Après « Nice » : quelques leçons à tirer pour les médias !

Alain Howiller se penche sur le rôle des médias dans la couverture des horreurs qui frappent actuellement le monde.

Il faut que les titres soient accorcheurs... pensent la plupart des médias... Foto: U.S. National Archives and Records Administration / Wikimedia Commons / PD

(Par Alain Howiller) – Il aura donc fallu la « horreur d’une profonde nuit »(1) d’été à Nice pour que les téléspectateurs découvrent sur une chaîne de télévision un message d’excuses pour des images et des interviews diffusés sur l’attentat meurtrier du 14 Juillet au soir. Sobrement -et d’une certaine manière courageusement- le journaliste Nathanaël de Rincquessen a lu, lors du journal télévisé de France 2 du 15 Juillet (13 heures), un message de France Télévision présentant les regrets de la chaîne pour avoir diffusé des « images choquantes », le 14 Juillet à minuit, lors de son premier flash « Spécial attentat ».

« Ces images brutales, qui n’ont pas été vérifiées selon les usages, ont suscité de vives réactions », précise la chaîne en poursuivant : « Un erreur de jugement a été commise en raison de ces circonstances particulières. La diffusion de ce type d’images ne correspond pas à la conception de l’information des journalistes des équipes et de l’entreprise. France Télévision tient à présenter ses excuses. » Voilà une « première » qui vaut anthologie : ainsi donc es médias savent s’excuser pour des excès que la sacro-sainte réponse – « l’information prime » – ne suffit plus à justifier !

Nombreuses plaintes contre la manière de traiter l’attentat ! – Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel -CSA, le « gendarme de l’audiovisuel » est saisi de plus de 150 plaintes à propos des images et interviews diffusés par les chaînes de télévision, de radios, par les réseaux sociaux, Twitter, Facebook. Le CSA met en garde les médias et lance un appel à « la prudence et à la retenue, protectrices de la dignité humaine et de la douleur des personnes. » C’est trop tard : le périple du camion meurtrier filmé au ralenti, l’interview d’un homme prostré à côté du corps de son épouse, les cadavres, le sang, tout a déjà circulé grâce aux médias !

La leçon des attentats de Janvier 2015 (Charlie-Hebdo), où la diffusion par certains médias d’informations susceptibles de mettre en danger la vie d’otages cachés, a été oubliée ! La retenue dont ont fait preuve les médias en Novembre (attentats sur les spectateurs du Bataclan) n’est qu’un souvenir : on relaie même des rumeurs, celle par exemple reprise par TF1 d’une prise d’otages dans un restaurant niçois ou encore la fermeture de l’aéroport de Nice reprise par une correspondante des chaînes de… télévision allemandes ! Le CSA, comme précédemment, va étudier images et son diffusés pour éventuellement prendre des sanctions : jusqu’à la prochaine fois ? Mais le « mal » n’est-il pas fait ?

Les journalistes et leur métier ! – Nice pose, une fois de plus, le problème de l’exercice de leur métier par les journalistes. Enfoncés dans une concurrence malsaine qui porte à être le « premier » et non le « meilleur » ou le plus « fiable », l’audiovisuel navigue dans le sillage des « chaînes d’information » qui à longueur de journées doivent meubler les écrans et saturer les ondes. Pour respectables qu’elles soient, les excuses de France 2 conduisent, tout de même, à s’interroger sur les leçons que France-Télévision aura su tirer de ces dérapages : des leçons d’autant plus précieuses que l’entreprise veut lancer une… chaîne d’information continue à l’automne !

La recherche de l’audience qui conditionne le montant et le nombre de spots publicitaires qui permettent de vivre (ou de survivre), conduit la plupart des chaînes à cultiver le « sensationnel » et oblige au grand dam des journalistes comme des téléspectateurs, à saucissonner les séquences consacrées à l’information.

