Belarus : évolution plutôt positive, mais…

Le gouvernement jouera-t-il sur l'apaisement, ou bien sur la pacification ?

Belarus, 2020, du grand peintre sibérien vivant à Moscou, Artem LOSKUTOV. Le tableau est aux enchères jusqu'à ce soir, et la moitié des bénéfices sera reversée en Bélarus. Foto: mchaudeurojournalist/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – Hier, tout comme depuis lundi, la tactique des manifestants (si on peut parler de tactique) s’est orientée vers une résistance non violente, au sens classique et historique du mot : chaînes de solidarité de centaines de femmes en blanc dans toutes les villes importantes, bouquets de fleurs blanches ; et ce, dès 8 heures du matin. Un fait important : les médecins et scientifiques ont lancé un Appel à Loukachenka contre la répression et pour la démocratie.

Les chaînes de femmes se sont vues renforcées au courant de la journée de l’arrivée des travailleurs et employés d’entreprises importantes (Keramina, MAZ, BelAZ, MTZ, etc). De telles actions se poursuivent à l’heure actuelle. Par ailleurs, plus de 1000 personnes ont été libérées du sinistre Centre de Détention de la Rue Akrestsin, au bas duquel on entendait sans cesse des cris de souffrance…

Extraordinaire : le chef de la police de Minsk, ainsi que le ministre de l’Intérieur nommé l’an dernier, Juri Karaev, ont présenté leurs excuses à la population ! Le second s’est excusé pour les simples “passants” arrêtés dans les rues. Très bien. Il faut cependant veiller à ce que le gouvernement ne joue pas le rôle du : oui, on s’excuse, c’est pas bien, on l’a pas fait exprès, on recommencera plus, promis… L’apaisement peut malheureusement ne rien apporter, ou au plus quelques mesures-ripolin. La pacification brutale encore moins, certes. En d’autres termes, les manifestations non violentes devraient, pour espérer aboutir, demeurer totalement fermes sur des revendications précises, jouer sur la durée et sur les relations internationales.

Sur ce dernier point, pour bien préciser les choses, la communauté bélarusse de France a fait parvenir une Lettre à Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères. Nous en reproduisons ci-dessous la traduction française.

” Обращение беларусов зарубежья к правительствам демократических государств / Lettre ouverte au Ministère des Affaires Etrangères de la France

A l’attention de: M. Jean-Yves Le Drian, Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères.

Monsieur le Ministre,

Nous, les membres de la communauté bélarusse en France, nous vous adressons notre inquiétude quant au destin de notre pays, actuellement dans une situation tragique. Nous soutenons nos compatriotes qui luttent contre le régime dictatorial, répressif et illégitime. Cette situation aux abords de l’Europe doit devenir une priorité pour la France et ses voisins européens.

A travers cette lettre, nous vous enjoignons à faire comme la Lituanie et l’Ukraine : ne reconnaissez pas cette élection ! La campagne électorale truffée de fraudes et les résultats honteusement falsifiés ne permettent pas à Loukachenko d’être reconnu comme président du Bélarus. Selon les observateurs européens, les quatre dernières élections présidentielles furent toutes une farce permettant au pouvoir de rester en place. Le programme alternatif de comptage des voix “Golos” (la voix) a recueilli le vote de 1 180 084 utilisateurs uniques (plus de 17% du nombre total d’électeurs biélorusses). Plus de 80% d’entre eux ont voté pour Svetlana Tikhanovskaya aux élections présidentielles. Cela ne correspond pas aux 9,9% que lui accorde la Commission centrale électorale (CEC) du Bélarus. Nous savons d’ores et déjà que des millions de voix bélarusses ont été ignorées de façon flagrante et inacceptable.

Les actions des autorités bélarusses nous rappellent les heures les plus sombres des dictatures du siècle dernier. L’OMON, une unité spéciale des forces de l’ordre, se livre à une répression d’une férocité sans précédent contre les manifestants pacifiques. Utilisant une force démesurée, ils battent et mutilent les Bélarusses désarmés, provoquant des blessures très graves. Plus de 6000 manifestants ont été arrêtés depuis le soir des élections, d’autres arrestations arbitraires continues toujours partout au Bélarus. Par ailleurs, plus de 200 personnes ont été hospitalisées, souvent dans un état grave, et au moins trois personnes sont mortes.

Selon nous, les actions inacceptables menées par le pouvoir en place doivent être jugées comme des crimes contre l’humanité, selon l’article 6 de l’Accord de Londres du 8 août 1945. Avec le rétablissement progressif d’internet, nous parviennent de nouveaux témoignages à faire froid dans le dos. Les détenus sont gardés dans des conditions abominables, portant atteinte à toute dignité humaine. Selon les personnes libérées, les hommes détenus sont déshabillés et battus violemment chaque matin, ils sont affamés et n’ont pas accès à l’eau potable. Le régime procède à des persécutions de plus en plus massives et arbitraires, et nous ne savons pas combien de temps les manifestants tiendront face à une violence aussi démesurée.

Dans cette situation, le silence et l’inaction de la France et de l’Europe peuvent être perçus comme un soutien de facto aux crimes de Loukachenko.

Monsieur le ministre,

1) Nous vous prions d’engager au plus vite une mission de médiation en Bélarus pour faire cesser immédiatement ces violences, afin de garantir le droit citoyen à la manifestation pacifique. Seul le soutien ferme de la part des chefs d’états démocratiques permettra au peuple bélarusse de faire entendre sa voix et de faire respecter ses droits civiques fondamentaux.
2) Ne reconnaissez pas la légitimité d’Alexandre Loukachenko en tant que président.
3) Reconnaissez Svetlana Tsikhanovskaya en tant que Présidente légitime de la République du Bélarus
4) Soutenez toutes sanctions, européennes ou internationales prises contre les personnes tenues responsables de ces violations des droits humains en Bélarus (équivalent de Magnitsky Act aux USA)
5) Exigez la libération de tous les prisonniers politiques en Bélarus
6) Soutenez l’organisation de nouvelles élections libres et honnêtes, prévues par Svetlana Tsikhanovskaya, sous le regard des observateurs internationaux.

En espérant que notre appel rencontrera un écho bienveillant auprès du gouvernement français, veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre très haute considération,

La communauté Bélarusse de France .”

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