénan.

Les vers de terre ordinaires, ennuyeux, ceux qui essaient de faire bonne figure dans nos jardins, ne sont pas parvenus à survivre au-delà de 900 mètres d’altitude : ils y manquaient de nourriture, d’oxygène, et de tout ce qui rend l’existence agréable à vivre. Là-haut, il n’y a même pas non plus de Biergarten où déguster des Knödel et des Jägerschnitzel. Alors, comme la Nature et Charles Darwin, son prophète anglais (qu’on dit grippe-sous comme… un Anglais, dans sa vie quotidienne) font bien les choses et que rien ne s’y perd jamais, ou si peu, eh bien, ils ont créé le Ver de terre géant.

Le Ver de terre géant badois (Lumbricus badensis), que les braves Badois appellent souvent Narrinarro autour du Titisee, mesure habituellement 20 ou 30 centimètres de long ; mais sa taille peut atteindre 60 centimètres ! Imaginez un peu… Une coudée plus quinze centimètres, trois pieds de long… Et il vit une belle vie indépendante, sage et méditative dans son réduit de terre où il s’arrange pour que ses bébés aient toujours de quoi manger : ces réduits sont en réalité de petites cavités qui rappellent la forme de loges d’artistes dans les théâtres strasbourgeois de la période des MJC malruciennes. Sobres, en somme, et confortables comme des cellules de cénobites (on aime beaucoup ce mot, à Eurojournalist).

Outre sa merveilleuse élégance, le Lumbricus badensis fait preuve d’une discrétion légendaire. Au contraire de son cousin souabe le Tazelwurm qui lui, se met parfois à crier, à hurler, à taper des pieds (quand il en a) lorsqu’il est contrarié, à tituber comme s’il avait bu une chope de bitburg, à chanter et même… à agresser des cochons à la frontière suisse ; au point que ses chants et leurs grunz,grunz se fondaient et ensemble, finissaient par ressembler à l’evoe des Bacchantes. Je n’invente rien : le dernier témoignage de ces agissements de petit voyou remonte à 1954.

Le Lombric badois, celui qui atteint 60 centimètres, semble frugal. De quoi se nourrit-il, au juste ? Eh bien, c’est très difficile à savoir, tant le Lombric géant est discret. Lors de ses repas, la famille Lombric dissimule la soupière et le plat sous des nappes en kelsch ou, du moins, sous de modestes branchages. Tout comme, dans les restaurants petits-bourgeois, les clients cachent leurs bouches derrière leurs mains pour passer un cure-dents entre leurs quenottes.

Mais le problème le plus grave et le plus lourd de conséquences pour l’avenir de l’Humanité, c’est bien évidemment celui des productions culturelles et intellectuelles du Lombric badois. En un mot – et ce problème est si grave qu’on frémit à la seule perspective de l’exprimer : à quoi pense le Lombric badois ? Que pense-t-il ?

Eh bien, les réponses à cette question varient : les naturalistes amateurs que nous avons interrogés dans la bonne ville de Feldberg – l’une exerçant la profession de charcutière, l’autre, celle de bûcheronne végane – ne s’accordent pas sur ce point. Madame la charcutière estime que le Lombric badois ne pense… absolument rien, ce qui est tout de même un peu cruel ; Madame la bûcheronne végane, elle, rejette cette assertion et se montre tout à fait convaincue que le Lombric badois, s’il n’a pas encore atteint le niveau des équations de Dirac, développe manifestement une activité cérébrale, dans le sens d’une certaine spiritualité. Elle fait d’ailleurs remarquer avec un petit sourire énigmatique et presque gourmand qu’en tout cas, les gigantesques Lombrics badois tendent à se regrouper à proximité de l’église du village.

Reconnaissons que la tête du Lombric géant se réduit à pas grand’chose. Au point que les scientifiques allemands usent à son égard du terme Kopflappen (lobe cérébral, mais qu’on pourrait aussi bien traduire par : chiffe cérébrale…).Ce n’est pas très gentil non plus.

On n’a pas assez exploité encore le capital culturel que représente ce charmant animal si bien élevé. Par exemple, dans certaines régions allemandes, on éprouve parfois de la peine à trouver des costumes originaux pour le Carnaval qui sévit actuellement dans toute l’ère qui s’étend de Bâle au Nord de la Rhénanie. Alors, pourquoi pas un costume de Riesenregenwurm, de ver de terre géant, avec son attendrissant Kopflappen en guise de coiffe ?

Voilà en tout cas qui serait hautement symbadisch. Narri Narro.

 

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