Appeler un chat un chat…

Après l'adoption du Bundestag de la motion sur le génocide turc de 1915, Ankara a rappellé son ambassadeur de Berlin. Le ton monte... en Turquie en 1915. Et la Turquie est furieuse et le fait savoir.

Hier, le Bundestag à Berlin a voté une motion condamnant le génocide des Arméniens massacrés par l'Empire Ottoman. Foto: Syvakorest / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0

(KL) – C’était en 1915 – l’Empire Ottoman effectuait ce qu’on appellerait de nos jours, un « nettoyage ethnique », en exterminant, selon les estimations, entre 800.000 et 1,5 millions d’Arméniens majoritairement de croyance chrétienne. L’Allemagne, le siècle dernier impliquée dans tous les mauvais coups, était alors un partenaire privilégié de l’Empire Ottoman et restait, malgré toutes les informations qui arrivaient dans les services secrets allemands, les bras croisés à regarder ce génocide. Dans la motion votée hier au Bundestag, les députés allemands condamnent ce génocide (le terme est utilisé 4 fois dans le texte) et reconnaissent également la responsabilité allemande de n’avoir rien fait pour empêcher ce massacre. La Turquie, elle, est furieuse à cause de cette initiative du parlement allemand.

« Ridicule ! », voilà le commentaire du nouveau premier ministre turc Binali Yilderim concernant le vote au Bundestag qui rend, tardivement, justice aux victimes arméniennes du génocide de 1915. La Turquie, successeur légal de l’Empire Ottoman, ne nie même pas les faits, les qualifiant même « d’atrocités », en niant toutefois qu’il s’agissait d’un « génocide ». Mais comment appeler l’extermination d’environ un million de personnes avec comme seul motif leur appartenance à une ethnie ou une croyance religieuse ? Le terme « génocide » décrit exactement cela…

Mais la Turquie millésime 2016 a pris cette fâcheuse habitude de vouloir dicter sa vision du monde à tout le monde. Un jour après que la Turquie avait déclaré « pouvoir vaincre la Russie militairement en une semaine », le premier ministre Yilderim a estimé bon de menacer l’Allemagne avant le vote au Bundestag. « Bien sûr, nos relations avec l’Allemagne s’en trouvent endommagées, il n’y a pas de doute là-dessus », a-t-il déclaré. Comprendre : « si l’Allemagne veut que nous nous occupons du dossier des réfugiés, elle n’a qu’à se taire ». Mais cette menace n’a pas prise.

Yilderim avait espéré « que le Bundestag ne ferme pas ses yeux devant les nombreux électeurs de souche turque », autre menace qui sous-entendait que les quelques 3 millions d’électeurs allemands d’origine turque pourraient peser sur les élections législatives en 2017. Heureusement que le Bundestag ne s’est pas laissé impressionner par ces nouvelles agressions verbales d’Ankara – après l’intervention du président turc Erdogan contre l’humoriste allemand Jan Böhmermann, les relations entre Ankara et Berlin sont déjà assez tendues et Erdogan augmente la pression pour obtenir la libre circulation des ressortissants turcs dans l’Espace Schengen – rien n’est fait actuellement pour apaiser les relations entre les deux pays.

La motion votée hier comporte la reconnaissance d’une responsabilité allemande dans le génocide de 1915 et ceci est remarquable. Les députés allemands critiquent dans la motion l’inertie de l’Empire Allemand à l’époque, adoptant une perspective de « non-assistance à peuple en danger » – à l’époque, l’Allemagne était parfaitement au courant des plans et agissement de l’Empire Ottoman, sans toutefois essayer d’empêcher ce génocide.

Même les menaces du dictateur-président Recep Tayyip Erdogan n’ont pas eu d’effet – mardi, il a pris le téléphone pour informer la chancelière Angela Merkel que l’adoption de cette motion « allait endommager les relations diplomatiques, économiques, commerciales, politiques et militaires entre les deux pays ». Est-ce qu’on a perdu le sens des réalités du côté d’Ankara ? Toujours est-il que la Turquie a rappelé hier son ambassadeur de Berlin, tout en déclarant que la motion votée en Bundestag « est nulle et non valide ». Comme si cette prise de position pouvait intéresser qui que ce soit à Berlin.

Recep Tayyip Erdogan est actuellement sur le pied de guerre avec tout le monde. Il provoque la Russie et l’Union Européenne et souhaite en même temps s’approcher de l’Union Européenne. Un moment donné, il faudra quand même que le président turc comprenne qu’il ne peut pas forcer la main à la communauté internationale d’accepter sa politique aux traits totalitaires. Et est-ce que cette évolution ne constituerait pas une raison suffisante pour mettre un terme à toutes les négociations avec la Turquie et d’annuler le terrible accord permettant de renvoyer des réfugiés syriens en Turquie ?

1 Kommentar zu Appeler un chat un chat…

  1. Enfin, une Allemagne en vérité plus européenne que seulement germanique.

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