Atom ? Ja danke !

Tribune libre de Jérémy Valence sur l’annonce d’Emmanuel Macron de vouloir miser sur des mini-réacteurs nucléaires à l’horizon 2030.

Le simple tri ne suffira pas pour stocker les déchets nucléaires... Foto: ork.ch / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 2.5

(Jérémy Valence) – Le nucléaire refait surface dans les débats politiques à la faveur de la pression des prochaines élections. Après un jeu d’équilibriste où le gouvernement devait ménager son aile verte et envoyer des gages sur la part des ENR et la réduction du nucléaire dans notre mix énergétique, c’est la foire aux annonces, tant sur les EPR que sur les mini-réacteurs. Cette godille permanente sur un sujet qui méritait une ligne claire depuis de très nombreuses années, est au fond assez triste, car un mix énergétique se pilote comme un paquebot : on ne donne pas des coups de barre erratiques qui ne pourront déboucher sur un changement de cap immédiat, surtout s’agissant d’un sujet aussi sérieux et complexe que celui du nucléaire.

Oui, le nucléaire est une source d’énergie décarbonée : n’en déplaise aux ultra-orthodoxes des ENR et les anti-nucléaires, la production d’énergie primaire par le biais de l’atome a été très rapidement reconnue dans les instruments multilatéraux de lutte contre le changement climatique. La convention de Rio -et surtout le protocole de Kyoto- l’ont intégré comme faisant partie des solutions énergétiques décarbonées : c’est d’ailleurs grâce à cette reconnaissance politique et scientifique que la France s’était vue assignée un objectif de réduction de zéro de ses émissions au titre du protocole de Kyoto, là où nos amis allemands avaient un objectif de près de 40%.

Au demeurant, les experts du GIEC, qui nous donnent au fil de leurs rapports toujours plus précis la tendance lourde qui nous guette en matière de réchauffement, ont toujours inclus le nucléaire dans les solutions de production d’énergie primaire à faible émission de GES, et donc susceptible de participer efficacement à la réduction de ces émissions. Le nucléaire, selon une étude scientifique américaine récente, aurait permis d’éviter le rejet de 60 gigatonnes de Co2 depuis 1971, qui auraient fait basculer notre monde dans une courbe de réchauffement global exponentielle et dévastatrice.

Oui, le mix énergétique est aujourd’hui dans le monde entier une fusée à étages qui comprend les énergies fossiles, le nucléaire et les ENR : Plutôt que de viser à l’arrêt du nucléaire et de se reposer sur une source totalement carbonée (charbon et pétrole) et une source intermittente (les ENR), il convenait de renforcer la part du nucléaire depuis de très nombreuses années pour laisser le temps aux ENR de franchir progressivement les étapes technologiques nécessaires permettant de les rendre compétitives, pilotables et fiables.

Non, le nucléaire n’est pas dangereux : La revue « Environmental Sciences and Technology » estimait dans une étude de 2013 que le nombre de victimes du nucléaire s’établissait aux alentours de 5000 personnes, incluant les deux grands accidents qu’ont été Fukushima et Tchernobyl. Naturellement, ces chiffres nécessitent encore des études sur le long terme, mais on n’est très loin des millions de victimes liées à l’utilisation notamment du charbon (depuis l’extraction jusqu’à son utilisation). Au total, toute chose égale par ailleurs, le nucléaire est aux énergies fossiles ce que le transport aérien est au transport terrestre : la où le nombre de passagers tués est de 0,44 par tranche de 100 millions de passagers kilomètre pour les voitures, il est de 0,01 pour le transport aérien.

Oui, le nucléaire civil est aujourd’hui une activité hyper-contrôlée, y compris sur le plan international : les autorités de sûreté nucléaire, pour peu qu’elles soient, comme celle de notre pays, des entités indépendantes et transparentes, assurent un contrôle qui place la sureté des installations au centre de toutes les considérations. Ce faisant, elle peuvent arrêter une installation sans subir une quelconque pression politique ou industrielle, et surtout exiger des améliorations de sûreté permanente résultant des retours d’expérience de fonctionnement des installations existantes ou des derniers développements technologiques. Peu de secteurs industriels peuvent se targuer d’un tel niveau de contrôle qui a d’ailleurs conduit le Japon, après Fukushima, à solliciter l’aide française pour créer sa propre autorité sur le mode de fonctionnement de l’ASN française.

Non, les déchets sont certes un défi mais pas un danger : les déchets hautement radioactifs et à vie longue ne constituent que 3% des déchets nucléaires. Le projet de stockage réversible en couche géologique profonde garantit non seulement un très haut niveau de sûreté, dûment validé par l’ASN, mais aussi et surtout donne du temps à de nouvelles ruptures technologiques pour leur traitement futur. Au demeurant, suivant la nature des déchets, les modes de stockage sont maîtrisés. Plus largement, les progrès incessants sur le cycle du combustible permettent aussi d’envisager un retraitement du combustible usé pour créer ainsi une boucle fermée.

Oui, le démantèlement est un enjeu de taille, mais sur lequel les opérateurs et les autorités de sûreté progressent rapidement. L’avantage du parc français est d’être composé de réacteurs de même gamme : la mise au point de techniques de démantèlement pour les plus anciens réacteurs de ce parc, permet d’envisager une courbe d’apprentissage rapide, à l’instar de ce que nos amis allemands mettent en œuvre sur leur propre parc et de créer une nouvelle activité industrielle exportable.

Oui, de nombreux pays ont compris les enjeux du nucléaire et notamment celui de petite taille : la Chine, les USA et la Russie travaillent à la mise au point -déjà industrialisée dans certains cas- de SMR (réacteurs modulaires de petite taille) qui permettent des intégrations plus aisées et des exigences de sûreté spécifiques. L’exemple américain est symbolique : « NuScale » est de la taille d’un générateur de vapeur d’un réacteur de taille normale et permet une intégration complète en usine des éléments d’un réacteur apte à délivrer 60MW. Il peut être ensiloté en série pour moduler la puissance totale délivrée avec de gros avantages de permanence de production et de maintenance.

La liste des « oui » n’est sans doute pas complète. Celle des « non » également, face aux idées reçues et servies à l’envie depuis de trop nombreuses années. Il est toutefois certain que la filière ne peut subir des décisions d’arrêt et de redémarrage erratiques qui provoquent une perte de compétence évidente, au détriment des nouveaux projets. L’EPR en a ainsi été une parfaite illustration. Il est donc urgent de repartir sur des investissements de long terme dans le secteur, qui puissent sécuriser à tous les sens du terme, notre production d’énergie primaire en contribuant efficacement aux instruments de lutte contre le changement climatique, et laisser ainsi du temps à la construction d’une filière des renouvelables qui soit maîtrisée, y compris en termes de capacités industrielles européennes, ce qui n’est guère le cas à ce jour.

Jérémy Valence est expert ès sécurité nucléaire. Les tribunes libres constituent l’expression de l’opinion de l’auteur et n’engagent en aucun cas celle de la rédaction.

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