Banana Split dans les Tatras

Enquête sur la mort du journaliste Ján Kuciak

Banane cueillie sur le mât de Cocaïne Foto: Rennett Stowe / Wikimédia Commons / CC-BY- SA 2.0Gen

(MC) – L’Europe, ce n’est pas seulement les institutions européennes, les polémiques parfois un peu superficielles entre partisans d’un idéalisme irénique et acteurs d’un populisme destructeur. C’est aussi le crime organisé à grande échelle, que favorisent dans une certaine mesure les conditions de circulation à l’intérieur de l’Espace Schengen.

Ján Kuciak, lorsqu’en février dernier, il a été assassiné devant sa maison de Slovaquie avec sa compagne, enquêtait sur un réseau important de trafic de cocaïne, actif entre son pays, la Calabre et la ‘Ndrangheta, la Belgique et Rotterdam. Ses documents et son enquête ont été récupérés et poursuivis par des collègues journalistes regroupés dans des associations de justiciers armés de plumes, surtout l’OCCRP. Nous renvoyons pour cela à notre article du 29 avril 2018.

Une enquête menée par la police et la justice belges met à jour une bonne partie du réseau. Mais son cerveau, Silvio Aquino, est assassiné juste avant de passer en justice. Assassiné par qui ? Quel rapport avec Ján Kuciak ? Allons y voir un peu.

Silvio Aquino, d’origine calabraise, est né à Maasmechelen, une petite ville flamande toute proche de la frontière néerlandaise. Tout jeune, il a découvert sa vocation et est devenu une figure clé du trafic de drogue. Il a été accusé à plusieurs reprises : la première fois en 1998, pour trafic international de drogue ; puis en 2004 pour avoir enlevé un homme qui lui avait vendu du sucre de canne de qualité supérieure au lieu de cocaïne. Et puis à nouveau en 2014 en Belgique, pour l’appartenance à une organisation criminelle et la vente de 6,5 tonnes de pilules d’ecstasy en Australie.

Comme tous les dons de la mafia ou presque, Aquino est un père de famille dévoué : « Je veux gagner de l’argent pour ma famille » ; déclare-t-il parfois devant les tribunaux. C’était malheureusement vrai. Il fait construire un véritable bunker à Maasmechelen, sa ville natale : une villa qui porte le prénom de son épouse slovaque, Silvia Liskova, et qui devient leur quartier général, idéalement située à proximité immédiate de la frontière allemande et du port de Rotterdam, plaque tournante essentielle du trafic en Europe. L’organisation d’Aquino est très hiérarchiquement structurée, avec une division des tâches que n’eût pas apprécié Karl Marx. mettant en activité de nombreux associés et collaborateurs.

A Rotterdam transitent 11 millions de conteneurs par an. On peut estimer que seulement 50 000 de ces derniers, soit 0,5 % du total, sont contrôlés par les douanes ; celles-ci avancent que pour cette raison notamment, 50 % de la drogue européenne transite par Rotterdam.

Une quantité considérable de cash entre dans la maison du couple calabro-belgo-slovaque. Lors de la dernière enquête concernant Aquino, les policiers estiment qu’en 8 mois de surveillance, le don a importé 2,4 tonnes de cocaïne, ce qui représente entre 15 et 20 millions d’ euros de gains…

Comment faisaient ces malfrats pour importer autant de reniflette venue des pays de Cocaïne ? Elle était importée de Colombie dans des conteneurs de bananes. Avantageux pour les trafiquants, puisque les douaniers ne tiennent pas à prendre la responsabilité de contrôler de grandes quantités de denrées périssables au risque de les détériorer gravement. De plus, le réseau Aquino a des complices à Anvers et à Rotterdam. A Anvers, il s’agit de deux employés du Port, Marinus Simons et Sabine Nestor, qui tiennent le parrain informé de la marche des opérations et la contrôlent. A Rotterdam, c’est un certain Ivan Grobben, homme de confiance d’Aquino, qui surveille les conteneurs.

Le 15 mars 2013, Grobben escorte des conteneurs en voie d’être chargés dans une camionnette vers la Belgique. Mais ce jour là, les policiers barrent le chemin de Grobben : dans le van se trouvent 330 kg de cocaïne pure. Suit une série d’arrestations et de perquisitions en Belgique. Chez le couple Simons-Nestor, on saisit 100 000 euros d’objets de luxe, des portables,des documents comprenant un numéro de téléphone à Panama… Trois membres de la famille Aquino, dont Silvio lui-même, leurs épouses et nombre d’associés, sont arrêtés. Le procès commence ; il devait durer 3 ans.

