Aujourd’hui l’Italie, demain toute l’Europe ?

La situation politique en l’Italie fait couler beaucoup d’encre. En même temps, le changement italien oblige l’Europe à remettre en question son propre fonctionnement.

Ah, 'Bella Italia' - et maintenant, l'Europe doit se poser de sérieuses questions... Foto: privée

(Par Ornella Tamaro) – En Italie, la question de la «normalité» du système politique a longtemps été un objet de réflexion. Une partie substantielle de la science politique italienne a en effet tenté de décrire et d’expliquer cette prétendue «exceptionnalité» par rapport aux autres démocraties occidentales. Parmi les principaux facteurs mis en avant pour soutenir cette interprétation, on trouve: le fossé séculaire entre «pays réel» et «pays légal», le crime organisé, la présence du Vatican, ainsi que celui qui fut le plus grand parti communiste du bloc occidental, le manque d’alternance pour toute la durée de la Première République (en partie aussi en raison de la position particulière de l’Italie dans ce bloc) et, plus tard, celle qui fut définie comme l’«anomalie Berlusconi».

Pourtant, certains observateurs étrangers du système politique italien ont récemment avancé une thèse contraire. Dans un article intitulé « The Italian Disaster », paru dans le London Review of Books en mai 2014, Perry Anderson écrivait que « l’Italie n’est pas une anomalie en Europe. Elle plus proche d’en être un concentré ». De même, dans un commentaire sur les résultats des élections de février 2014, le professeur Marc Lazar, un spécialiste de la politique italienne,  avait d’abord affirmé que l’Italie était un « laboratoire » dans lequel mûrissent des phénomènes observables – quoique sous une forme encore embryonnaire – dans presque tous les autres pays européens. L’historien et sociologue, lors de sa récente intervention du jeudi 14 juin 2018 à l’Assemblée Nationale, nuance le terme de « laboratoire » pour le remplacer par « sismographe », définissant l’Italie comme « un pays qui enregistre les premières secousses, qui se répandent ensuite dans les autres pays européens ».

Le professeur Lazar va plus loin dans son analyse et avertit l’Europe, mais en particulier la France et l’Allemagne, de ne pas sous-estimer ce qu’il se passe en Italie, et souligne :

« ‘L’anomalie italienne’ a longtemps été considérée comme une clé d’explication que je réfute depuis des années. Je pense que ce qui se passe en Italie est prémonitoire. » – Marc Lazar, professeur d’histoire et de sociologie à Sciences Po.

L’improbable alliance entre un « non parti », le Movimento 5 Stelle (M5S) et un parti d’extrême droite, la Liga Nord, devenue la Liga, peut-elle vraiment se répéter en Europe ?

Le M5S, est né de l’initiative de celui qui ne voulait pas qu’on l’appelle le « Coluche italien », l’humoriste Beppe Grillo, qui entendait bien « arriver jusqu’au bout » de son « association libre de citoyens », un réel mouvement de fond d’un peuple lassé par les frasques de Berlusconi et les partis traditionnels.

Ce comique qui faisait peur, comme Coluche faisait peur, a gagné son pari. Interdit d’antenne, il a interpellé le peuple italien avec son camping-car en allant de ville en ville, jusqu’au succès qu’on lui connaît depuis les élections de 2018.

La presse avait rapidement fait le rapprochement entre ce mouvement (les « Grillate Rosse ») et les « Brigate Rosse », mouvement terroriste d’extrême gauche, mais le journaliste italien Marco Travaglio souligne que « ces terroristes-là ne tirent pas, ils signent ».

Ainsi, sur ce terrain privé de partis et d’idéologies traditionnelles, de plus en plus peuplé de personnalités médiatiques, les formes d’antipolitiques et de populisme, qui ont émergé en Italie bien avant beaucoup d’autres pays européens, retiennent l’attention de tous les commentateurs politiques européens. La Ligue (anciennement Ligue du Nord) est certainement un cas d’école, ayant été parmi les premiers partis de la nouvelle droite populiste à obtenir des positions gouvernementales dans un pays européen. Le succès électoral du Mouvement des 5 étoiles fondé par Beppe Grillo alerte, lui, sur le potentiel de mobilisation des nouveaux médias, surtout s’il est combiné avec des instances de revendication gérées verticalement par un leader charismatique.

Le professeur Marc Lazar estime que cette alliance n’est pas destinée à durer, et que bien au contraire, « le M5S et la Ligue s’allient pour mieux se diviser de façon hégémonique, et écarter définitivement les partis traditionnels », car les  points de divergence des programmes et les puissants ego des leaders ne le permettront pas.

Ces dernières années, ceux qui y comprennent quelque chose (commentateurs et journalistes) ont établi que le seul allié possible des cinq étoiles était la Ligue, car le Mouvement au même titre que la Ligue, serait anti-européen, car, comme la Ligue, il serait contre les immigrés, car, comme la Ligue, ce serait un mouvement populiste et anti-système, donc de droite, peut-être pro-fasciste. Si l’on voulait aller au-delà de la simplification « M5S = Ligue », on se demanderait sur quels points du programme électoral devrait se baser cette alliance, en dehors de l’allégation commune de populisme. On découvrirait alors que les points de convergence sont en effet pratiquement absents. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller voir les propositions faites par les deux partis lors de la dernière législature et réitérées lors de la campagne électorale…

Toutefois, le professeur Lazar souligne le danger d’une Europe, et surtout d’une France et d’une Allemagne, qui désavouerait avec trop de véhémence un pays qui s’empresserait alors, sous le feu des critiques et blâmes, de consolider une alliance dangereuse. A suivre.

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste