Assemblée Nationale : Le savoir-vivre alsacien en voyage à Paris

Avec une manifestation étrange, les députés alsaciens UMP ont tenté de sauver les meubles. Très, très maladroitement. Comme d’habitude.

L'Assemblée Nationale était la scène d'une étrange manifestation des députés alsaciens UMP. Une opération qui creuse le clivage entre la France et l'Alsace. Foto: Webster / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(KL) – Il y a de fortes chances à ce que les députés alsaciens UMP ne lisent pas Eurojournalist(e). Et il se pourrait que cela soit une erreur. Car s’ils lisaient Eurojournalist(e), ils sauraient comment leur pathos et leur polémique sont vécus en dehors de l’Alsace. La manifestation des députés alsaciens UMP hier dans la «Salle des Quatre Colonnes» de l’Assemblée Nationale montrait une fois de plus que ce ne sont pas les Français qui ne comprennent pas les Alsaciens, mais les conservateurs alsaciens qui visiblement ne comprennent pas grande chose à la France.

En déployant une banderole dont le texte se limitait à crier «Ne tuez pas l’Alsace !», ils ont mis la cerise sur la gâteau. Personne ne veut tuer l’Alsace, même pas le gouvernement socialiste, qui veut réformer les régions de la France pour mettre en œuvre une administration plus efficace, moins onéreuse et plus moderne. Ce qui constitue quand même un projet qui se situe assez loin d’une tentative de meurtre.

Le ridicule de ces paroles saute aux yeux. Et on se pose la question pourquoi les conservateurs alsaciens persistent à donner dans le style populiste, au lieu d’argumenter correctement, au lieu d’avancer les excellents arguments qui auraient parlé en faveur d’une Région Alsace. «Ne tuez pas l’Alsace!» – et le pire c’est qu’ils pensent probablement que ce genre de slogan puisse atteindre ne serait-ce qu’un seul député français. Force est de constater que ces mêmes députés auraient mieux fait de mener une véritable campagne d’information et d’argumentation dans la capitale et dans les autres régions concernées – au lieu de cela, ils se sont baladés à l’entrée des villages alsaciens en y apposant des pancartes à destination de ceux qui de toute manière, étaient déjà acquis à la «cause alsacienne». Ceci n’est pas seulement pas très intelligent, mais c’était carrément contreproductif. Car à Paris et ailleurs, ce genre d’action a été perçu comme l’expression de maires de villages en province qui, faute d’arguments, jouaient la carte de l’identité régionale.

Pardon ? L’identité alsacienne dépend du statut de la région ? Est-ce que les conservateurs alsaciens font vraiment si peu confiance en cette identité alsacienne ? Une identité qui s’est forgée à travers les millénaires d’une histoire des plus mouvementées, à commencer par les Romains, en passant par les guerres du Moyen Age et par le biais de changements constants entre la France et l’Allemagne ? Pour en apprendre plus sur l’identité alsacienne, il convient de relire «Des Teufels General» du grand Carl Zuckmayer et le monologue du Général Harras lorsqu’il explique à un jeune lieutenant la richesse d’un patrimoine d’une région où tous les peuples du monde connu sont passés en y laissant des traces, conduisant à un brassage formidable de ce que l’Europe a de mieux à offrir. Voilà les racines de l’identité alsacienne, une identité dont on ne peut être que fier et qui ne dépend en aucun cas du statut administratif de cette région.

Et le savoir-vivre alsacien alors ? En insinuant que l’Assemblée Nationale souhaite «tuer l’Alsace», les députés alsaciens UMP ont non seulement dépassé les bornes, mais ils n’ont fait que renforcer les doutes des Français quant à la fiabilité républicaine des Alsaciens. Le manque d’argumentation claire en amont des lectures à l’Assemblée Nationale et au Sénat, la violence des propos, l’attitude des députés – tout cela a conduit le gouvernement de Manuel Valls à n’avoir aucune envie de laisser l’Alsace seule, sans partenaires régionaux.

Le drame étant que les excellents raisons qui auraient parlé en faveur d’une Région Alsace, n’ont pas été entendues à Paris, à Nancy ou à Reims. Ce qui ne fait que souligner que les belles paroles des élus conservateurs alsaciens ne s’adressaient pas au gouvernement ou au reste de la France, mais uniquement à leur propre électorat, histoire de se présenter aux siens comme les «bons Alsaciens». L’Alsace risque de payer très cher cette vanité de ses élus, cette petitesse dans la démarche, ce comportement qui ne pouvait être interprété autrement qu’une tentative autonomiste. Le fait que ces mêmes conservateurs aient estimé utile de partager le lit avec des autonomistes, ultranationalistes et autres représentants d’un monde d’avant-hier, n’a pas arrangé les choses.

Et il est quand même bizarre qu’on ait du attendre les déclarations d’un Nicolas Sarkozy qui, étrangement, était à peu près le seul à avancer les bons arguments en faveur d’une Région Alsace, arguments qu’on aurait aimé entendre de la part des mêmes députés alsaciens UMP qui ont organisé cette drôle de manifestation à l’Assemblée Nationale hier. Inutile de souligner que cette joyeuse bande (qui se fera certainement applaudir au «Stammtisch» alsacien), se soit fait virer par les vigils de ce haut lieu de la politique française. Petite leçon de bonne conduite – lorsque l’on veut être respecté, ce n’est jamais faux de respecter d’abord les autres. Insinuer que la France veuille «tuer l’Alsace», c’est bête et méchant – comme la plus grande partie des actions des conservateurs alsaciens qui voulaient «sauver l‘Alsace», tout en arrivant au contraire.

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