Bibliothèques idéales : quelle belle semaine !

L’Homme au paradis ? Bernique...

Le bouquet final des Bibliothèques idéales : Seuls les vivants créent le monde ! par Adèle van Reeth, Dorian Astor et Raphaël Enthoven Foto: Rédaction

(MC) – Toute l’expérience humaine était au rendez-vous cette semaine aux Bibliothèques Idéales de Strasbourg. Toutes les conditions aussi. Et toutes les grandes inquiétudes.

A notre sens, il était intéressant surtout de se poser comme une hirondelle entre les pointes des barbelés, à écouter palpiter les idées originales, celles qui parlent réellement de notre monde et de l’homme – et qui ne sont pas nécessairement le fait des auteurs les plus jeunes. Il s’agissait en tout cas de contourner les stars télévisuelles et les rentiers de la pensée. Et les parasites de l’écrit. Et aussi les champions du truisme, ceux des recettes rapiécées et dépassées .

En procédant ainsi, quelle exultation ! Une semaine vraiment richissime, pour nous consoler des colchiques que nous apercevons depuis dimanche dernier dans les prés de la Wanzenau.

Des inquiétudes portant sur l’identité – personnelle et collective, et même, sur l’identité et l’avenir de l’espèce humaine elle-même – aux esquisses de solution : voilà comment on pourrait résumer l’ensemble de cette manifestation impressionnante. De la première journée où des auteurs africains, Gauz, Lopes et Diop ont débattu avec une intensité et une qualité exaltantes jusqu’aux dernières cîmes, l’ensemble n’ a faibli que dans les creux des présentations de prêt-à penser, qui bien sûr, coïncidaient avec les hauts de fréquentations, des files devant l’entrée qui s’étendaient jusqu’au sommet de la Cathédrale, ou presque (Debray, Ziegler, Onfray, certaines mixtures gnangnans et désuètes, Finkielkraut). Des pros, surtout, habitués à promener leurs propos dans des habits (parfois des pyjamas) trop larges, adaptés à des publics indéterminés par essence. Mais aux endroits où l’esprit pouvait se poser, au contraire, quelles merveilles !

Oui, Julia Cagé, Hubert Haddad, Jean-Luc Nancy (cette chère voix, parlant du sexe…), Salman Rushdie, Daniel Cohen et Thomas Porcher, Souleymane Diagne, Pierre Rosanvallon, Tobie Nathan, Boualem Sansal ont ouvert des portes pour notre avenir. Des romanciers grands ou qui bientôt le deviendront (si éditeur leur prête vie) nous ont parlé avec générosité de ce qu’aujourd’hui, nous sommes. Au premier plan de ces derniers , Maylis de Kerangal. Et de remarquables penseurs, Etienne Klein et Pascal Picq, et avec eux Bernard Vergely, de ce que nous risquons de devenir : des plus qu’hommes, c’est-à-dire des moins que rien. Refusant de vivre (comme le Dernier Homme selon Nietzsche) et soumis à la pulsion de mort.

De profondes émotions nous ont saisi aussi, lors de la présence d’Isabelle Aubret et de Gérard Meys (leur amitié avec Jean Ferrat, six décennies de chanson française, et une histoire de couple comme sans doute, on n’en verra bientôt plus !), et à d’autres nombreuses occasions. Malheureusement je n’ai pas réussi à embrasser Maylis de Kerangal pour son Réparer les vivants, paru voici 3 ans. Tant pis, ce n’est que partie remise…

L’Europe n’était guère présent lors de cette semaine. Elle était totalement absente en tant que thème ; mais elle l’était presque autant comme problématique, et plus encore, comme horizon éventuel… Voilà qui est préoccupant. Sa seule présence apparaissait bien davantage en creux, comme objet de réfutation, notamment pour des auteurs africains comme Diagne ou bien Lopes, et Gauz. Une absence effective et une présence en creux qui nous semblent vraiment inquiétants, la nation ne pouvant assurément plus jouer le rôle d’horizon et de cadre d’un avenir prometteur… Alors quoi ?

Alors, Seuls les vivants créent le monde ? Cette formule, intitulé de la manifestation, dont Stefan Zweig est l’auteur, a fait l’objet d’une réflexion finale hier qui a constitué la véritable gerbe d’étincelles, le feu d’artifices d’adieu de ces Bibliothèques idéales.

A notre sens, cet énoncé ne peut être pris de manière hyperbolique et générale ; Zweig, grand Européen aux (très, trop) anciens parapets, l’a écrite en 1914 pour justifier son pacifisme. Mais à l’évidence, la phrase est en elle-même une incitation à des développements richissimes au moins par l’usage de termes qui suggèrent des expériences humaines élémentaires (la vie, la création, le monde). Adèle van Reeth, Dorian Astor et Raphaël Enthoven l’ont traitée de manière magistrale, et mieux, réellement consistante.

Une citation peut cependant résumer, donc contenir en elle, toute la substance et tout l’élan dynamique de cette semaine strasbourgeoise : c’est celle que Christian Nardin a proposée à Bernard Vergely, vendredi dernier. Elle contient en effet toute l’inquiétude post-moderne qui sous-tendait ces Biblios idéales. Celle de l’Homme qui risque de se perdre en désirant dépasser la mort, et donc, la vie. La citation exacte, un peu chantournée par ce cher Nardin, c’est :

« Ma conception de l’enfer : la fausse béatitude, se croire par erreur au paradis » (dans les Cahiers).

 

 

 

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