Au-delà des élections européennes en France…

... tous responsables, tous coupables.

Les forces anti-européennes ne pourront pas bloquer le Parlement Européen. Foto: © Kai Littmann

(Par Alain Howiller) – Ministre des Affaires Sociales et de la Solidarité Nationale, dans un gouvernement dirigé, alors, par Laurent Fabius, Georgina Dufoix était entré dans les annales de la politique pour s’être «reconnue responsable, mais pas coupable» pour n’avoir pas su empêcher la vente par le «Centre National de Transfusion Sanguine – CFNS» de sachets de sang contaminés pour certains par le… virus du sida ! Elle était interrogée le 31 Janvier 1992 par Anne Sinclair dans le cadre de l’émission télévisée «7/7» ! En ce dimanche soir d’élections européennes, je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux déclarations de l’ancienne ministre, en passant d’une chaîne de télévision à une autre, en dépouillant les dépêches qui tombaient, les messages qui s’affichaient. Devant le «tsunami électoral» provoqué par les résultats du Front National en France, ils semblaient tous -responsables de la société civile, responsables des médias, hommes ou femmes politiques- avoir fait leurs les propos de l’ancienne ministre de la «solidarité nationale». Ils se sentaient tous responsables, mais en aucun cas coupables. Et pourtant. ils étaient tous responsables et coupables !

A commencer par les dirigeants de nos pays qui ont eu le culot de se donner le mot : «C’est la faute à l’Europe !» Alors même qu’ils s’attachaient à privilégier les intérêts nationaux (souveraineté nationale oblige) en renforçant, au mépris des Traités, le poids du Conseil des chefs d’état et de gouvernement contre la Commission de Bruxelles et le Parlement Européen de Strasbourg. Alors même que tant le Conseil Constitutionnel français ou la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe peinaient à reconnaître la légitimité du parlement strasbourgeois. Combien de médias ont souligné cette lente mais irrémédiable dérive institutionnelle ? C’est la faute à l’Europe «devenue illisible» pour le Président de la République française qui, après avoir affirmé qu’il était européen, avoue -un peu tard (trop tard ?)- que «ce n’est pas l’Europe qui nous demande de faire des réformes, c’est pour la France que nous devons les mener à bien…».

Hollande, le culot, la défiance et l’Europe ! – Il n’empêche que pour François Hollande, le résultat des élections européennes est un «vote de défiance à l’égard de l’Europe qui inquiète plus qu’elle ne protège.» Bel effort pour… relancer le «c’est la faute à l’Europe» et utiliser un paratonnerre pour écarter les tentations de voir dans les résultats un vote-sanction de la politique gouvernementale. Mais effort vain si on considère que les états ont largement piloté la politique européenne et que le retour à la souveraineté nationale que beaucoup -des eurosceptiques aux anti-européens- réclament a sous-tendu les évolutions européennes des dernières années : si il n’y a pas d’harmonisation du droit du travail, de la fiscalité, du droit des affaires, s’il n’y a pas de politique commune en matière de finances, de défense commune, de politique étrangère commune -en dépit de la désignation-alibi d’un président de l’Union et d’une chargée de la politique étrangère- ce n’est pas la faute à l’Europe, mais celle aux états qui la composent. Mais il doit être clair que toutes ces absences qui se sont affirmées, une fois de plus, dans le cafouillage du conflit Ukrainien, n’ont pas été le fait des gouvernements actuels : elles relèvent d’approches qui perdurent depuis des années. Alors, on a envie de dire «chiche» à François Hollande lorsqu’il clame : «Cela ne peut plus durer, l’Europe doit être simple, claire, pour être efficace là où elle est attendue, et se retirer (de) là où elle n’est pas nécessaire».

Peut-être l’un des conseillers du Président aura-t-il le courage de lui expliquer que ses propos recouvrent très exactement la manière de fonctionner d’un… état fédéral ! Car contrairement à ce que croit la quasi totalité des observateurs français, l’état fédéral préserve la souveraineté de ses membres qui restent autonome et qui ne délèguent à l’échelon fédéral que les prérogatives et pouvoirs que les membres estiment ne plus pouvoir exercer efficacement. Le tout est régi par une constitution démocratiquement élaborée et approuvée : le texte peut même prévoir (comme en Bavière) la possibilité d’une présence officielle à l’étranger et la possibilité, au contraire des Traités européens, de quitter la Fédération. Un petit parti autrichien (les «Neos») qui aura un député au Parlement Européen, défend la création d’un état fédéral européen, formule dont le groupe libéral-centriste du Parlement Européen, avec ses 66 élus, est proche.

Faut-il plus ou moins d’Europe ? – Alors, faut-il plus ou moins d’Europe ? Un sondage diffusé le soir des élections soulignait que si les Français (les suffrages le confirment) étaient réservés face à la politique européenne, ils restaient favorables à l’Euro et souhaitaient que leur pays reste dans l’Union Européenne ! Un sondage Ipsos-Steria avait souligné précédemment que 40% des Français estimaient que l’appartenance à l’Union était une bonne chose, chiffre consolidé, en quelque sorte, par le fait que 38% des sondés pensaient que ce n’était ni une bonne, ni une mauvaise chose. Seuls 22% estimaient que faire partie de l’Union Européenne était une mauvaise chose. Contrairement à ce qu’on a trop entendu au vu du résultat des élections (voir pour les résultats eurojournalist.eu des 26 et 27 Mai), les Français ne sont pas contre l’Europe, mais pour une Europe différente qui prenne mieux en compte leurs besoins en matière d’économie, d’emploi, de libre-circulation, d’harmonisation sociale et fiscale – autant de thèmes auxquels, histoire aidant, on est particulièrement sensible sur les bords du Rhin !

