Au delà des controverses, l’Allemagne n’a pas le choix

Terre d’immigration – elle a besoin des étrangers !

Le président allemand Joachim Gauck a trouvé le mot juste pour désigner l'extrême-droite du NPD - "cinglés". Foto: Michael Lucan / Wikimedia Commons / CC-BY 3.0

(Par Alain Howiller) – L’Allemagne, comme la plupart des pays, n’est pas exempte de contradictions. L’approche de l’immigration livre tout particulièrement un exemple de paradoxes : alors que l’Allemagne était déjà reconnu comme tant devenu,en 2012, le deuxième pays du monde, derrière les Etats Unis d’Amérique(1), le sondage mené par la BBC britannique auprès d’échantillons représentatifs de 24 pays, souligne que la République Fédérale est le pays le plus apprécié par 60% sondés !

Il n’y a guère qu’en Espagne et en Israël qu’une part importante de personnes véhiculent une image négative de l’Allemagne : ils sont 40% en Espagne et 38% en Israël à la cultiver ! Bien sûr, l’approche d’une partie des Espagnols s’explique par la responsabilité qu’on impute à l’Allemagne dans la mise en place des plans d’austérité et c’est encore le poids de l’Histoire qui pèse encore sur l’opinion, malgré les efforts déployés par les gouvernements.

Economie et immigration. – Il n’est pas étonnant, dans le contexte d’attractivité relevé, que l’Allemagne ait bénéficié du plus fort courant d’immigration des 20 dernières années. D’après l’Office Fédéral de la Statistique, le pays a accueilli, en 2013, 1.226 millions de personnes (+13% par rapport à 2012) : ce qui représente un solde positif, entre émigration et immigration, de 437.00 personnes (+146.000 de plus que l’année précédente). Le «contingent d’immigrants» le plus fort est venu de Pologne (189.000 : +72.000), l’essentiel des nouveaux arrivants est originaire d’Italie, d’Espagne, de Croatie, de Bulgarie et de Roumanie. Les deux tiers des immigrés viennent désormais des pays de l’Union Européenne – ils se sont dirigés principalement vers la Bavière, Nordrhein-Westphalen et le Bade-Wurtemberg, où la croissance économique est la plus forte.

Ce qui souligne le lien étroit qu’il y a entre cette immigration -qui n’est pas ou plus une immigration de la pauvreté («Armutseinwanderung»)- et le développement économique des lieux de destinations. Ce lien est souligné par le fait que ces immigrants ont une bonne formation, sont qualifiés et, compte tenu de la situation du marché du travail, trouvent très rapidement un emploi. Tout porte à croire que le «boom» de l’immigration se poursuivra en 2014 où on s’attend à ce que le solde positif atteigne 450.000 personnes !(2)

Le retour des «Gastarbeiter» ! – L’immigration concerne de plus en plus de salariés (jeunes et bien formés pour la plupart) qui entendent revenir chez eux une fois la crise résorbée dans leur pays : finalement, tout porte à croire que la notion de «Gastarbeiter», héritée des années 1950/1960, pourrait redevenir d’actualité avec l’arrivée des travailleurs originaires de l’UE sur le marché allemand de l’emploi ! Le retour de cette notion évitera peut-être à l’Allemagne, qu’on a cru pendant longtemps vaccinée contre toute forme d’allergie à l’étranger, de connaître ces phases de prurit idenditaire que les récentes élections européennes avec leur cortège d’élus eurosceptiques, europhobes ou carrément racistes a révélé !

Et de fait, le parti ouvertement d’extrême-droite, le «NPD» (National-Demokratische Partei Deutschlands», faiblement représenté jusqu’ici au niveau des Länder (à l’est du pays) et qui n’a réussi qu’à faire élire qu’un député au Parlement Européen. La Cour Constitutionnelle de Karlsruhe doit, d’ailleurs, examiner un recours présenté par les élus du Bundesrat en vue de la dissolution de ce parti qui vient d’être déboutée de deux plaintes rejetées le même jour !

Karlsruhe condamne le NPD ! – La première plainte visait le président Joachim Gauck qui, lors de la campagne des élection législatives de l’année dernière, avait déclaré à Berlin, devant une classe d’élèves, qu’il comprenait ceux qui descendaient dans la rue pour manifester contre les «cinglés» (les «Spinner») qui n’avaient rien retenu du national-socialisme, ni des leçons de l’Histoire. Le NPD avait déposé un recours contre le Président qui, estimait le parti, était sorti de son obligation constitutionnelle de neutralité(3). La Cour n’a pas suivi la requête, estimant que le Président, autorité morale, avait un rôle de gardien des valeurs de la République, qu”il avait le devoir de prendre la parole lorsqu’il estimait que ces valeurs étaient menacées. Le même jour, la Cour rejetait un autre recours du NPD qui voulait faire annuler comme inconstitutionnelle, l’élection des présidents Horst Köhler (2009) et Christian Wulff (2010), qui entre-temps a été entièrement blanchi des accusations qui avaient provoqué sa démission !

