Alors, cette récession, elle vient ou elle ne vient pas ?

Alain Howiller sur la récession qui guette l'Allemagne. Ou est-ce seulement une rumeur ?

Récession ? Pas de récession ? Les experts ne sont pas unanimes sur la question... Foto: Heribor / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Par Alain Howiller) – Tout le monde en parle et les moins optimistes parient sur le fait qu’elle interviendra l’année prochaine. Economiste du think tank néo-libéral baptisé « Institut Montaigne », Eric Charley (1) a, quant à lui, choisi de poser sans ambages la question dans un article publié par l’organisme auquel il appartient : « Alors, cette récession elle vient ou elle vient pas ? ». « Faut-il se préparer à une récession, même si l’on ne voit pas encore ce qui pourrait la déclencher ? », analyse-t-il avant d’ajouter plus loin : « …Si le ralentissement mondial causé par la guerre commerciale initiée par les Etats-Unis est patent, tout particulièrement en Allemagne, on a de la peine à identifier ce qui pourrait faire basculer les Etats-Unis, l’Europe ou la Chine dans une véritable récession. »

Certes, les constats dressés par les institutions internationales sont inquiétants : le ralentissement dans les échanges mondiaux est évident. Il pèse sur la croissance et commence à se manifester sur le marché du travail : l’exemple allemand est intéressant à cet égard – si le chômage hésite (à 5%, dont 6,1% à l’Est et 4,6% à l’Ouest) entre stabilité et (très) léger fléchissement (-0,1%), le travail à temps partiel touche un peu plus de 12% des effectifs. Un pourcentage connu en 2012/2013 au moment de la crise. On sait que le travail à temps partiel est la mesure de prudence que les chefs d’entreprises prennent lorsque la conjoncture fléchit : une mesure qui permet d’éviter les licenciements. Mais pour autant l’Allemagne prévoit tout de même une croissance de +0,5% en 2019, alors qu’elle vient de baisser ses prévisions pour 2020 à 1% au lieu des +1,5% retenus jusqu’ici… La croissance était de +1,4% en 2018.

Quand Peter Altmaier continue à y croire ! – Contrairement à une majorité de chefs d’entreprises allemands, le ministre de l’Economie Peter Altmaier reste optimiste alors même que le gouvernement allemand vient d’abaisser ses prévisions de croissance : « Les perspectives s’inscrivent en demi-teinte actuellement », a-t-il admis tout en ajoutant, « il n’y a pas, pour autant, de menace de crise de conjoncture ! » Il est vrai que, vu ses fonctions, il lui est difficile de ne pas rester optimiste, même si, comme cela a déjà été souligné ici (eurojournalist.eu du 2.10.19), l’Allemagne serait déjà « en récession technique ». En effet – si on applique la règle qui veut que lorsque le PIB d’un pays diminue deux trimestres de suite -ce qui est le cas ici- on considère que le pays concerné est en « récession technique ».

A la rentrée de cette année, Bruno Le Maire, le Ministre français de l’économie et des finances, faisait, lui aussi, preuve d’optimisme en constatant que l’économie française faisait de la résistance et s’affirmait contre la morosité ambiante de la plupart des observateurs ! Et de fait, d’après les dernières estimations publiées, début octobre, par « l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques – INSEE » la croissance française serait supérieure aux deux partenaires en Union Européenne que sont l’Allemagne et l’Italie : le PIB se situerait cette année à +1,3% (contre 1,2% pour l’ensemble de la « zone euro »). Le chômage s’établirait à 8,3% en fin d’année contre 8,5% aujourd’hui.