Les élections du 25 Mai, outre le fait qu’elles ne bouleversent pas l’équilibre au Parlement Européen, malgré la présence de 140 députés euro-sceptiques voire anti-européens qui ne pourront rien bloquer, contrairement à ce qu’on veut faire croire, incitent à se pencher sur quelques constats de plus. Tout d’abord, à moins de 3 semaines des cérémonies (6 Juin) du 70ème anniversaire du débarquement des Alliés en Normandie, le thème de «l’Europe c’est la paix et la réconciliation franco-allemande» n’est plus porteur, même en Alsace où le taux de participation, malgré une légère progression par rapport aux élections européennes de 2009 (+ 2,71 %) est resté faible (47% environ). Il faudra en tenir compte notamment pour la légitimation de Strasbourg, siège naturel du Parlement Européen, car symbole de la réconciliation entre les deux rives du Rhin.

Cette évolution intervient à un moment où Catherine Trautmann, ex-députée européenne socialiste et ancienne Vice-Présidente de la Communauté Urbaine de Strasbourg, a été battue aux élections de ce 25 Mai : elle incarnait efficacement le combat pour le maintien du siège du Parlement dans la capitale alsacienne. Sa non-réelection est une perte, même si l’opposant majeur au siège strasbourgeois -l’eurosceptique britannique Edward McMillan- a été, lui aussi, battu dans son fief électoral du Yorkshire !

Le combat pour le siège du Parlement à Strasbourg ! – L’ironie veut que le seul élu du conseil municipal de Strasbourg à même de soutenir le maintien du siège au sein du Parlement Européen est Jean Luc Schaffhauser, élu député FN ! Dans quelle mesure cet élu «sulfureux» -en particulier parce que appartenant à un parti anti-européen !- il paraît difficile de l’intégrer dans le jeu de la défense de Strasbourg l’européenne. Cettte défense risque fort de reposer principalement, au sein du Parlement, sur Anne Sander, élue sur la liste de l’UMP. Elle a été la collaboratrice de Joseph Daul, ancien «patron» du Parti Populaire Européen, qui ne se représentait plus. Mais, l’élection de Schaffhauser montre que le FN, dont les membres s’étaient déjà fait remarquer pour leurs nombreuses absences aux sessions du Parlement Européen, et qui donne si facilement des leçons aux autres partis, n’hésite pas à entrer dans le jeu politique classique pour ramasser des sièges : conseiller municipal de Strasbourg, J.L.Schaffhauser ne se retrouve-t-il pas élu FN en Ile de France!

La situation ne manque pas de souligner l’aberration que constitue dans l’hexagone français le découpage des élections en sept circonscriptions, sans identité, désignant des députés très éloignés de leurs électeurs : ce n’est évidemment pas une situation favorable à la participation électorale. Un système qui demanderait à être revu : verra-t-on un jour l’apparition de circonscriptions transfrontalières, proches des gens et dont les élus auraient une vraie circonscription à représenter ? Cela contribuerait peut-être à éviter qu’on envoie à Strasbourg, des «seconds couteaux», d’anciens ministres, d’anciens élus battus qu’il faut recaser !

Sarkozy, hors course, Merkel confortée ? – Si sur le plan européen, l’élection de députés anti-européens ou eurosceptiques ne risque guère de paralyser les institutions, les conséquences sur le plan intérieur français risquent, elles, d’être considérables. Le tsunami, il se situe à ce niveau : parce que les partis ont voulu faire -à tort- de ces élections européennes, un test national. Ils ont procédé ainsi à ce que j’ai appelé, un jour, un «détournement d’objet électoral», ne s’agissait-il pas d’élire des députés au Parlement Européen et non à l’Assemblée Nationale. Il ne s’agissait pas non plus de sanctionner la politique du gouvernement. La campagne électorale et les partis en ont décidé autrement : ils ont voulu faire de ces élections un test électoral national et un moyen de redessiner (malgré les risques liés à l’abstention prévue) le paysage politique français. Et le test leur est revenu comme un boomerang !

En plaçant le FN en tête, le «test» a fait imploser l’UMP, à droite : le parti voulait profiter de la consultation pour montrer qu’il était le premier parti d’opposition à François Hollande ! A gauche, le «test» a fait exploser le PS, plus que jamais divisé en courants, menaçant la majorité au pouvoir. Il se pourrait que nous assistions à une recomposition du paysage politique : face au FN, nous pourrions connaître une restructuration de la droite (intégrera-t-elle le Centre qui a bien tiré son épingle du jeu lors des élections ?) et une recomposition des forces de gauche susceptible de peser sur les orientations du gouvernement.

La recomposition de la droite risque fort, dans la perspective des élections présidentielles de 2017, de mettre hors jeu l’ancien président Nicolas Sarkozy. Au contraire de ce qui s’est passé sur la rive allemande du Rhin, où les élections européennes -malgré le recul de la CSU en Bavière- ont consolidé le leadership d’Angela Merkel pour un… quatrième mandat de chancelière à chercher en…2017 !

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