Avant Bruxelles : l’Europe des souvenirs, sans… mémoire !
Alain Howiller analyse le sommet européen qui commence jeudi à Bruxelles. Pas vraiment mirobolantes, les perspectives, à un moment où les pays européens perdent la mémoire…
(Par Alain Howiller) – L’Europe, on l’a souvent souligné, avance par crises. Avancera-t-elle après ce sommet des 28/29 Juin que 16 pays ont essayé de préparer dimanche en se retrouvant à Bruxelles à l’invitation de la Commission Européenne ? Ils se sont retrouvés à 16 : sans notamment les pays membres de ce qu’on appelle le « groupe de Visegrad » (Pologne, Hongrie, Slovaquie, République Tchèque) qui continuent de labourer un sillon eurosceptique, anti-immigrants et nationaliste. Le tout sans pour autant renoncer aux aides généreuses que leur verse l’Union ! Le sommet des 28/29 veut trouver des solutions au problème de l’accueil des migrants que certains états (dont le groupe de Visegrad) refusent de recevoir sur leur territoire en avançant leur « souveraineté nationale » : une notion qu’on avance de plus en plus et qui, pourtant, tout particulièrement aujourd’hui, gagnerait à être… relativisée devant l’étrange mutation des USA, la montée de la Chine ou la remontée de la Russie !
A « Sciences Po », mon professeur de relations internationales avait l’habitude de nous rappeler que la « souveraineté nationale » était une notion à manipuler avec beaucoup de prudence : « Même l’adhésion à l’ONU est une démarche qui altère la souveraineté nationale ! »
La Hongrie entre les chars soviétiques et Orban ! – C’était il y a bien longtemps, une période tellement proche encore de ce 9 Novembre 1956 où radio « Pecs » lançait, depuis une Hongrie écrasée par les chars soviétiques, cet ultime message avant de se taire de à jamais : « Nous arrivons à la fin de nos réserves en munitions et en vivres. Notre sang, c’est tout ce qui nous reste à verser… ». Quelques jours auparavant, Radio « Hongrie Libre »’ avait lancé un dernier message, sur fond de la 9ème symphonie de Beethoven (qui deviendra hymne européen) : « …Notre navire coule. La lumière faiblit. Les ténèbres s’épaississent d’heure en heure. Entendez notre cri. Faites quelque chose, tendez-nous une main fraternelle. Peuples du monde, sauvez-nous. SOS ! Au secours, au secours, au secours ! Dieu soit avec vous et avec nous ! »
Divisés, en pleine guerre froide, les états européens, engoncés dans leur souveraineté nationale déjà si fragile, ne bougeront pas et Victor Orban, le « patron » actuel de la Hongrie semble avoir oublié un évènement dont le souvenir devrait l’amener à plus de tolérance aujourd’hui : à croire que les pays, contrairement à ce qu’on croit communément, ont peu de souvenirs confrontés qu’ils sont à une mémoire défaillante !
France – Grande Bretagne et le canal de Suez. – Presque au même moment, deux des « grands états européens » -la France et la Grande Bretagne (qu’Israël rejoindra) !- seront obligés de replier leur drapeau et de renoncer à leur dernière grande aventure nationale : leurs troupes devront se retirer de Suez, Port-Saïd et Ismaïlia où, pour affirmer leur souveraineté nationale (!), elles avaient débarquées pour « libérer l’Egypte » de la domination d’un jeune colonel – Gamal Abdel Nasser.
Ce dernier, souvenez-vous en, avait eu le culot de nationaliser le Canal de Suez et de léser les intérêts franco-britanniques. Les protagonistes devront se retirer d’Egypte sous la menace des… deux superpuissances, pourtant divisées par la guerre froide, l’Union Soviétique et les Etats-Unis d’Amérique du Nord. Les européens semblaient avoir compris cette leçon sur la limitation de leur souveraineté nationale : l’année suivante, ils signaient le « Traité de Rome » et lançaient le « Marché Commun ». Mais l’amnésie aidant, les états européens concernés à l’époque ont perdu la mémoire de leur humiliation !
Garibaldi et l’unité de l’Italie. – Singulière faculté d’oubli alors même que, la même année, des milliers de citoyens -membres du « Mouvement Fédéraliste Européen » et du « Congrès du Peuple Européen »- clamaient à Turin l’unité italienne. Le Ministre de l’Intérieur italien a sûrement des archives sur cet évènement qui, à l’époque, défraya la chronique.
Ces rappels historiques n’auront sans doute que peu d’utilité pour ceux qui se retrouveront Jeudi et Vendredi à Bruxelles. Mais à un an des élections européennes peut-être rappelleront-ils à un certain nombre de citoyens-électeurs que la réalité dépasse souvent la fiction et que la mémoire ne sert pas uniquement à classer des clichés dans des tiroirs !
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