Bélarus : Le mendiant de Sotchi
Pour recevoir quoi ?
(Marc Chaudeur) – Le président bélarusse contesté, Aliaksander Loukachenka, est en visite (en aumône ?) chez son homologue russe. A Sotchi, sur les bords de la Mer Noire, et non à Moscou, ce qui est significatif : Poutine n’est pas disposé à le traiter d’égal à égal, ce que les Russes n’ont d‘ailleurs jamais fait depuis l’indépendance du pays voisin. Mais contrairement à certaines rencontres des années 1990, Loukachenka arrive en situation de plaideur et de quémandeur. Qu’obtiendra-t-il ?
A Minsk et dans les autres villes importantes de Bélarus, l’opposition ne faiblit nullement malgré les 774 arrestations annoncées par le ministère de l’Intérieur (et les 544 personnes au moins placées en maison d’arrêt) : à Minsk, au moins 100 000 personnes ont défilé dimanche ; la foule semblait encore plus monstrueuse que la semaine dernière. Pour éviter une répression trop massive, les manifestants ont d’ailleurs effectué une manœuvre de contournement et rallié un quartier plutôt chic du nord de la capitale, où Loukachenka possède une résidence.
C’est dans ce contexte que le président honni par la majorité des Bélarusses se rend dans l’un des endroits les plus ensoleillés de Russie pour discuter avec Poutine : nullement en position de force, pas même en possession d’un quelconque début de solution pour régler le problème ou, au moins, calmer le jeu.
Poutine a pourtant lui-même une motte de boue qui lui pend au pied, comme on dit en alsacien : en Sibérie, surtout à Khabarovsk (extrême-orient de la Russie), les défilés de citoyens scandalisés et désireux de changements ne cessent pas, eux non plus, depus plus longtemps encore, depuis le mois de juillet. Il s ‘agit de protester contre la machination ourdie contre un gouverneur régional, Sergeï Fourgal, qui appartient à un parti concurrent de Russie Unie, celui de Poutine. En le faisant accuser par des juges sales d’un meurtre commis voici 15 ans. Le vrai motif, c’est que Fourgal introduisait une politique anti-corruption et une certaine rigueur budgétaire… au détriment du magot ramassé par les députés majoritairement Russie Unie, bien entendu.
Et c’est peut-être la raison ponctuelle majeure pour laquelle Alexeï Navalny a été empoisonné, voici quelques semaines. L’enquête menée par Navalny a fait mouche ; elle est d’une qualité tout à fait exceptionnelle. Navalny, excellent journaliste d’investigation, politicien d’un discernement et d’une acuité hors pair, a produit des clips (sur son canal youtube) sans appel où chaque député pourri de Tomsk ou de Novosibirsk est nommé, montré en effigie, décortiqué dans tous les rouages de ses édifices, dans tous les secteurs de ses activités prédatrices.
Cela dit, il n’ y a pas commune mesure entre l’importance de la protestation bélarusse et celle de Khabarovsk ; numériquement, Poutine y a affaire à quelques milliers de manifestants. Mais l’attitude des deux présidents « frères » se ressemble : brutalité ponctuelle, mais attentisme global. Les froids vont arriver, octobre approche, la foule finira par se fatiguer. Mais ni Poutine, ni peut-être Loukachenka n’auront nécessairement besoin de se fatiguer.
En effet, on peut être maintenant à peu près sûr que Poutine n’interviendra pas militairement en Bélarus. Pour quoi faire ? Depuis le mois d’août (peut-être même avant), le Tsar mijote l’accomplissement d’un processus de vassalisation du voisin déjà entamé depuis bien des années ; et l’économie bélarusse est entièrement dépendante du Grand Frère, dans les secteurs les plus vitaux. Il suffira de tirer un peu en temps venu sur la corde qui relie l’ours à l’ourson. A l’Ouest, rien de nouveau, de toute manière : il y a comme un gap entre Minsk et l’Union européenne. Hélas !!
Remplacer Loukachenka ? Sans doute : Poutine, depuis quelque temps, l’appréciait de moins en moins, et s’irritait de ses refus de payer le gaz au prix demandé. Il méprise Loukachenka, aussi, depuis certaines velléités ridicules et d’ailleurs peu explicites de ce dernier de devenir le président d’une sorte de Fédération russo-bélarusse, du temps de Boris Eltsine. Et puis Loukachenka lui-même semble ne pas tenir tant que cela à rester au pouvoir ; il a déjà proposé des modifications de la Constitution, et a reconnu devant le Premier ministre le président du gouvernement) Mikhail Michoustine, en visite voici quelques semaines à Minsk, s‘être… « un peu encroûté » !
Pour Poutine, le meilleur scénario serait donc sans doute d’enjoindre son homologue à une certaine modération dans la répression, à jouer l’apparence démocratique et à accepter l’organisation d’élections d’ici un an environ. Le temps de susciter un candidat ou une candidate adéquats. Tiens, pourquoi pas par exemple une Anna Konopatskaïa re-briefée au logiciel un peu modifié, ou du moins quelque transfuge aux dents longues de sa formation, le Parti Civique Unifié de Bélarus, ce parti concurrent et évincé malproprement dont étrangement, on ne parle plus depuis l’été dernier ?
Poutine ne craint guère le surmenage : il suffit quasiment d’attendre, et hop !, voilà le statut de protectorat du Bélarus définitivement entériné, un peu comme le Maroc de Lyautey. Qui plus est, les Bélarusses sont grosso modo des Russes. Et d’ailleurs, la grande majorité des Minskois parle le russe à la maison, comme il ressort d’un sondage mené par l’un des grands médias du pays…
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