« Beaucoup d’effets d’annonce… »

Olivier Boule, à Altkirch, fait partie de ces commerçants qu'Emmanuel Macron s'était engagé à sauver. Mais entre les déclarations et les réalités du terrain, il y a tout un monde...

De telles opérations sont destinées à sauver la colonne vertébrale de l'économie française - soutenez-les ! Foto: privée

(KL) – Le monde des petites et moyennes entreprises (TPE-PME-PMI) constitue la colonne vertébrale de l’économie française. En effet, environ 85% des emplois nationaux se trouvent dans ce secteur principalement menacé par la crise. Commerçants de proximité, artisans, restaurateurs etc.. ne disposent pas de réserves de trésorerie suffisantes pour faire face à une fermeture brutale de plusieurs mois. Quelques semaines après que le président Macron a annoncé que l’Etat sauverait tous les emplois « quoiqu’il en coûte », nous avons voulu savoir si les programmes de sauvetage de l’économie arrivaient là où l’on en avait besoin : sur le terrain. Interview avec Olivier Boule, propriétaire du magasin « Confort 2000 GITEM » vice-président d’une fédération régionale de commerçants et artisans, « REG’YO » et président d’une association de commerçants et artisans « ARCOBA ».

Monsieur Boule, comment se présente la situation chez vous à Altkirch ? Quelles ont été et quelles sont les conséquences sur le déroulement de vos affaires ?

Olivier Boule : Nous avons pu travailler sur la moitié du mois de mars, et la baisse de notre chiffre d’affaires a été d’environ 50%. Pour le mois d’avril, après la fermeture, la baisse sera logiquement de 100%. Nous sommes complètement à l’arrêt.

Mais le gouvernement a annoncé des aides, des reports de cotisations, une procédure de chômage partiel facilitée – est-ce que vous et vos salariés êtes soutenus ?

OB : Avec le chiffre d’affaires de mes entreprises, je me situe au-dessus d’un million d’euros annuel, ce qui fait que je n’ai droit à rien. La plupart des adhérents de notre fédération ne devaient pas accéder à ces aides, car la condition de soutien était une baisse du chiffre d’affaires supérieure ou égale à 70%. Or, nous avons tous pu travailler la moitié du mois, et donc réaliser une partie de notre CA habituel. Ainsi, la quasi-totalité de nos adhérents n’aurait pas pu postuler à ces 1500 € d’aide. À la suite de l’intervention de différents organismes, tels que l’U2P, ce taux a été revu à la baisse et fixé à 50%. Mais compte tenu de la fermeture de nos magasins et ateliers, la baisse du chiffre d’affaires sera, comme pour beaucoup de petits commerces de proximité, de 100%.

Et les autres mesures, comme un accès plus facile au chômage partiel ?

OB : C’est théoriquement une bonne chose. Seul bémol, le site du gouvernement sur lequel nous devons obligatoirement soumettre la requête correspondante est en surcharge quasi-permanente. Plus de 60% de nos adhérents qui ont souhaité demander les autorisations nécessaires n’ont pu se connecter à cette plateforme. Obtenir ces autorisations, cette option reste pour l’instant assez théorique pour bon nombre d’entre nous.

Et les reports de cotisations, de loyers, etc. ?

OB : Si toutes ces idées partent sans doute de très bonnes intentions, elles ne s’inscrivent pas sur le long terme. On estime qu’on ne pourra pas revenir à une activité normale avant septembre 2020 ; et à ce moment-là, il faudra rembourser les charges que nous devons à l’Etat pour les différents reports. Ce que l’on nous propose, c’est de rembourser, en plus des cotisations habituelles, nos charges du mois du mars dès le rétablissement de la situation économique dite « normale ». Malheureusement, il ne faut pas se leurrer, petits commerçants et artisans ne seront pas en mesure de dégager des bénéfices assez importants pour assumer deux mois de charges mensuelles pendant plus d’un semestre. On assistera alors à l’hécatombe des TPE-PME-PMI : une hausse spectaculaire du chômage et l’écroulement d’une partie très importante de l’économie. Ce scénario catastrophique se dessine clairement et quand je pense à cette phrase « quoiqu’il en coûte », je suis très en colère. A mon sens, les impôts perçus par l’Etat sur les TPE-PME-PMI durant cette période ne devraient non pas être reportés, mais tout simplement annulés.