Quand le Président Gauck prend la parole ! – «Notre pays a besoin d’immigration. Nous ne nous diluons pas lorsque nous acceptons la diversité. Certes, sur le plan de l’immigration, nous avons déjà parcouru un long chemin, mais tous (…nos compatriotes…) n’acceptent pas la manière dont s’exprime l’immigration !… », avec ces mots le Président Gauck a mis, une fois de plus, les pieds dans le plat. C’est ce qu’il devait affirmer, à Berlin, au Chateau Bellevue, sa résidence officielle, lors d’une cérémonie conférant la nationalité allemande à des immigrés et célébrant les dispositons de la Loi Fondamentale (constitution). Dans un discours -remarquable- il demande à ses compatriotes de faire preuve de plus d’ouverture et de compréhension à l’égard des immigrés, sans pour autant vouloir ignorer certaines de ses réalités : «Ghettoisation et criminalité chez les jeunes, influences des «anciens» et homophobie, fraudes à l’aide sociale, école buissonnière (sont des réalités)… Il ne peut y avoir de circonstances atténuantes pour des attitudes contraires à nos lois», continue Gauck qui conclut : «Nous devons faire preuve d’ouverture à l’égard de ceux qui viennent chez nous. Etre ouvert demande un effort. Mais n’oublions pas qu’ils sont les bienvenus, qu’ils aient traversé la Méditerranée par bateau ou franchi les océans en Business Class à bord d’un avion, qu’ils aient bénéficié d’une bourse Erasmus ou qu’ils soient venus au titre d’un regroupement familial… Leur venue m’emplit de joie et je leur dis «merci» !

L’échec du «multi-kulti ?» – Discours chaleureux, mais qui souligne aussi que si politiquement la réaction «à l’immigré» ne s’est pas manifesté en Allemagne de la même manière qu’ailleurs, le débat, plus ou moins souterrain, existe. Il existe lorsque la chancelière, elle même, relève les ratées de l’intégration et lance «der Ansatz für Multi-Kulti ist gescheitert, absolut gescheitert» (la «mise en place» du multi-kulti a été un échec, un échec total). Ou lorsque Angela Merkel, face à l’immigration rappelle que l’état allemand n’est pas l’équivalent d’une «assistante sociale».

Il existe lorsque le Ministre de l’Intérieur Thomas de Maizière veut, au grand dam de la Grande Coalition, encadrer l’immigration venue de l’Est ; le débat s’exprime aussi lorsque les membres de la CSU de Bavière témoignent de leur hostilité à ce qu’ils appellent «l’immigration de la pauvreté» («Armutseinwanderung») ou lorsqu’ils refusent les dispositions du contrat de coalition à propos de la double nationalité. Le débat se manifeste encore lorsque le parti «AfD» (Alternative für Deutschland) hostile à «l’immigration de masse» et à la forme actuelle de l’Euro, récolte 7% des voix aux élections européennes, deux ans après sa création, et envoie 7 députés au Parlement Européen. Il est néanmoins vrai que l’AfD refuse d’être classée à l’extrême-droite et a refusé de s’allier au Front National français au sein d’un groupe d’extrême-droite !

Si les leçons du passé ont incontestablement pesé sur la manière dont -au contraire de ce qui s’est passé ailleurs- s’expriment les réserves (pour ne pas dire plus !) vis-à-vis de l’étranger, mais aussi la volonté d’un plus grand esprit «national», il serait idéaliste (et hypocrite) de penser que l’Allemagne échapperait à ces tendances.(voir l’article paru dans eurojournalist.eu du 5 Juin).

Etrangers, national-socialisme : le poids des régions de l’Est ! – D’après une étude de l’Université de Leipzig sur l’extrémisme de droite en Allemagne, si on constate par rapport à l’étude précédente remontant à deux ans, un recul de l’hostilité à l’étranger, une régression du chauvinisme, de l’antisémitisme, de la banalisation du national-socialisme, de la séduction exercée par l’autoritarisme en matière de gouvernement, ces données ne se sont pas (ni ici, ni ailleurs) miraculeusement évaporées. 18,1% des personnes interrogées dans le cadre de cette étude ont témoigné de leur hostilité à l’égard des étrangers(contre 25,1% en 2012, lors de l’étude précédente), 13,5% des sondés ont témoigné de leur chauvinisme (contre 19,4%), 5,1% étaient anti-sémites (contre 8,6%), 2,2% ont banalisé le national-socialisme («il y avait aussi du bon», contre 3,1% en 2012) et 3,6% (+0,1%) se sont déclarés favorables à une dictature de droite. Ces chiffres montrent une adhésion plus forte dans les «Länder de l’Est» que dans les régions situées à l’Ouest !

Confirmant qu’elle était devenue «terre d’immigration», après avoir été pendant des siècles «terre d’émigration», l’Allemagne -son économie- doivent apprendre, de plus en plus, à vivre avec l’apport de populations étrangères : comment faire autrement lorsque les experts prévoient qu’en 2050, il manquera 11 millions de personnes dans la tranche des «actifs» ? Vous avez dit «intégration» ? Plutôt deux fois qu’une, dans ce contexte !

(1) Etude publiée par l’OCDE et portant sur 2012. L’Allemagne est certes le deuxième pays au monde pour l’accueil d’immigrés. Mais les Etats Unis restent, de loin, le premier pays avec l’accueil de plus de 1 million de personnes. L’étude pour la BBC-World Service a été réalisée par Globe Scan qui a interrogé plus de 24.000 personnes dans 24 pays.

(2) Le gouvernement fédéréral a décidé d’accueillir 10.000 réfugiés syriens supplémentaires au titre du droit d’asile. Il en accueille déjà 10.000.

(3) Quelques jours avant les élections au Bundestag, le Président Gauck avait déclaré, à propos des manifestations contre l’extrême droite : «Nous avons besoin de citoyens qui n’hésitent pas à descendre dans la rue, pour fixer aux «cinglés» les limites (à ne pas franchir)».

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