Et la Slovaquie ? Elle permettait de régler le problème des liquidités. Comment rendre le cash récolté lors des trafics utilisable dans la vie courante ? C’est précisément l’un des points sur lesquels Ján Kuciak enquêtait lorsqu’on l’a assassiné. La piste mène au nord de la Slovaquie, non loin de la frontière polonaise, dans les Tatras ; précisément dans le joli village de Stara Lesna. Ce village, l’épouse d’ Aquino, Silvia Liskova, l’ a habité ; elle a travaillé dans l’un des hôtels de la commune, le Kontakt Wellness.

Silvia Liskova y possède une belle maison dans les parages,. Cette maison était entretenue par … une famille d’origine calabraise, les Vadala, quand le couple Aquino a commencé à construire son propre chalet tout près. Mais de plus, Aquino a voulu acheter le Kontakt Wellness pour la somme de 3 millions d’euros au propriétaire, un Slovaque nommé Pavol Miskov, grâce à l’aide d’un intermédiaire d’origine italienne. Misko a été arrêté en juillet 2013 à Tenerife : on l’accusait d’avoir servi d’homme de paille à Aquino ; il connaissait le couple Aquino depuis de nombreuses années.

Une fois acheté, l’hôtel a servi de base à de nombreuses transactions et opérations. En 2012 et 2013, Silvia et Grobben, le convoyeur d’Aquino, sont venus de Belgique à de nombreuses reprises pour y amener des liquidités.

Pour des raisons juridiques, d’importants contributeurs de ce trafic n’ont pu être interrogés : notamment l’importateur de fruits néerlandais Fruitpoint BV, dont les docks ont servi d’entrepôt pour les conteneurs de fruits bourrés de cocaïne. Mais l’ auxiliaire essentiel d’ Aquino semble avoir été Banacol, une entreprise basée à Medellin, dont il est à peu près avéré qu’elle a financé des groupes paramilitaires colombiens pour étendre ses plantations de bananes. En 2016, le réseau a aussi été puissamment aidé par une entreprise costaricaine d’exportation d’ananas, la Comerzialisadora de Pina. Son président, German Andres Montero Picado, a été accusé de trafic en 2014.

Mais ni la Fruitpoint BV, ni la Comerzialisadora de Pina n’ont encore été sérieusement inquiétées, malgré des saisies record (décembre 2014 : 3,5 tonnes de cocaïne destinées à la ‘Ndrangheta ; le 21 mars 2016 : 4, 8 tonnes de cocaïne saisies à Anvers. Et en octobre 2015, le FBI découvre un vaste trafic lié à la N’Drangheta à Queens, New York City). Dans ces affaires, selon toute vraisemblance, la Comerializadora au moins est impliquée. Mais elle a survécu à toutes les investigations des polices de Belgique, d’Italie, des Etats-Unis, de Costa Rica. Et elle opère encore actuellement dans l’exportation… de fruits…

Après l’opération anversoise évoquée plus haut, les deux frères d’Aquino, Mario et Raf, ont été arrêtés, puis condamnés à 6 et 10 années de prison. Grobben, Simons et Nestor, eux, ont été condamnés à des peines plus légères.

Mais le 27 août 2015, Aquino, qui conduisait sa voiture dans une forêt tout près de Maasmechelen en compagnie de son épouse Silvia Liskova, est abattu par plusieurs assaillants. Ses meurtriers appartiennent au réseau Hamidovic, célèbre en Bosnie, et très ramifié – l’une des branches s’est fait connaître par l’exploitation de fillettes-pickpockets dans les rues de Paris… Un enlèvement qui a mal tourné, semble-t-il ; Aquino avait oublié de s’acquitter de dettes envers … Envers qui ?

Peu de temps plus tard, on arrête un restaurateur de Maasmechelen, lui-même d’origine italienne, Mario Trotta : la justice voyait en lui le commanditaire du meurtre. Il a clamé son innocence, mais purge actuellement 7 années de prison.

Les liens entre Slovaquie, mafia calabraise, trafic de drogue et meurtre de Ján Kuciak est clairement établi, en somme. Reste à déterminer pourquoi le gouvernement slovaque est aussi peu prompt à rechercher la vérité sur cette affaire. Ce que continuent à déplorer les journalistes et les intellectuels slovaques. Et, plus généralement, européens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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