Le chômage recule dans le Grand Est. – Dans la région du Grand Est, le taux de chômage est de l’ordre de 8,1% (7,2% dans le Bas-Rhin, 8,7% dans le Haut-Rhin). Un résultat qui conduit Jean Rottner, le Président du Grand Est, à publier un communiqué (trop ?) enthousiaste constatant : « …Ces bons chiffres… qui font passer la région sous la moyenne nationale pour la première fois, témoignent d’une reprise nette de son activité économique et de son attractivité au niveau mondial, soutenue fortement par la collectivité régionale, comme en témoignent les implantations étrangères dans la Région du Grand Est qui concentrent (note de la rédaction : état correspondant notamment à l’année 2018) presque la moitié des plus fort investissements au niveau national. »

La dernière note de conjoncture publiée par la Banque de France (Direction régionale de Strasbourg) relève à propos du Grand Est : « Baisse de la production et de la demande industrielles avec une contraction des effectifs. Carnets de commande corrects dans l’ensemble des secteurs. Légère croissance d’activité à court terme avec maintien du personnel. Nouvelle augmentation de la demande et des prestations dans les services marchands. Les prévisions à court terme sont bien orientées, tant sur l’activité que sur l’emploi. » (dans les services marchands s’entend). Dans l’industrie (qui représente près de 17% de l’emploi total), si « les carnets de commandes sont corrects », on note une ‘diminution de la production en septembre avec une réduction du personnel’,on s’attend à ‘une légère hausse de l’activité avec maintien de la main d’œuvre’. Dans les services marchands (qui représentent, eux, un peu plus de 18% de l’emploi total), on s’attend à une hausse globale de l’activité et de la demande avec des embauches. Les trésoreries sont jugées satisfaisantes. Les perspectives sont optimistes à court terme avec une poursuite des recrutements. »

Ce que pensent les chefs d’entreprise en Alsace. – Après le premier semestre, selon « Alsaeco », émanation des chambres de commerce et d’industrie alsaciennes, 43% des chefs d’entreprise (même 50% dans la construction, 45% dans les services, 38% dans le commerce) alsaciens se déclaraient globalement satisfaits de leur activité, mais 61% (-8 points par rapport au semestre précédent de 2018) d’entre eux pensaient pas augmenter ni diminuer leurs investissements (seuls 16% pensaient les augmenter).

En ce mois d’octobre, la réponse à la question de savoir si « oui » ou « non » la récession va réellement s’installer avec son cortège de faillites et de licenciements, il est bon de noter que les hésitations sur la situation allemande et le relatif optimisme né de la situation française s’appuient sur le maintien, voire la progression de la consommation intérieure. La situation serait meilleure dans ce contexte, si les consommateurs que nous sommes consommaient davantage et renonçaient à préférer une « épargne de précaution » contre des risques qui, en l’état, ne sont pas certains. « L’économie mondiale va continuer à ralentir… Mais ralentissement ne veut pas dire récession, au sens d’une contraction durable de l’activité et d’une forte hausse du chômage », estime Eric Charley qui poursuit : « …si tous les acteurs économiques, à commencer par les chefs d’entreprise, se persuadent qu’une récession est au coin de la rue, celle-ci pourrait bien survenir… »

Un Prix Nobel qui n’y croit pas ! – Le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, plus réservé, ajoute de son côté : « Il y a un risque significatif de fort ralentissement, mais il n’y pas à mon sens de risque d’une nouvelle crise comme en 2008. »

Petit « bémol » sur cette approche plutôt rassurante, le  Fonds Monétaire International – FMI vient de rappeler, après avoir rabaissé de 0,3% ses prévisions du mois d’avril, que le rythme de croissance de l’économie mondiale serait de l’ordre de 3% en 2019, contre 3,6% en 2018. Ces prévisions sont de l’ordre de celles qui prévalaient en 2009 au moment de la crise monétaire. Pour la « zone euro », le FMI prévoit, notamment en raison de la situation allemande (mais aussi italienne), une croissance de 1,2% en 2019 et de 1,4% en 2020. Ce sera juste pour éviter ce dont personne ne veut : une récession !

(1) Eric Charley est conseiller économique à l’Institut Montaigne (eurojournalist.eu du 09.09.19). Il a été de 2008 à 2016 – année où il a pris sa retraite- l’un des responsables du groupe AXA, première marque mondiale d’assurance.

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