Après le 1er Mai : la polémique – y-a-t’il trop de syndicats en France ?

Après les manifestations du 1er Mai, Alain Howiller se pose la question du développement du syndicalisme en France et ailleurs.

Le 1er Mai, le mouvement syndical a du se rendre compte que la mobilisation baisse. Foto: Claude Truong-Ngoc / Eurojournalist(e)

(Par Alain Howiller) – Pour ceux qui en doutaient, les récentes déclarations de responsables (ou anciens responsables) syndicalistes, il y a quelque chose de commun entre eux et les hommes politiques : ils ont souvent de bonnes idées lorsqu’ils ne sont plus au pouvoir ou lorsqu’ils veulent y arriver. Et ils s’empressent de les oublier dès qu’ils sont en charge de responsabilités. Bien sûr, il y a des exceptions, mais le récent 1er Mai a fourni deux exemples au moins de ce qu’on pourrait appeler de la «langue de bois». Le premier, le plus évident, nous est fourni par Bernard Thibault, ex-secrétaire (1999-2013) général de la CGT, affirmant : «Il y a trop de syndicats en France… Le syndicalisme français pâtit à, la fois de sa division et de la multiplication de ses acteurs ! A ceux qui pensaient qu’en multipliant les syndicats on allait favoriser le taux d’adhésion aux syndicats, la démonstration inverse est entrain de se faire !…»

De son côté, Laurent Berger, actuel secrétaire général de la C.F.D.T., deuxième syndicat français le plus important de France, a affirmé qu’il voulait «déringardiser» le syndicalisme, mais «il ne faut pas mentir aux gens. Il y a deux types de syndicalisme:.. un qui regarde la réalité en face, qui met les mains dans le calmbouis… et un qui est davantage dans l’attente !»

Un modeste «woodstock» syndical ! – En foi de quoi les syndicats se sont divisés pour leur traditionnel défilé du 1er Mai : la CGT a défilé de son côté, tout comme F.O., le troisième syndicat en nombre, tandis que la CFDT a organisé, près du Bois de Vincennes, une sorte de «woodstock syndical» réunissant 2.000 jeunes (on en attendait 5.000) pour un «Working Time Festival» festif et ludique ! Pas de quoi renverser l’approche qu’ont les Français de leurs syndicats, même si, d’après un récent sondage, un peu plus de la moitié des Français jugent que les syndicats ne jouent pas un rôle utile (sondage Opinion Way pour Axys Consultants, le Figaro et BFM).

Certes, le sondage met en relief que 59% des 18/24 ans trouvent que les syndicats sont utiles, mais d’après un autre sondage (Institut Odoxa), seuls 33% des sondés ont une bonne opinion des syndicats alors que 54%… ont une bonne opinion des chefs d’entreprise et (chiffre catastrophique, s’il en est) 11% ont une bonne opinion des politiciens !

Des syndicats inadaptés ? – La directrice d’Odoxa, rappelant que seuls les Français se réclamant des tendances favorables aux courants d’extrême gauche, constituent des soutiens inconditionnels des forces syndicales, souligne que 74% des sondés ont répondu «non» à la question : «A propos des syndicats, diriez vous qu’ils ont su s’adapter aux enjeux économiques de notre pays ?» Terrible constat que semble recouper l’évolution des effectifs syndicaux en France. En 1949, le taux de syndicalisation, était en France de 40% : il avait régressé à 17% au début des années 80 pour tomber à… 8% aujourd’hui. Il convient de noter que 50% des effectifs viennent de la fonction publique !

Pas étonnant que les défilés du 1er Mai qui avaient réuni plus de 300.000 manifestants en 2014, n’en ont rassemblé que 200.000 environ cette année. Cette «désaffection» devrait d’autant plus interpeler ces acteurs majeurs de notre société que sont les syndicalistes, mais aussi les militants politiques, que se développent les actions citoyennes, en marge de leurs structures : jacqueries, demandes de référendum, harcèlement à travers les réseaux sociaux, pétitions se multiplient à côté -et parfois contre- les acteurs traditionnels de la société. Ici émerge ce que le «Göttinger Institut für Démokratie» appelait, dans une étude de 2010, le «nouveau pouvoir des citoyens». Une notion qui n’est évidemment pas propre à la seule Allemagne. Tout comme la «désyndicalisation» n’est pas propre à la France, même si elle paraît plus prononcée dans ce pays !

Aux Etats-Unis d’Amérique, 34,7% des salariés étaient syndiqués en 1954, ils sont 10,8% aujourd’hui et même 7% , si on ne prend en compte que le secteur privé : 45% des américains considèrent que ce déclin est une mauvaise chose, mais 43% s’en réjouissent ! En Grande Bretagne, un peu plus de 25% des salariés sont syndiqués, ils sont un peu plus de 27% au Canada et 20,6% en Allemagne (contre 27% en 1994, mais 18% en 2006).

Quand l’Allemagne se singularise ! – L’évolution allemande (est-elle, paradoxalement, une «excroissance collatérale» des bons chiffres de l’économie ?) a vu les effectifs des syndicats se renforcer après une longue période d’érosion. La conséquence en serait-elle le renforcement des actions revendicatives (grève des conducteurs de trains, mouvements annoncés chez les pilotes de Lufthansa, les salariés des jardins d’enfants, de la ,Poste, de l’enseignement) ou la volonté de profiter, après dix années de disettes, des bons résultats d’une économie qui flirte, avec 2,84 millions de chômeurs (6,5%), avec le plein emploi et le manque d’effectifs ?

Dans le débat sur l’impact des syndicats, deux chercheuses -Florence Jaumotte et Carolina Osorio Buitron- ont publié dans une revue du Fonds Monétaire International – F.M.I.(1) une étude selon laquelle le taux de syndicalisation (près de 17% en moyenne dans les pays à économie de marché de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiqiue – OCDE) et sa baisse ont (on s’en serait douté !) une influence sur la capacité de négociations des salariés : du coup, la syndicalisation permet de peser sur les inégalités de revenus et contribue à une distribution plus équitable des salaires. Un taux de syndicalisation faible participerait, d’après les chercheuses qui ont analysé la période 1980-2010, à faire accepter les disparités, à favoriser les hauts revenus, ceux de l’encadrement et des actionnaires au détriment des salariés du bas et du milieux de l’échelle des rémunérations.

Il n’y a plus de traditions immuables ! – Arguments qui devraient participer à faire remonter le taux de syndicalisation, sauf à admettre qu’il s’agit là d’une vision parcellaire et peut-être même historiquement datée : la concurrence internationale et son corollaire, la «compétitivité», la mondialisation, l’émergence de nouveaux métiers peu (ou pas) syndicalisés, le télé-travail, la diversification des sources de revenus, les mobilités professionnelles pèsent sur le marché du travail et les rémunérations des acteurs qui s’y présentent.

Les syndicats plus que jamais -comme les partis politiques- devront s’adapter à cette nouvelle donne, si ils ne veulent pas en être écartés. Un aggiornamento s’imposera car pour reprendre le propos de Laurent Berger : «Il faut arrêter de considérer qu’il y a des… traditions immuables !»

(1) Dans «Finance et Development» -Mars 2015- Article intitulé «Power from the people».
(2) Voir «controverse» dans «Liaisons Sociales Magazine».

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