Bibliothèques Idéales : déjà fini !

A Strasbourg, le Père Noël arrive en septembre

Lecture et illustration musicale d'Aharon APPELFELD avec sa traductrice, Valérie Zenatti. Un grand moment ! Foto: chaudeurojournalist/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – L’un des plus beaux moments de l’année strasbourgeoise touche déjà à sa fin… 70 rencontres, une centaine d’invités, de grands moments malgré, cette année, une ambiance un peu plus terne que les douze années précédentes, prophylaxie de la COVID-19 oblige… Un reflet de l’actualité littéraire, mais surtout, un paysage en lavis de certaines tendances importantes des représentations sociales d’aujourd’hui.

Ouapeudou ouap ! Les Bibliothèques Idéales ont commencé et fini par de beaux et joyeux moments musicaux. Boris Vian d’abord, puis, comme gong de sortie, les fameux Zazous, vous savez, Johnny Hess et tout ça, des années 1930 aux années 1950, leurs vestes et leurs cheveux trop longs, leurs chaussures crêpées, leurs jupettes déjà friponnes… Et surtout (surtout pour nous, du moins), leur goût pour le swing. Des moments joyeux, oui, mais dans une certaine mesure, les Zazous sont aussi les ancêtres des beatniks, des punks et de touts ces mouvements de jeunes qui ont transformé en profondeur la société. Et ils portent la révolte et la rébellion contre tout ce que les conjonctures dont d’autres portent la responsabilité ont imposé aux gens, à ” ceux qui ne sont rien “.

La révolte au passé, au présent et à l’avenir n’a pas manqué dans cette 13ème édition. Le féminisme ( Lauren Bastide, les ouvrages de Bibia Pavard et de Florence Rochefort, l’évocation de Gisèle Halimi), l’écologie radicale (Djian et Kempf sur Ivan Ilitch et sur la fin du capitalisme), Frantz Fanon en BD hier soir, Yasmina Khadra, les Jauffret père et fils et l’Oedipe sous les projecteurs,… Et puis Walter Benjamin (mal traduit à cause d’une connivence locale, on fera sans doute mieux l’an prochain). Et révolte face au temps qui passe et au temps passé chez les grands conteurs (Tobie Nathan, Caroline Martinez, le merveilleux Aharon Appelfeld lu et accompagné par de bouleversants klezmers), Eric Reinhardt qui retrace une grande bévue soixante-dixarde et giscardienne.

Et puis les grandes lignes, les grandes tendances de l’esprit du temps, les interrogations incessantes face à l’actualité catastrophique, l’anxiété palpable, la perplexité, l’incrédulité. Ceux qui croient apporter des solutions (Attali, Hervé Kempf et son Que crève le capitalisme, les féministes ci-dessus). Peu de solutions réellement nouvelles, et souvent, pas de solutions autres que le rappel ému du passé (chez Tobie Nathan ou, dans le cadre plus large de la France historique, le brillantissime François Sureau dans son Or du temps) ; une méfiance très saine et assez générale contre l’utopie, qui a exercé tant de ravages, et les incontournables qui aident à vivre : Comte Sponville sur l’immense Montaigne, voire Une Bibliothèque gay idéale, Ed. L’Harmattan, de Thierry Goguel d’Allondans et Michaël Choffan : 18 collaborateurs, 2650 auteurs recensés et évoqués ! Pour ceux qui aiment tout simplement la littérature aussi.

Les Bibliothèque Idéales sont délectables parce qu’elles rapprochent l’éloigné (Alain Mabanckou, la soirée d’Hommage à Idir, Montaigne,…) et font jaillir l’étincelle des contradictions (entre Kempf et la pensée d’Ivan Ilitch, ou bien entre le non-conformisme des auteurs/autrices et leur célébration éditoriale ou mémorielle). Que demander de plus ? Voilà un des grands plaisirs de la vie, cette confrontation savoureuse des représentations…

Et s’y ajoute bien évidemment le plaisir tout simple et classique de la rencontre avec des incontournables : Amélie Nothomb qui semble avoir dépassé un peu l’adolescence, cette année – comme le chantait Dylan : I was so much older then, I’m younger than that now… Ou Camille Laurens, question de goût, certes.

En tout cas, en guise de témoignage personnel, merci aux Bibliothèques Idéales 2020 de m’avoir fait connaître L’Or du Temps (NRF) de Sureau. Depuis hier, j’ai dévoré ses 200 premières pages (l’ouvrage en compte 800…)

Et la citation de Kafka en exergue de la manifestation qui s’achève ce soir s’est largement vérifiée : beaucoup des livres présentés sont « la hache qui brise la mer gelée en nous ». Et non le coup de poing sur le crâne qui nous assomme.

 

 

 

 

 

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