Bibliothèques idéales : c’est déjà Noël !

Des journées strasbourgeoises pleines comme des paquets surprise

Maylis de KERANGAL à Bibliothèques idéales, Strasbourg, le 7 septembre. Foto: Eurojournalist.eu

(MC) – Nos yeux d’enfants émerveillés ont contemplé ces cadeaux à foison qu’on nous offre. Comme si nous entrions dans une merveilleuse confiserie et que le confiseur musclé à chemise bleue nous disait : « Tiens, tout cela, c’est à toi ! » Et cela pendant plus d’une semaine, du 7 au 16 septembre…

Des journées incroyables, en effet, se sont ouvertes à nous. Bien que notre petite bouche d’enfant n’ait pu enfourner qu’une (grande) partie de ce qui était proposé.

Vendredi, le « marathon » des Bibliothèques idéales a commencé sur une ouverture majestueuse digne des grands opéras wagnériens, en plus chamarré puisqu’elle nous a permis d’entendre un débat richissime entre trois écrivains africains, une entrevue avec Maylis de Kerangal sur son dernier roman et deux discussions dont la dernière opposait Jean Ziegler et Régis Debray.

Les chaussures des trois auteurs africains étaient remarquables par leurs différences ; nous étions assis juste à leurs pieds, ou presque. Henri Lopes (Il est déjà demain, J.C.Lattès),vénérable Congolais d’un âge certain, portait des chaussettes rouges et des godillots blindés aptes à protéger de… tout. Gauz (Camarade Papa, Le Nouvel Attila), jeune écrivain ivoirien, arborait des zadidasses rayées ; et David Diop (Frère d’âme, Seuil), jeune Sénégalais distingué, portait des chaussures élégantes et plutôt fines. Une Afrique, trois mondes… De la négritude à la Senghor jusqu’à un néo-marxisme étrange sauce Alpha Blondy, l’éventail des thèmes abordés s’est étiré de la question de la responsabilité du colonialisme jusqu’à l’actualité brûlante en passant par tous les problèmes les plus graves et les plus douloureux : le métissage, par exemple, dont M. Lopes a remarqué que l’ évocation « frivole » qu’on en fait parfois aujourd’hui écarte très loin de sa réalité vécue.

Puis Maylis de Kerangal, qu’interrogeait Adèle van Reeth, a exposé et explicité son dernier roman, Un Monde à portée de main (Verticales), à la fois puissant et délicat comme les précédents, tous passionnants par l’ exploitation magique de documentations précises et très fournies. Avec un côté plutôt dix-neuvième siècle, donc. Ici, elle traite avec une grande maestria la question du rapport entre le réel et sa copie artistique (sous l’aspect de la peinture en trompe-l’oeil, surtout) et donc, plus largement, celle de la mimesis. J’aimerais lui donner un schmutz pour Réparer les vivants, une œuvre positivement magnifique ; mais je n’ose pas. Pouvez-vous m’aider ?

Et puis en fin de soirée, un débat qui a laissé de nombreux auditeurs perplexes. Le vénérable Jean Ziegler, en égrenant inlassablement de vieux poncifs pittoresques genre Grand Soir, a montré une fois de plus le hiatus infranchissable qui sépare la valeur critique du marxisme, qui est considérable, à sa part irrationnelle, post-religieuse, eschatologique. Exit les utopies au sens strict, parce qu’elles ont produit infiniment plus de mal (elles sont le vrai opium du peuple) que d’effets bénéfiques. Régis Debray, poli et las, est de mon avis. Tant mieux.

Tout cela porte la coloration sourde d’une incertitude plutôt angoissée sur l’identité (personnelle ou collective) : presque tous ces auteurs, romanciers ou essayistes, pratiquent, par la force des choses, une recherche de sens souvent dépourvue de repères. Cette tonalité nous semble plus frappante que lors des moutures précédents. Des friandises empoisonnées dans la grande boutique du Père François ? C’est bien plutôt notre monde actuel qui l’est, empoisonné…

C’était plus vrai encore samedi. Avec les exposés, le premier un peu filandreux, le second à la mode Deleuze, libre et consistant à la fois, de Régis Debray et de Jean-Luc Nancy. Notre époque est superficielle, violente, angoissée : M. Nancy a fort bien mis en relief ces caractéristiques à propos du Sexe, qui était le thème de son intervention. Un exposé qui a fini par déceler dans la question du sexe celle du rapport même – et il était passionnant, notamment, d’entendre le grand professeur Nancy suggérer la proximité de cette problématique dans Sade, Fourier et Hegel !

Un monde violent donc, et superficiel, et angoissé par absence de repères. Mais tout espoir n’est pas perdu. Deux compères économistes, Thomas Porcher (Traité de l’économie hérétique, Fayard)) et Daniel Cohen (Il faut dire que les temps ont changé, Albin Michel), veulent ensemble rétrécir nos gosiers afin qu’ils engloutissent moins aisément dogmes néo-libéraux, couleuvres géantes et pilules amères. Cohen et Porcher montrent avec une grande clarté que la science économique est incertaine, éristique, largement sous-tendue par les idéologies, et que les possibles ne sont pas morts. Bien loin de là ! La discussion avec Jean-Luc Fournier a été passionnante et très dense.

Merci au confiseur !

Et la dégustation se poursuit jusqu’au dimanche 16 septembre à Strasbourg.

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