La presse écrite taraudée -croit elle- par les réseaux sociaux est confrontée à des difficultés majeures : elle connaît une crise qui la conduit à réduire ses coûts, à tailler dans ses effectifs rédactionnels. Le tout à un moment où elle devrait, face aux réseaux sociaux et à internet qui laboure le terrain, cultiver la crédibilité, le sérieux, la réflexion auxquels ses concurrents « virtuels » (et pourtant bien réels !) ne s’arriment guère. Elle devrait retrouver cette image que cultivaient nos anciens, quand ils disaient « c’était dans le journal, donc ça doit être vrai ! »

Umberto Eco et la presse écrite ! – Dans une interview(2), le philosophe, écrivain et essayiste Umberto Eco disait : « La presse doit mener plus d’enquêtes… mettre en perspective les enjeux… approfondir l’actualité et faire de la place aux idées… Il lui faut cultiver l’esprit critique, proposer et, surtout, vérifier, vérifier, vérifier ! »… D’autant que la bataille n’est pas perdue : selon un sondage (« Media Ratung ») du mois de Mai, 40% des sondés font confiance à leurs quotidiens régionaux, 33% font confiance aux médias nationaux, 38% aux télévisions nationales et… 9% aux réseaux sociaux (Twitter, Facebook).

Mais l’évolution positive qu’on attend dans les médias passe aussi par les journalistes trop souvent complaisants dans leurs questions, ne préparant pas assez leurs questions, pas assez accrocheurs, s’exprimant ou écrivant mal, suffisants voire arrogants, et pratiquant souvent ce vieil adage d’un ancien adjoint au maire de Strasbourg : « la culture, c’est comme la confiture : moins on en a, plus on l’étale ! »

Et puis, Nice nous rappelle que l’un des fondements du journalisme repose sur une « éthique » : à force de vouloir faire du journaliste un virtuose du clavier et de l’ordinateur, du micro ou de la caméra : on l’a oublié un peu vite. Il est vrai que pour avoir sa carte de presse -en France-, il suffit de tirer l’essentiel de ses revenus des médias !… J’ai toujours considéré que c’était un peu… court !

Du « journalisme constructif » au « journalisme civique ! » – Pour finir comment ne pas conclure sur cette étude de l’université de Pennsylvanie selon laquelle les lecteurs, auditeurs, téléspectateurs ou internautes sont attirés par les nouvelles positives : il faudrait davantage de « journalisme constructif ». Ce constat a conduit le quotidien britannique -The Guardian- à ouvrir des rubriques « positives », alimentées notamment par les lecteurs ! Parce que l’information est le reflet de la vie sous tous ses aspects -positifs et négatifs- ; je crains fort que cette « nouvelle école du journalisme constructif » ne finisse dans l’oubli, comme cette école du « journalisme civique », née de la crise du Watergate ! La réaction de nombreux lecteurs contre la politique, les politiciens voire les institutions à la suite des révélations du Washington Post qui amenèrent Richard Nixon à démissionner de la présidence US, avait conduit de nombreux journaux à présenter les institutions et les hommes politiques de manière positive. Le thème général de ce « journalisme civique » était : « ils ne sont pas tous comme lui ! »… Le courant a disparu : à tort ou à raison, à chacun de supputer… pourquoi !

(1) « Athalie » Acte II, Scène IV (le songe d’Athalie), pièce de Jean Racine.

(2) Le Monde des 21/22 Février 2016.

2 Kommentare zu Après « Nice » : quelques leçons à tirer pour les médias !

  1. Excellent article de fond. J’ajouterai sous une autre forme de ce qui y est dit que d’une part, un journaliste ne doit pas céder à son humeur immédiate pour la quelle il trouvera toujours des semblables, ses laudateurs souvent aussi intempestifs, que d’autre part, la recension d’un tour hâtif de la presse préférée suivie d’un commentaire très partisan n’est qu’éditorial tonitruant qui n’engage que son auteur.
    Entièrement d’accord avec cet article, mais je suis de la même génération…

  2. Gervaise Thirion // 20. Juli 2016 um 23:43 // Antworten

    Je ne suis pas ( tout à fait ) de la même génération et je ne suis pas journaliste mais ici tout est dit… du métier de journaliste : crédibilité, sérieux, réflexion , informations vérifiées, éthique. ..
    Du ” journalisme constructif ” au “journalisme civique” voilà ce que devrait être l’objectif principal de eurojournalist.eu face aux réseaux sociaux
    Merci M. Howiller pour cette formidable piqûre de rappel

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