Au Forum Européen de Bioéthique de Strasbourg.
La médecine est un art… L’art est parfois une médecine.

(Par Gervaise Thirion) – Au Forum Européen de Bioéthique à Strasbourg, le choix n’était pas mince. Dans la profusion de débats proposés (35 sur 6 jours), deux ont retenu notre attention, comme se faisant écho l’un à l’autre :
LA FABRIQUE DES MALADIES. – La maladie, quand elle survient, perturbe «cet état de bien-être physique, mental et social» qu’est la santé (selon la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé – OMS). Beaucoup y sont confrontés, en souffrent. On en connait souvent la cause ou l’élément déclencheur, personne ne la souhaite… Tout cela est concevable.
Mais qu’une maladie puisse être «fabriquée» ! – A la tribune, pour ouvrir les échanges : Jean Sibilia, rhumatologue et doyen de la Faculté de Médecine de Strasbourg. André Grimaldi, Professeur de diabétologie à la Pitié Salpêtrière. André Corman, sexologue et andrologue, directeur d’enseignement à la Faculté de Médecine de Toulouse.
Trois médecins, des esprits brillants, qui ont apporté, sans jargon, de façon très accessible et agréable, des exemples, des anecdotes, extraits de leurs expériences, pour étayer la démonstration. Écoutons-les.
«Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore» (Jules Romain) – La médecine a fait de tels progrès, en matière de technologie surtout, qu’on pourrait s’attendre à une forte diminution des pathologies. Pas du tout ! Celles qui se développent à présent sont différentes et c’est «la Société» qui les crée, autant dire que chacun y a sa part.
Le corps médical, tout d’abord (mea culpa) qui, bénéficiant d’un large éventail d’examens, multiplie les investigations de toutes sortes, pour répondre à l’attente de patients inquiets.
Il se trouve, en général, confronté à deux cas de figures :
- Des symptômes sans anomalies : Le patient a le sentiment d’être malade, mais les recherches ne détectent rien d’anormal.
- Des anomalies sans symptômes repérées lors d’examens de prévention, des dépistages systématiques. (Cas nommés «fortuitome» ou «incidentalome»).
Avant de déclencher le processus de soins, le médecin a recours à des normes chiffrées, bien établies. (Taux de cholestérol par exemple). Mais quand il s’agit de comportement, d’alimentation, de mode de vie, de sexe… Quelles sont les normes et qui les fixent ? C’est là que l’affaire se complique.
Nous vivons à l’ère de la «média-culture» et du culte de la performance. Pas une semaine sans gros titres dans les journaux (la charcuterie cancérogène ou cancérigène comme on voudra, la nocivité de tel vaccin, le nombre d’orgasmes nécessaires à une vie sexuelle épanouie…). Certaines industries, à l’activité naturellement lucrative, ont tout intérêt à créer des besoins (promotion de compléments alimentaires même si nous ne souffrons plus de carences depuis belle lurette). L’individu veut se faire sa propre opinion en allant chercher sur Internet et les réseaux sociaux les informations qui l’aideront à choisir ce qui est bon pour lui et se trouve noyé dans un déluge de témoignages, de conseils, d’avis plus ou moins bien intentionnés, source supplémentaire de désarroi et d’angoisse.
Les patients, qui ont oublié que la vie est une maladie mortelle sexuellement transmissible et que le risque zéro n’existe pas, deviennent de plus en plus exigeants à l’égard du médecin dont l’exercice se révèle très difficile.
Mais il ne faut rien laisser passer, ne jamais négliger la parole des patients. Pas de droit à l’erreur ! De là naît l’obligation de trouver des mots pour expliquer l’inexplicable. Ces mots tels que «dystonie neurovégétative» ou «fibre myalgique» suscitent plus l’angoisse que l’apaisement.
Jean Bernard, dans son dernier discours, opposait la vitesse supersonique des progrès technologiques à la lenteur de la sagesse. Le médecin doit retrouver sa place au cœur du dispositif car il est le seul habilité à définir s’il y a lieu de soigner ou pas. Il doit savoir écouter, être en empathie, faire comprendre la complexité de l’être humain et surtout prendre le temps. Retour à l’Humanisme, à l’humain. La médecine est une science mais c’est aussi un art. Qu’on se le dise !
L’ART ET L’ANORMALITE. – Cet autre débat, tout aussi passionnant, réunissait une psychanalyste et différentes personnalités issues du milieu artistique. Chacun selon sa spécialité a donné son éclairage sur les liens souvent établis entre création artistique et trouble psychique.
Dans ce domaine, également, où se trouve la norme? Jean-Pierre Ritsch-Fisch, galeriste et Joëlle Cabot-Pijaudier, directrice des musées de Strasbourg, ont fourni une remarquable contribution en relatant l’histoire de l’art des fous. L’exemple emblématique est celui de Hans Prinzhorn (1886-1933), médecin psychiatre et historien de l’art (Heidelberg) qui en rassemblant une importante collection «d’art psychopathologique», bouleversa le regard des artistes et de la société sur les malades mentaux. Celle-ci influença nombre d’artistes de Paul Klee aux surréalistes, puis Dubuffet. Il est à l’origine du concept de Gestaltung, cette force vitale aux capacités libératrices, créatrices et cathartiques pour peu qu’elle soit mise en œuvre sans entrave, sans contrainte. Les adeptes d’art-thérapie s’inspireront de ses travaux.
Sandrine Roudeix, écrivaine, a expliqué, au travers de l’histoire de Diane Arbus, comment le curseur entre normal et pathologique peut se déplacer selon l’époque, le contexte… Cette photographe fut vivement critiquée, controversée en présentant ses portraits dérangeants d’américains anonymes, de personnages hors normes, alors qu’ils n’étaient que le reflet de la vie même. A présent, on loue son talent.
Faruk Gunaltay, directeur du cinéma l’Odyssée, a montré, en s’appuyant sur une filmographie très documentée (Freaks, Vol au-dessus d’un nid de coucou…) comment le cinéma, par la multiplicité des points de vue, permet de relativiser le normal et le pathologique.
Jewly, auteur, compositeur, interprète, interrogea la responsabilité du regard des autres. Comment l’institution crée l’anormalité en conformant, de force, des individus à vivre selon des codes et des critères qui ne leur conviennent pas.
Les échanges animés, argumentés et intarissables qui ont suivi ces débats, prouvent que le Forum Européen de Bioéthique répond à une véritable attente de la part du grand public. C’est aujourd’hui un évènement qui doit son succès tant à la qualité des contributeurs choisis qu’à celle des participants anonymes de plus en plus éduqués et pertinents dans leurs interventions.
Désormais on est invité à porter un regard différent sur toutes les formes d’art (arts graphiques, cinéma, musique…) surtout quand elles nous intriguent, nous interpellent et parfois nous dérangent.
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