Avec la majorité absolue aux Libéraux, le jeune Trudeau jubile.
Antoine Spohr jette un regard transatlantique sur les élections au Canada dont les résultats ont pu surprendre.

(Par Antoine Spohr) – Un mois avant les élections fédérales qui ont eu lieu en début de semaine au Canada, les chefs des trois principaux partis en course étaient au coude à coude dans les sondages : autour de 30% pour chacun d’entre eux. Les Conservateurs de Stephen Harper (premier ministre sortant) avaient un léger avantage, mais étaient talonnés à la décimale près, par Thomas Mulcair (Nouveau Parti Démocratique) et Justin Trudeau (Parti Libéral). Rien ne semblait joué et voici que Trudeau junior l’emporte largement avec 14 sièges de plus que la majorité absolue (184/338). Surprise quand même, car on gouverne parfois au Canada sans majorité absolue, l’opposition restant divisée mais pas intraitable.
Des élections en réalité triangulaires. - Une remarque s’impose d’emblée : dans cet Etat Fédéral, le scrutin est uninominal à un tour et les électeurs le savent bien sûr. Ils votent donc «utile» tout de suite dans leur circonscription. Or trois partis avec un élu à leur «chefferie» (sic) se partagent près de 90% des voix avec une répartition des sièges qui ne correspond pas au nombre de voix. Ainsi Justin Trudeau, le nouveau Premier Ministre, n’a récolté que 40% des voix soit 38 000 voix pour un siège. Voici les scores de ses principaux adversaires (on parlerait ici plus justement de concurrents) :
* Harper, le conservateur sortant a compté presque 32 % des voix soit plus de 55 000 électeurs pour un siège sur les 99 obtenus
* Mulcair (NPD) près de 20% des voix pour 44 élus à raison de 77 000 voix pour un siège.
Ajoutons que pour 10 élus, le Bloc Québecois de Gilles Duceppe a du recueillir 81 000 voix pour un siège. Elisabeth May (Parti Vert) a rassemblé 590.000 voix pour son seul siège.
On voit que l’atomisation du scrutin fédéral à un tour a l’avantage de dégager une majorité de gouvernement que ne permettrait pas un scrutin «à la proportionnelle» que certains réclament. Cela se discute. Puisse-t-on y réfléchir également en France.
Le bénéfice de l’âge ou de la nouveauté. - Si la plupart du temps dans de nombreux cas d’égalité des voix obtenues, le bénéfice de l’âge profite au plus âgé, dans la réalité, ce ne fut pas le cas au Canada. On a raillé la jeunesse de Justin Trudeau -il a 43 ans, 44 à Noël- avec un slogan douteux «Justin, juste pas prêt». On a espéré aussi qu’il s’essoufflerait dans sa course effrénée durant 78 jours de campagne dans un pays immense. Ce fut le contraire.
Dans la dernière ligne droite, avec Ottawa en ligne de mire et la résidence du Premier Ministre où il a passé une partie de sa jeunesse avec un père Elliott alors Premier Ministre, il a retrouvé un second souffle, tout en conservant sa pugnacité et son élégante beauté qui n’a pas du laisser insensibles certains électeurs ou électrices.
Pour autant, ses concurrents n’étaient pas des vieux «croutons» ni des laiderons. Stephen Harper bénéficie, avec un physique d’acteur de Western (1,88 m comme Trudeau II), d’une incontestable expérience à 56 ans, acquise en une décennie (calculez) et surtout d’un bilan dans la crise parmi les meilleurs des pays de l’OCDE. Sur la dernière année précédant le lancement de la campagne, on relève un PIB en légère croissance (+0,7%) en dépit d’une baisse de l’extraction minière de 1,8% (carrières, pétrole, gaz, schistes bitumeux) et une chute des prix des hydrocarbures pénalisante. Durant la période, la consommation finale est restée en hausse de 2,8%. On ne peut pas parler d’échec cuisant mais d’une certaine usure du pouvoir et d’une absence de combativité quelque peu hautaine face à un «jeunot», ce qu’il fut lui-même à son arrivée au pouvoir.
Thomas Mulcair de son côté, homme de belle tenue à 60 ans, a concentré ses attaques sur Harper, voulant apparaître comme le chef de l’opposition. Cela a profité aux Libéraux, comme on le voit.
Le Québecois Gilles Duceppe (68 ans) qui a raté sa réélection après 21 ans de députation fédérale, a été un aiguillon souvent opportun dans les grands débats, lorsqu’il y était invité. Son parti a néanmoins enlevé 10 sièges au détriment du NPD.
Au fait quel programme l’emporte ? - Alors «bonnet blanc et blanc bonnet», dans ce beau pays ardemment démocrate et modéré où le mot extrémisme politique n’est qu’un terme de savant ? Pas tout à fait. Si le conservateur voulait conserver, le nouveau démocrate cherchait à se caler plus au centre-gauche et le bouillant Trudeau promettait de changer les choses en innovant et en ne craignant pas d’avoir recours au déficit qu’il se promettait d’éponger après un prompt redressement. C’est lui qui a gagné l’espérance de ses compatriotes, à vrai dire pas très angoissés. Alors voyons quelques aspects innovants, électoralement payants :
Ceux qui séduisent le plus parce qu’ils appartiennent au quotidien : rétablir le registre sur la possession d’armes à feu, supprimé par Harper ; légaliser la possession de marijuana mais punir en même temps sévèrement les revendeurs aux mineurs et autres dispositions contraignantes ; un plan culture avec un soutien financier au Conseil des Arts particulièrement au cinéma. Là, au Québec, on s’en réjouit à l’avance car on n’y produit pas que de l’hydro-électricité et en «Francophonie» on sait à quel point la qualité culturelle du Canada est présente.
Des mesures plus générales : dans la gouverne, comme on dit fort justement ici, Trudeau II promet «ouverture, transparence et équité» contre l’opacité soi-disant pratiquée par son prédécesseur ; réforme profonde sinon disparition du Sénat dans sa forme actuelle ; liens renouvelés avec les autochtones pour améliorer leurs conditions de vie ; défense des «Canadiens Moyens, issus du «Old Stock» et autres plus récents, la classe moyenne en clair ; mise à contribution des plus riches (1%).
Enfin sur le plan international : aller à Paris pour participer à la conférence COP21 après avoir condamné le refus des accords de Kyoto par l’ancien Premier Ministre ; réduction du CO2 partout en accord avec les provinces dans le cadre d’un plan de lutte pancanadien pour l’écologie ; tout en restant ancré dans l’OTAN en Europe, il renonce à la participation aux frappes aériennes contre l’Etat Islamique, en Syrie et en Irak. Pas d’explications claires et pas de calendrier pour le moment !
Si le Canada, si prisé par ailleurs, se désolidarise de l’Occident, on voudrait savoir pourquoi : démagogie locale, problèmes logistiques, refus de participer à des opérations où les Russes se sont investis… ? Bizarre !
Même pas grave ! - L’amplitude du balancier qui oscille entre conservateurs, libéraux et néo-démocrates est si faible qu’on peut s’attendre à des petits revirements comme aux élections de 2011 où les libéraux étaient «menu fretin». Au contraire de chez nous où on peut craindre que le balancier frôle les 360° et que les extrêmes se rejoignent du moins «électoralement».
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