Au nom de toutes les «Fatima».

La cérémonie des Césars s’est déroulée le week-end dernier et a couronné «Fatima» par trois récompenses dont celle du «Meilleur Film».

"Fatima" a été plébiscitée aux Césars - interview avec le réalisateur Philippe Faucon. Foto: Pyramide Distribution

(Par Nicolas Colle) – Eurojournalist(e) a eu le privilège d’échanger quelques mots avec Philippe Faucon, le réalisateur de ce film puissant, social, humain, intimiste, juste, mais aussi politique après tout. Il est adapté d’un livre de Fatima Elayoubi.

Déjà félicitations pour votre beau film, vos récompenses et vos comédiennes. Notamment Zita Hanrot qui vient de recevoir le César du Meilleur Espoir Féminin. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur elle ?

PF : C’est une fille qui a une grâce incroyable et que l’on retrouvera très bientôt dans de nouveaux projets alors qu’elle vient de sortir du conservatoire. Le cinéma permet de révéler des choses particulières chez une comédienne qu’on ne perçoit pas forcément en travaillant sur le plateau mais que la caméra magnifie. Elle révèle l’intériorité et l’âme d’un interprète car elle a une précision qui est celle d’un instrument technique qui va au delà de ce que l’œil ou l’oreille humaine peuvent percevoir.

Et votre actrice principale, Soria Zeroual, qui était également nominée au César de la Meilleure Actrice alors qu’elle n’est pas comédienne de formation mais fait des ménages comme son personnage ?

PF : On a dû procéder à un casting sauvage pour une raison inhérente à l’histoire. C’est un film qui raconte la séparation, par la langue, entre une femme venue d’Algérie qui parle l’Arabe, qui a donné naissance à deux filles qui, elles, parlent le Français. Elles sont donc séparées par la langue et cette mère veut retrouver une communication avec ces deux enfants. Or, ça ne se «joue» pas d’avoir des problèmes avec une langue, même pour des grands comédiens. Du coup, tous les essais avec des comédiennes de métiers qui maitrisaient le Français n’étaient pas satisfaisants. Dès lors, il fallait trouver quelqu’un qui ne maîtrisait pas parfaitement le Français. Et pourtant ce n’est pas un rôle facile, il exige un jeu et de la technique, ce qui n’est pas à la portée de n’importe quel non-professionnel. On est parti sur ce principe là, puis j’ai vu une interview de Soria qui m’a interpellé et j’ai demandé à la rencontrer. Elle avait un calme, une maitrise et une présence a l’image qui m’a attiré et ces essais étaient convaincants même s’il a fallu beaucoup lui expliquer les choses afin qu’elle cherche en elle, l’émotion qu’elle devait exprimer. Elle a une intuition naturelle, une intelligence et une compréhension qui lui permettait de comprendre ce qu’il fallait mettre en mouvement chez elle pour arriver à ce qu’on voulait obtenir.

J’imagine qu’un projet intimiste comme celui-ci n’a pas dû être facile à produire ?

PF : Le montage financier n’a pas été évident car je souhaitais un casting avec peu de notoriété et cela effrayait les financiers, de même que le fait de sous-titrer le film… Ce qui était pourtant logique puisque Fatima s’exprime le plus souvent en Arabe. J’ai dû trouver une coproduction avec le Canada car le budget attribué par la France ne suffisait pas, même si Arte nous a soutenus. Il n’y a maintenant plus que des chaînes de télévision comme celle-ci pour soutenir ce genre de projet. Du coup quelques techniciens canadiens sont venus travailler sur le tournage et  une partie de la post-production s’est effectuée au Canada. La région Rhône-Alpes s’est également engagée auprès de nous, d’où le fait de situer l’histoire à Lyon même si on a tourné quelques scènes d’intérieur à Marseille car la région PACA nous a également soutenu.

Selon vous, quel message Fatima a t’elle voulu faire passer en écrivant son livre ?

PF : Ce que disent Fatima Elayoubi (l’auteur) et Soria Zeroual (l’interprète), c’est que l’une a écrit ce livre et l’autre a joué ce personnage pour parler de toutes les Fatima. Tout cela part d’un désir de donner à mieux connaître ces femmes sur lesquelles on pose un regard qu’elles jugent assez réducteur. Fatima m’a dit avoir écrit ce livre pour dire à ses filles et à la société ce qu’une femme peu considérée comme elle, pouvait penser ou ressentir sur le monde dans lequel elle vit. Dans le film, il y a aussi une scène assez violente où l’une des filles accuse sa mère de faire un travail ingrat après qu’elle ait été témoin d’une forme de mépris de la part d’une employeuse de Fatima vis à vis de sa mère. Ce qui peut se comprendre car là où il y a un parent blessé, il y a un enfant en colère. Donc à ce moment du film, Fatima prend vraiment peur car elle craint que le respect qu’elle a essayé d’inculquer à ces enfants puisse disparaître. Du coup, elle écrit ce livre pour s’adresser à sa fille et lui dire : «Tu vois, cette femme a essayé de m’éviter et n’a pas voulu me parler mais elle a eu tord car elle a besoin d’une Fatima». Ce livre lui permet d’expliquer à sa fille qui elle est vraiment. Et quel rôle elle joue au delà de cette image à laquelle sa fille et la société peuvent la réduire.

Souvent, la question d’apprendre le Français aux immigrés pour faciliter leur intégration est politiquement considérée comme assez droitière et mal perçue dans une partie de la société. Or, ici on s’aperçoit tout de même, sans tomber dans des dérives extrêmes, que le fait de mal maîtriser la langue de son nouveau pays, handicape sérieusement Fatima dans sa vie de tous les jours et dans sa relation avec ses enfants ?

PF : Disons que lorsque la question de l’apprentissage du français pour les immigrés avait été posée par Sarkozy et Buisson, c’est dans une forme très impérative et aussi dissimulatrice de bien d’autres choses. Ici, la question est davantage humaine que sociale car en raison de la barrière du langage, Fatima et ses filles ne peuvent plus se rencontrer. Cette femme est venue en France, a donné naissance à des enfants, les a élevés tout en travaillant durement et ce n’est jamais facile, pour personne, de recommencer une vie tout en essayant d’apprendre une langue aussi éloignée de l’Arabe. Elle dit d’ailleurs dans son journal que c’est usant de se rendre aux cours d’alphabétisation après avoir bossé toute la journée et d’effectuer encore des trajets avec les transports en commun. Mais elle a cette volonté de préserver le lien avec ses enfants qui vont faire leur vie en France. C’est une vraie héroïne du quotidien.

Et comment ! Un film nécessaire dans la conjoncture sociale et politique en Europe parce qu’il donne aussi à réfléchir, en douceur, presqu’avec tendresse, au sort des « migrants» ou réfugiés et de leur descendance.

On trouve Fatima en DVD ou on peut le voir ou le revoir dans les salles, suite à ses succès aux Césars.

Pour visionner la bande annonce de ce film, CLIQUEZ ICI !

Fatima affiche

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