Bibliothèques idéales : d’un secret bien gardé

Leur offrande n’est jamais reconnue à sa juste valeur

Virginia Woolf par Roger Fry Foto: Wikimedia Commons/CC-BY-SA PD

(Marc Chaudeur) – Hier après-midi, nous avons pu goûter les saveurs épicées du Journal de Frank Berton par Elsa Vigoureux, puis celles plus organiques d’un spectacle où l’on voyait évoluer ensemble les mânes de ces trois fortes femmes que furent, que sont Frida Kahlo, Camille Claudel et Virginia Woolf. Avec en filigrane, les mystères ténébreux de la féminité, face auxquels la bêtise masculine clapote et  clignote.

Au CMD de Strasbourg s’est tenue une discussion entre les juristes Philippe Bilger, avocat général et président de l’Institut de la Parole (un centre de formation pour sophistes juristes), l’avocat pénaliste Franck Berton et Elsa Vigoureux, la madame journaliste de l’Obs’ artisan d’un livre touffu, résultat de trois années de collaboration avec ce magistrat semble-t-il télégénique. Un travail impressionnant, sans guère de complaisance et pas davantage d’ironie, mais plutôt une sorte d’admiration malicieuse qui suit le parcours quotidien de cet avocat au parcours et à la personnalité originale.

Avec pour question implicitement posée, et donc nullement résolue, celle des rapports des femmes à la criminalité, et particulièrement à l’assassinat. L’un des deux participants mâles a fait remarquer que la violence provenait surtout des hommes, ce qui n’est pas nouveau (les chiffres le confirment de manière on ne peut plus éclatante).

Mais plus intéressant, plus intrigant et plus discutable : le même a aussi remarqué que les assassinats que perpètrent les femmes le sont rarement par… passion, par impulsion irréfléchie. Mais plus souvent en mettant en œuvre toute une stratégie, un calcul. Est-ce vrai ? Est-ce faux ? Il y a l’exemple de cette femme, défendue par Berton, qui a noyé son nourrisson le plus tranquillement du monde dans les flots de la mer, après l’avoir posé au bord de la plage et s’être absentée pour aller se doucher… Et d’autres exemples, concernant tous des infanticides. Un très beau livre, donc : Elsa Vigoureux, le Journal de Franck Berton, une vie de pénaliste, Flammarion,2019)

Eh bien, le spectacle écrit par Monica Mojica a suivi. Frida Kahlo, Camille Claudel et Virginia Woolf ont évolué ensemble devant nous ; du moins, leurs fantômes, leurs mânes. Des parties très drôles, celles qui font défiler les évocations posthumes de leurs œuvres et de leurs vies au regard des trois femmes narquoises, qui ne s’y reconnaissent que très peu ! Et beaucoup d’extraits de leurs œuvres (où revient fréquemment l’expression higo de puta, non non, pas dans les extraits de Virginia Woolf) beaucoup de reconstructions de leurs désirs, de leurs troubles et de leurs souffrances. Reconstruction elle même particulière, circonstancielle ? Comment pourrait-il en être autrement ?

Mais surtout, ces deux manifestations des Bibliothèques idéales nous ont apporté une réponse à laquelle, dans notre insondable stupidité masculine, nous n’avions jamais pensé. Des points communs entre ces femmes infanticides et ces femmes créatrices , en l’occurrence sculpteresse, peintresse et écrivainte ? Oui, sans doute. Ce point commun fondamental, c’est que jamais le don, l’offrande, le présent que fait une femme (œuvre ou enfant) ne sont reconnus à leur juste valeur. La générosité féminine dépasse toute mesure, et jamais on ne la rétribue ni même, on ne la remercie véritablement. Parce que cette offrande vient de trop loin, de trop profond.

Un secret bien gardé par la gent féminine, dont les récriminations et les revendications n’expriment que très rarement ce mystérieux angle mort de la psyché gynaikos. On y prendra garde, désormais.

 

 

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