Bibliothèques idéales : le savant et le politique

… And the walls are tumblin’ down, hallelujah !

Les murailles de Jericho : elles tomberont ! Foto : Unkn. /Wikimédia Commons/CC-BY-SA/ PD

(Marc Chaudeur) – Débat passionnant et utile, hier après-midi à Strasbourg. On y parlait de l’indigence des politiques, de la démagogie télévisuelle et de murailles à abattre. Le pire des murs est sans doute celui qui sépare l’universitaire et le scientifique de l’homme politique  – particulièrement en France. Cela pose une question qu’il est urgent de résoudre : comment rendre au politique une véritable efficience sociale et une crédibilité qu’il a perdue au bénéfice d’un libéralisme aveugle et/ou d’une démagogie populiste ?

Sur le plateau du CMD, les trois interlocuteurs  posent fort bien le problème en l’enrichissant : l’un, Xavier Ragot, est économiste, l’autre, Agathe Cagé, est docteure en science politique, diplômée de l’ENS et de l’ENA. L’ancienne ministre de l’Education et non des pires, Naja Vallaud-Belkacem, les interroge. Elle vient de publier leurs excellents ouvrages dans sa nouvelle collection chez Fayard, qui s’appelle Raison de plus. De ces livres qui rendent l’espoir et indiquent que tout n’est pas perdu, qu’il est possible de cerner les maux avec des mots et de construire une politique sociale utile et progressiste (l’avions-nous oublié ?).

Cela suppose, dit l’un, que l’on rende toute son importance aux projets sociaux, en ouvrant bien davantage qu’on ne le fait à présent les possibles du champ social – et par conséquent, en faisant reculer les prétentions des économistes à l’exhaustivité et à l’autorité absolue (Ragot, rappelons-le, est économiste ; un économiste pertinent et critique…).

Un exemple brûlant : du désir d’union de l‘Europe naît la zone euro, et en somme, on finit par oublier largement l’inspiration initiale – et puis, la crise de 2008, partie des Etats-Unis, a été bien plus grave en Europe, en grande partie à cause de l’existence de cette zone euro qui a créé peut-être davantage de problèmes qu’elle n’en pouvait résoudre. Les remèdes appliqués aussi ont été une saignée d’économisme libéral orthodoxe ; et tandis que l’Europe laissait ainsi exploser les chiffres du chômage, Trump et les Etats-Unis, eux, laissaient filer la dette : un keynésisme réactionnaire, en somme… Dans son dernier ouvrage, Ragot parle de « civiliser le capitalisme » ; concrètement, il propose principalement une assurance chômage européenne. Son ouvrage : Civiliser le capitalisme, Fayard, 2019).

Où en sommes-nous, au fond ? Les participants au débat s’entendent sur le fait qu’il faut ouvrir l’horizon des politiques possibles, et nullement prendre le mieux disant néo-libéral pour parole d’Evangile. Et pour ouvrir les possibles de manière effective, il faut à nouveau « quelqu’un qu’on puisse entendre » : à savoir quelqu’un qui, scientifique et/ou expert, dispose d’assez d’autorité scientifique pour initier une pratique innovante et efficiente. En ce sens, Xavier Ragot propose une assurance chômage européenne. Idée que partage un nombre significatif de dirigeants européens.Une idée intéressante, non ?

Agathe Cagé ne peut qu’approuver ce diagnostic. Son excellent Faire tomber les murs (Fayard, 2019) attaque à la dynamite les cloisons élevées au fil des décennies entre ceux qui mutatis mutandi, manient le savoir et le discours rationnel et d’autre part, ceux qui en instrumentalisent l’usage dans les domaines politique et médiatique. Le parcours historique de la figure de l’intellectuel que retrace très rapidement Agathe Cagé est très significatif : perdre la main sur l’universalité comme le préconisait Michel Foucault dans les années 1980 marque un morcellement du sens qui lui-même, conduit à négliger l’apport des experts et des scientifiques.

Pourtant, tout espoir n’est pas perdu : l’auteure donne l’exemple de Patrick Weil (politiques migratoire et scolaire) et celui d’Axel Kahn (fin de vie ) : ils ont su imposer des réformes grâce à leur investissement du champ politique (hommes politiques, cabinets ministériels, équipes de campagne). Oui, les scientifiques peuvent – à force de fermeté, de foi dans la nécessité de leur action et d’obstination – imposer des réformes qu’il savent utiles.

L’intellectuel « universaliste » doit reprendre du poil de la bête, affirment les trois participants de cette rencontre, et mettre à bas la « culture des silos », selon l’expression d’Agathe Cagé : à savoir les cloisonnements devenus de plus en plus drastiques entre les disciplines et les pièces du damier intellectuel : politicien, sociologue, économiste, syndicaliste,…

Reste à cerner le concept de ce que sera demain l’intellectuel efficient : expert, intellectuel, « acteur hybride », selon l‘expression d’Agathe Cagé, mixte de ces figures ci et d’autres ?

A noter : dans la même collection (Raison de plus) que les ouvrages des 2 auteurs cités, un autre livre tout à fait exceptionnel, à lire absolument : La Fascination de l’ogre ou comment desserrer l’étau de la finance, de Laurence Scialom, 2019).

 

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