Pendant que vos magasins et ateliers sont fermés, la grande distribution assure l’approvisionnement de la population…

OB : Et pas seulement ! Les grandes enseignes ont mis le gouvernement sous pression pour pouvoir garder l’intégralité de leurs rayons ouverts, donc nous sommes loin des produits de première nécessité et de l’alimentaire. Le chantage était clair : soit ceux-ci gardent l’intégralité de leurs rayons ouverts, soit ils ferment eux aussi. Face à cette menace, le gouvernement a cédé, ce qui a permis aux chaînes de la grande distribution d’organiser un système de concurrence déloyale, car celles-ci peuvent vendre les produits que nous ne pouvons plus sortir puisque nos magasins ont dû fermer. Pourtant, ces chaînes n’offrent, pour la plupart, qu’une majorité d’emplois précaires et nous sommes en train de sacrifier une grande partie du tissu TPE-PME-PMI sur l’autel des intérêts des grands groupes surpuissants. Je ne peux que regretter le fait que le gouvernement ait cédé devant un chantage que nous paieront tous très cher à l’avenir.

Donc, vous craignez non seulement la perte de votre chiffre d’affaires, mais aussi celle de vos clients fidèles ?

OB : Evidemment, en favorisant certains groupes de la grande distribution, on prive les petites entreprises, non seulement de leurs revenus, mais aussi d’une structure de clientèle qui, en vue de la longue durée de cette situation, n’aura d’autres choix que de se tourner vers les grandes enseignes. Et, une fois la crise terminée, beaucoup de gens auront changé leurs habitudes de consommation et auront bien moins l’habitude de s’orienter vers les petits commerces de proximité – ces grandes enseignes seront donc les grands gagnants de cette crise et en auront profité pour augmenter drastiquement leurs parts de marché.

Mais vous vous battez…

OB : Oui, vous avez raison. Avec notre fédération « REG’YO » nous avons lancé l’initiative « Solidarité Proximité ». Celle-ci est portée par environ 200 commerçants et artisans qui proposent à leurs clients souhaitant les aider d’acquérir, dès aujourd’hui, des bons d’achats de 20, 25, 50 ou 100 € pour soutenir le commerce de proximité. Bons d’achats qui représentent, non pas des dons, mais des promesses d’achats futures. Des promesses d’espoirs en réalité. En effet, les acheteurs de ces bons détermineront eux-mêmes le commerçant ou bien l’artisan qui en profitera dès le retour à la normale et nous reversons l’intégralité des sommes perçues, directement et sans déduction ou commission aucune, au professionnel désigné par le consommateur. Un message de soutien fort pour toutes ces entreprises qui ont certes, pleinement confiance en leurs clients, mais qui peinent à imaginer un avenir radieux dans les mois à venir.

Donc, une sorte de chiffre d’affaires anticipé ?

OB : Oui, tout à fait. L’idée est de permettre à nos adhérents d’avoir un minimum de trésorerie leur permettant de survivre, car les programmes annoncés sur fond de communication institutionnelle n’arrivent pas sur le terrain.

Il s’agit là d’une opération de survie, mais il ne faut pas se tromper : ce chiffre d’affaires anticipé risque de manquer aux commerçants et artisans lors de la reprise des activités. En effet, la politique a fait le choix fatal de laisser mourir les petits commerces et les artisans pour diriger les Français vers les grandes enseignes. Toutefois, ce ne seront pas elles qui sauveront l’économie nationale à la reprise, mais bien le tissu entrepreneurial français, colonne vertébrale de l’économie, si celui-ci est encore debout.

Monsieur Boule, merci pour cet entretien !

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